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FABLE X.

La Montagne qui accouche.

Cff. PHEDRE, IV, f. 21; YSOPET I, f. 23; YSOPET II, f. 34.

Une montagne en mal d'enfant
Jetoit une clameur si haute

Que chacun, au bruit accourant,
Crut qu'elle accoucheroit sans faute
D'une cité plus grosse que Paris :
Elle accoucha d'une souris 1.

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■ D'une souris. Il existe un proverbe grec dont cette première partie de l'apologue est la paraphrase:

Ώδινεν ὄρος, Ζεὺς δ ̓ ἐφοβεῖτο, τὸ δέ ἔτεκεν μῦν.
Parturiebat mons, Jupiterque metuebat; at ille peperit murem.

<< La mocquerie est telle que de la montagne d'Horace, laquelle crioit et lamentoit énormément comme femme en travail d'enfant. A son cry et lamentation accourut tout le voisinage en expectation de veoir quelque admirable et monstrueux enfantement; mais enfin ne nacquist d'elle qu'une petite souris.» (RABELAIS, Pantagruel, Ill, c. xxiv.)

2 Menteur. Sans doute, il doit en être ainsi de toutes les fables; mais l'aveu naïf du poëte a pour but de racheter l'invraisemblance du sujet.

Et le sens est véritable,

Je me figure un auteur

Qui dit : Je chanterai la guerre

Que firent les Titans au maître du tonnerre.
C'est promettre beaucoup: mais qu'en sort-il souvent?
Du vent 3.

FABLE XI.

La Fortune et le jeune Enfant.

Cff. ÉSOPE, f. 62, 256; REGNIER, sat. XIV.

Sur le bord d'un puits très-profond
Dormoit, étendu de son long,

Un enfant alors dans ses classes.

Tout est aux écoliers couchette et matelas.

1 Et le sens, etc. La correction grammaticale exigerait la répétition du pronom (dont) ou la suppression du verbe (est). 2 Titans. Les géants, enfants de Titan, cherchèrent à escalader le ciel en entassant montagnes sur montagnes; mais Jupiter les foudroya.

3 Du vent. Ce vers de deux syllabes fait ici un effet trèsagréable, et on ne peut mieux exprimer la nullité de la production annoncée avec faste. (CHAMFORT.) Ce passage rappelle les vers suivants d'HORACE:

-

Nec sic incipies, ut scriptor cyclicus olim :

« Fortunam Priami cantabo et nobile bellum. »
Quid dignum tanto feret hic promissor hiatu?
PARTURIENT MONTES, NASCETUR RIDICULUS MUS.

(De Art. Poet., V, 136 et s.)

Rapprochez de cette fable le Coq et la Perle (suprà, 1, 18). V. notamment la remarque 6, p. 51.

Un honnête homme ', en pareil cas,
Auroit fait un saut de vingt brasses.
Près de là, tout heureusement,

La Fortune passa, l'éveilla doucement,
Lui disant: Mon mignon, je vous sauve la vie ;
Soyez une autre fois plus sage, je vous prie.
Si vous fussiez tombé, l'on s'en fût pris à moi ;
Cependant c'étoit votre faute.

Je vous demande, en bonne foi,
Si cette imprudence si haute

Provient de mon caprice 2. Elle part à ces mots.
Pour moi, j'approuve son propos.

Il n'arrive rien dans le monde
Qu'il ne faille qu'elle en réponde:
Nous la faisons de tous écots 3,

1 Un honnête homme. La Fontaine laisse encore percer ici son aversion pour l'enfance. (V. suprà, l'Enfant et le Maître d'école (I, 17), p. 48 et s.

2 Provient de mon caprice.

Sus, badin, levez-vous; si vous tombiez dedans,
De douleur vos parents, comme vous imprudents,
Croyant en leur esprit que de tout je dispose,
Diroient, en me blâmant, que j'en serois la cause.
(REGNIER.)

3 Écots. Écot, part afférente à chaque convive dans les frais d'un repas commun. Le sens de cette phrase est qu'on rend la fortune responsable de tout, que l'on met à sa charge tous les frais. Suivant Geruzez, écot, qui s'écrivit d'abord escot, signifiait repas, consommation; la racine, ajoute-t-il, doit être escotum, mot barbare formé d'esca. Cette explication ne nous semble pas tout à fait satisfaisante: écot, escot, dérive d'un mot de la basse latinité scotum, qui signifie contribution, taxe, cens. Le Dictionnaire de l'Académie le rattache au latin quitus. Un commentateur, au grec Exe. La première interprétation est ingénieuse; la seconde ne supporte pas l'examen.

Elle est prise à garant de toutes aventures.
Est-on sot, étourdi, prend-on mal ses mesures,
On pense en être quitte en accusant son sort :
Bref, la Fortune a toujours tort.

FABLE XII.

Les Médecins.

Cff. ÉSOPE, f. 126, 224, 31, 43.

Le médecin Tant-Pis alloit voir un malade
Que visitoit aussi son confrère Tant-Mieux '.
Ce dernier espéroit, quoique son camarade
Soutînt que le gisant 2 iroit voir ses aïeux 3.
Tous deux s'étant trouvés différents pour la cure,
Leur malade paya le tribut à nature,

Après qu'en ses conseils Tant-Pis eut été cru.
Ils triomphoient encor sur cette maladie.

L'un disoit : Il est mort; je l'avois bien prévu.
S'il m'eût cru, disoit l'autre, il seroit plein de vie *.

↑ Tant-Mieux, Tant-Pis. Médecins d'un caractère opposé, l'un pessimiste, l'autre optimiste.

2 Gisant. Le malade qui était au lit.

3 Irait voir ses aïeux. Ailleurs nous lisons :

Mes chers enfants, dit-il, je vais où sont nos pères.

(Le Vieillard et ses Enfants, suprà, IV, 16, p. 174.)

Vie. Cette composition est moins un apologue qu'une épi

gramme.

FABLE XIII.

La Poule aux œufs d'or.

Cff. ESOPE, f. 153, 136.

L'avarice perd tout en voulant tout gagner.
Je ne veux, pour le témoigner,

Que celui dont la poule, à ce que dit la fable,
Pondoit tous les jours un œuf d'or.

Il crut que dans son corps elle avoit un trésor;
Il la tua, l'ouvrit, et la trouva semblable
A celles dont les oeufs ne lui rapportoient rien,
S'étant lui-même ôté le plus beau de son bien.

Belle leçon pour les gens chiches 1!
Pendant ces derniers temps, combien en a-t-on vus
Qui du soir au matin sont pauvres devenus

Pour vouloir trop tôt être riches 3 !

1 Chiches. Cette expression familière désigne celui qui fait à regret une dépense nécessaire. Un commentateur dit, avec raison, que ce mot est ici impropre; il faudrait cupide, car la leçon s'adresse à ceux qui veulent s'enrichir trop vite.

2 Vouloir. Il serait plus correct de dire: avoir voulu.

3 Trop tôt être riches. « Les fortunes promptes en tout genre sont les moins solides, parce qu'il est rare qu'elles soient l'ouvrage du mérite. Les fruits mûrs, mais laborieux, de la prudence, sont toujours tardifs. » (VAUVEnargues.)

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