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Le fanfaron aussitôt d'esquiver:

O Jupiter, montre-moi quelque asile,
S'écria-t-il, qui me puisse sauver!

La vraie épreuve de courage

N'est que dans le danger que l'on touche du doigt: Tel le cherchoit, dit-il, qui, changeant de langage, S'enfuit aussitôt qu'il le voit.

FABLE III.

2
Phébus et Borée 3.

Cff. LOKMAN, f. 34, trad. de Marcel, 1803, in-18, p. 115; YSOPET-AVIONNET, f. 3; PHILIbert Hegemon, f. 6.

Borée et le Soleil virent un voyageur

Qui s'étoit muni par bonheur

Contre le mauvais temps. On entroit dans l'automne, Quand la précaution aux voyageurs est bonne :

1 Esquiver, etc. V. suprà, le Combat des Rats et des Belettes (IV, 4, p. 146, n. 1).

J'esquive doucement et m'en vais à grands pas,
La queue en loup qui fuit et les yeux contre bas.

(REGNIER, satire vin.)

2 Phébus le soleil. V. suprà, la Vieille et les deux Servantes (V, 6, p. 200, n. 4).

3 Borée le vent du nord, fils du Ciel et de la Terre.

Il pleut, le soleil luit, et l'écharpe d'Iris '

Rend ceux qui sortent avertis

1

Qu'en ces mois le manteau leur est fort nécessaire2:
Les Latins les nommoient douteux3, pour cette affaire.
Notre homme s'étoit donc à la pluie attendu :
Bon manteau bien doublé, bonne étoffe bien forte.
Celui-ci, dit le Vent, prétend avoir pourvu
A tous les accidents; mais il n'a pas prévu
Que je saurai souffler de sorte

Qu'il n'est bouton qui tienne : il faudra, si je veux,
Que le manteau s'en aille au diable.

L'ébattement pourroit nous en être agréable:
Vous plaît-il de l'avoir? Eh bien ! gageons nous deux,
Dit Phébus, sans tant de paroles,

1 L'écharpe d'Iris. L'arc-en-ciel. Iris était la messagère de Junon. Pour les Grecs, nourris de riantes poésies, l'arc-enciel, présage d'un message céleste, était la robe d'Iris. Ce tissu léger leur annonçait le corps diaphane d'une déesse : cet aspect riant réveillait l'espoir d'une bonne nouvelle. Chez l'Hébreu, grave et sévère, nourri aux privations, à l'esclavage, inquiété du souvenir du déluge, l'arc-en-ciel avait aussi la vertu de dissiper les soucis. Il y voyait un signe de miséricorde divine. Ainsi, de part et d'autre, nos premiers pères avaient rattaché à la Divinité ce brillant météore.

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▲ Ébattement. Employé ici dans le sens d'ébat, divertissement, passe-temps. Cette acception a vieilli.

A qui plus tôt aura dégarni les épaules

Du cavalier que nous voyons.

1

Commencez je vous laisse obscurcir mes rayons.
Il n'en fallut pas plus. Notre souffleur à gage
Se gorge de vapeurs, s'enfle comme un ballon,
Fait un vacarme de démon,

Siffle, souffle, tempète, et brise en son passage
Maint toit qui n'en peut mais2, fait périr maint bateau :
Le tout au sujet d'un manteau.

Le cavalier eut soin d'empêcher que l'orage
Ne se pût engouffrer dedans.

Cela le préserva. Le Vent perdit son temps;
Plus il se tourmentoit, plus l'autre tenoit ferme :
Il eut beau faire agir le collet et les plis.

Sitôt qu'il fut au bout du terme,

Qu'à la gageure on avoit mis,
Le Soleil dissipe la nue,

Récrée et puis pénètre enfin le cavalier,
Sous son balandras fait qu'il sue,
Le contraint de s'en dépouiller :

1 Souffleur à gage. Le poëte a voulu ridiculiser celui qui doit être vaincu, et par allusion à la gageure.

2 Qui n'en peut mais. V. suprà, le Lion et le Moucheron (II, 6, p. 74, n. 1).

3 Balandras. Le balandras ou balandran était une sorte de manteau. BOILEAU a dit, dans son Discours sur la Satire : « Le sieur de Provins avait changé son balandran en manteau court. » Soit dit en passant, REGNIER (cité à propos de Provins) dit précisément le contraire :

Pensez-vous, sans avoir ses raisons toutes prêtes,
Que le sieur de Provins persiste en ses requêtes,
Et qu'il ait, sans espoir d'être mieux à la cour,
A son long balandran changé son manteau court.

Encor n'usa-t-il pas de toute sa puissance.

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Cff. Ésope, f. 77, 269; FAERNI, fab., V, 13.

Jupiter eut jadis une ferme à donner.
Mercure en fit l'annonce, et gens se présentèrent,
Firent des offres, écoutèrent :

Ce ne fut pas sans bien tourner ;
L'un alléguoit que l'héritage

Étoit frayant et rude, et l'autre un autre si 3.
Pendant qu'ils marchandoient ainsi,

1 Plus fait douceur que violence.

On sieut⭑ par

débonnaireté

Vaincre plus que par cruaulté.

(YSOPET-AVIONNET, f. 3.)

2 Métayer. Ce mot est dérivé du provençal meytadier (basse latinité, medietarius), colon partiaire, fermier à moitié fruits.

3 Mercure. Messager des dieux, divinité tutélaire du commerce. « Le crieur des dieux, c'est Mercure; c'est un de ses cent métiers. » (Psyché, liv. II.)

Frayant. C'est-à-dire occasionnait beaucoup de frais, une grande dépense. Les paysans champenois se servent souvent des mots frayant et frayer, dans le sens de causer des frais considérables. Le verbe frayer subsiste encore aujourd'hui, mais dans une autre acception. Cependant on dit encore défrayer, qui signifie payer la dépense de quelqu'un.

5 Un autre si. Un autre défaut. Style familier.

* A coutume, solet.

Un d'eux, le plus hardi, mais non pas le plus sage,
Promit d'en rendre tant, pourvu que Jupiter
Le laissât disposer de l'air,

Lui donnât saison à sa guise,

Qu'il eût du chaud, du froid, du beau temps, de la Enfin du sec et du mouillé,

Aussitôt qu'il auroit bâillé '.

[bise,

Jupiter y consent. Contrat passé, notre homme
Tranche du roi des airs, pleut, vente2, et fait en somme
Un climat pour lui seul : ses plus proches voisins
Ne s'en sentoient non plus que les Américains.
Ce fut leur avantage : ils eurent bonne année,
Pleine moisson, pleine vinée 3.

Monsieur le receveur fut très-mal partagé.

Baillé. A commandement, et aussitôt qu'il aurait ouvert la bouche. Bien que le sens de cette phrase ne paraisse pas douteux, des commentateurs de notre poëte, notamment Chamfort, s'y sont trompés : ils ont donné au mot bailler le sens de passer bail, confondant ainsi le mot bailler avec celui de bailler. La Fontaine a, dans les quatre éditions publiées de son vivant, mis baailler, ce qui ne laisse aucun doute sur la véritable leçon : elle présente d'ailleurs un sens plus clair, plus français et surtout plus plaisant. — Baîller est un dérivé du vieux français béer (bayer), qui signifie : 1o ouvrir la bouche, 2o attendre bouche ouverte.

2 Pleut, vente. Ces mots pleut, vente, pour dire : fait pleuvoir, fait venter, ne sont pas français: ce sont des verbes impersonnels. Chamfort, qui formule cette observation, hésite pourtant à critiquer La Fontaine. Dans ces phrases (il pleut, il vente, il tonne), le sens actif s'est perdu, parce qu'on oublie que le pronom il désigne le maître de la pluie, du vent et du

tonnerre.

Vinée récolte du vin.

Receveur. Pour le métayer. Terme impropre.

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