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FABLE VII.

Le Mulet se vantant de sa généalogie.

Cff. ÉSOPE, f. 83, 140.

Le mulet d'un prélat se piquoit de noblesse,
Et ne parloit incessamment '

Que de sa mère la jument,

Dont il contoit mainte prouesse.

Elle avoit fait ceci, puis avoit été là.
Son fils prétendoit pour cela

Qu'on le dût mettre dans l'histoire.

Il eût cru s'abaisser servant un médecin.
Étant devenu vieux, on le mit au moulin :
Son père l'âne alors lui revint en mémoire 2.

Quand le malheur ne seroit bon
Qu'à mettre un sot à la raison,
Toujours seroit-ce à juste cause

Qu'on le dit bon à quelque chose.

1 Incessamment, sans cesse, sans relâche. Ce mot se trouve employé dans le même sens dans l'Aigle, la Laie et la Chatte (V. suprà, III, 6, p. 114, n. 4).

2 Lui revint en mémoire. Un mulet de Lydie, qui s'était miré dans un fleuve, charmé de la grandeur et de la beauté de sa taille, se mit fièrement à courir en secouant sa crinière comme un cheval: mais bientôt son père l'âne lui revint en mémoire; cette pensée arrête sa course et abat toute sa fierté, (PLUTARQUE, trad. de l'abbé RICARD, t. II, p. 226.)

FABLE VIII.

Le Vieillard et l'Ane.

Cff. PHEDRE, I, f. 15.

Un vieillard sur son âne aperçut en passant
Un pré plein d'herbe et fleurissant :
Il y lâche sa bête, et le grison se rue
Au travers de l'herbe menue,
Se vautrant, grattant, et frottant,
Gambadant, chantant, et broutant,
Et faisant mainte place nette.
L'ennemi vient sur l'entrefaite '.
Fuyons, dit alors le vieillard.

2

Pourquoi? répondit le paillard * ;

Me fera-t-on porter double bât, double charge?
Non pas, dit le vieillard, qui prit d'abord le large.
Et que m'importe donc, dit l'âne, à qui je sois?
Sauvez-vous, et me laissez paître.

Sur l'entrefaite. Au singulier, contre l'usage, dit un commentateur. Cette observation n'est pas tout à fait juste. A la vérité, l'on dit souvent sur ou dans ces entrefaites ; mais on dit aussi, au singulier, dans l'entrefaite.

2 Paillard. Qui couche sur la paille. Aujourd'hui ce mot est pris dans le sens le plus défavorable, et désigne les personnes de mœurs peu correctes.

3 VARIANTE: Eh! dans les éditions modernes.

Notre ennemi, c'est notre maître 1
Je vous le dis en bon françois *.

FABLE IX.

Le Cerf se voyant dans l'eau.

Cff. PHÈDRE, I, f. 12; ÉSOPE, f. 66, 184.

Dans le cristal d'une fontaine
Un cerf, se mirant autrefois,
Louoit la beauté de son bois 3,

Et ne pouvoit qu'avecque peine

Notre ennemi, c'est notre maître. Ce vers a été tour à tour critiqué et admiré. Les uns s'inscrivent en faux contre La Fontaine il n'est pas vrai, dit-on, que tant de bons princes qui ont gouverné les hommes aient été leurs ennemis. D'autres s'étonnent de la hardiesse de cette pensée il ne paraît pas cependant, disent ceux-ci, qu'on l'ait reproché à La Fontaine sous Louis XIV. Ces appréciations nous semblent porter à faux. Selon nous, le poëte n'a entendu proclamer ni une maxime politique ni une sentence morale; il a simplement voulu constater un fait, savoir que l'homme, à tort ou à raison, a coutume de voir un ennemi-né dans la personne de son maître.

En bon françois. Franchement et sans ménagement. Expression familière.

s Bois. Les cornes rameuses du cerf, du daim, etc., qui tombent à certaines époques de l'année, et qui repoussent ensuite. V. suprà, l'OEil du Maître (IV, 19, p. 181, n. 1).

Souffrir ses jambes de fuseaux',

2

Dont il voyoit l'objet 2 se perdre dans les eaux.
Quelle proportion de mes pieds à ma tête !

Disoit-il en voyant leur ombre avec douleur :
Des taillis les plus hauts mon front atteint le faîte;
Mes pieds ne me font point d'honneur.

Tout en parlant de la sorte,

Un limier le fait partir.
Il tâche à se garantir ;

Dans les forêts il s'emporte:
Son bois, dommageable ornement,
L'arrêtant à chaque moment,
Nuit à l'office 5 que lui rendent

Ses pieds, de qui ses jours dépendent.
Il se dédit alors, et maudit les présents
Que le ciel lui fait tous les ans 6.

Nous faisons cas du beau, nous méprisons l'utile ;
Et le beau souvent nous détruit.

Ce cerf blâme ses pieds qui le rendent agile;
Il estime un bois qui lui nuit.

1 Jambes de fuseaux. Jambes fort minces. Tibia macra pedum, dit l'Anonyme de Nevelet, f. 47.

2 Objet, L'image projetée devant lui (objectum). C'est un latinisme.

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Taillis, bois que l'on

3 Des taillis, etc. Belle image. coupe (que l'on taille) de temps en temps.

Limier, gros chien de chasse avec lequel le veneur cherche et détourne la bête, pour la lancer quand on veut la courir.

Nuit à l'office, etc. Retentis impeditus cornibus (Phèdre). 6 Ans. V. suprà, p. 246, n. 3.

FABLE X.

Le Lièvre et la Tortue.

Cff. ÉSOPE, f. 173, 292; LOCKMAN, 20, trad. de Marcel, p. 83, édit. de 1803.

Rien ne sert de courir ; il faut partir à point ' :
Le lièvre et la tortue en sont un témoignage.
Gageons, dit celle-ci, que vous n'atteindrez point
moi ce but. Sitôt ! êtes-vous sage?

Sitôt que

Repartit l'animal léger:

Ma commère 2, il vous faut purger
Avec quatre grains d'ellébore

↑ Partir à point. « Et me disoit maître Tubal, qui fut le premier de sa licence à Paris, que ce n'est tout l'avantage de courir bientôt, mais de partir de bonne heure.» (RABELAIS, liv. ler, ch. xxi.)

2 Commère. Dans le sens plaisant de la femme qui parle à tort et à travers.

3 Ellebore. Les anciens attribuaient à l'ellébore une action presque certaine pour la guérison des maladies mentales. Cette plante était très-commune à Anticyre, île voisine de l'Eubée, et il était passé en proverbe d'y envoyer tout individu dont le cerveau paraissait dérangé. HORACE y fait allusion dans l'une de ses satires: « La plus forte dose d'ellébore, la plus forte de beaucoup revient de droit aux avares. Je ne sais même si la raison ne leur réserve pas l'île entière d'Anticyre. Nescio an Anticyram ratio illis destinet omnem. » (Sat. II, 3, v. 82, 83.) L'action de l'ellébore sur les affections mentales n'a pas été confirmée par la science moderne..

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