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Arrière ceux dont la bouche
Souffle le chaud et le froid !!

FABLE VIII.

Le Cheval et le Loup.

Cff. ÉSOPE, f. 134, 263; Ysopet, I, f. 41, du Cheval qui mata

le Lion.

Un certain loup, dans la saison

Que les tièdes zéphyrs ont l'herbe rajeunie 2,

1 Souffle le chaud et le froid. Qui disent d'une même personne, d'un même fait, le blanc et le noir, le pour et le contre. -«L'homme est l'animal de tous le plus difficile à sonder...il y a chez lui tant de cabinets et d'arrière-boutiques d'où il sort, Lantost homme, tantost satyre, tant de soupirails dont il souffle tantost la chaleur, tantost le froid. » (CHARRON, de la Sagesse, I, ch. 5.) VOLTAIRE dit avec raison, à propos de la moralité de cet apologue : « C'est abuser d'un proverbe trivial qui n'est pas ici appliqué avec justesse. » (Discours aux Velches.) La duplicité est blâmable; le passant agit ici d'une manière très-sensée.

2 Ont l'herbe rajeunie. Au lieu de ont rajeuni l'herbe. Inversion. Se rencontre aussi dans Corneille et dans Racine. Voltaire dit, à propos de deux vers de la tragédie des Horaces*, que si ce déplacement ne s'accorde pas avec la grammaire, il

* Il est de tout son sang comptable à la patrie,
Chaque goutte épargnée a sa gloire flétrie.

Et que les animaux quittent tous la maison.
Pour s'en aller chercher leur vie;

Un loup, dis-je, au sortir des rigueurs de l'hiver,
Aperçut un cheval qu'on avoit mis au vert 1.
Je laisse à penser quelle joie.

Bonne chasse 2, dit-il, qui l'auroit à son croc !
Eh! que n'es-tu mouton ! car tu me serais hoc 3
Au lieu qu'il faut ruser pour avoir cette proie.
Rusons donc. Ainsi dit, il vient à pas comptés;
Se dit écolier d'Hippocrate;

Qu'il connoît les vertus et les propriétés
De tous les simples 5 de ces prés;

Qu'il sait guérir, sans qu'il se flatte,

est pourtant plus beau, plus poétique, plus éloigné du langage ordinaire, sans causer d'obscurité. Nous ajouterons, malgré l'autorité de Voltaire, que cette inversion, admise autrefois dans le style le plus noble, n'est plus reçue aujourd'hui que dans le style familier.

1 Au vert. Dans le pré, à l'herbe verte.

2 Bonne chasse. Ellipse hardie: celui-là ferait bonne chasse, qui, etc.

3 Tu me serais hoc. Expression familière, pour dire tu serais assurément à moi. Allusion à un jeu de cartes, nommé le hoc, et où l'on dit hoc, comme dans d'autres jeux on dit atout, en jetant sur le tapis les cartes gagnantes. Dans ce jeu il y a, dit Ménage, six cartes qui sont hoc, c'est-à-dire assurées à celui qui les joue. Dans MOLIÈRE, Martine dit :

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▲ Hippocrate. De Cos. Le plus illustre médecin de l'antiquité grecque (460-357 av. J.-C.).

Simples. Nom générique et vulgaire des herbes et des plantes médicinales.

Toutes sortes de maux. Si dom coursier vouloit
Ne point celer sa maladie,

Lui loup gratis le guériroit ;
Car le voir en cette prairie
Paître ainsi, sans être lié,
Témoignoit quelque mal, selon la médecine.
J'ai, dit la bête chevaline,

Une apostume sous le pied.

Mon fils, dit le docteur, il n'est point de partie
Susceptible de tant de maux.

J'ai l'honneur de servir nosseigneurs les chevaux,
Et fais aussi la chirurgie.

Mon galant ne songeoit qu'à bien prendre son temps, Afin de happer 3 son malade.

3

L'autre, qui s'en doutoit, lui lâche une ruade

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1 Dom coursier. Sans relever ce qu'il y a de plaisant dans le langage du loup, notons que le mot dom (contracté du latin dominus) est un titre d'honneur attaché aux noms propres des membres de certains ordres religieux, entr'autres aux Bénédictins: Dom Mabillon, Dom Rivet sont bien connus dans la république des lettres. Ne pas le confondre avec DON, titre d'honneur réservé aux nobles d'Espagne et de Portugal (don Juan). (V. encore infrà, le Cochon, la Chèvre et le Mouton, VIII, 12.)

abcès;

2 VARIANTE UN apostume.-Apostume ou apostème; terme suranné. Le Dictionnaire de l'Académie en fait un substantif masculin.

3 Happer. Expression familière : surprendre à l'improviste. 4 Qui vous lui met, etc. Vous, explétif.

& Mandibules, les mâchoires. « A l'autre feut démanchée la mandibule supérieure. » (RABELAIS, Pantagruel, IV, ch. xv.)

C'est bien fait, dit le loup en soi-même, fort triste ;
Chacun à son métier doit toujours s'attacher;
Tu veux faire ici l'arboriste

Et ne fus jamais que boucher.

FABLE IX.

Le Laboureur et ses Enfants.

Cff. ÉSOPE, f. 33, 22.

Travaillez, prenez de la peine :
C'est le fonds qui manque le moins 2.

1 VARIANTE L'herboriste dans toutes les éditions modernes; mais c'est à tort. La Fontaine a mis l'arboriste dans toutes les éditions données par lui. Il suivait en cela l'usage vulgaire, comme le prouve le passage suivant de Richelet, dans son Dictionnaire imprimé à Genève, en 1680, in-4o, t. I, p. 398 : « Le peuple dit arboriste; quelques savants hommes, herboriste. » Aujourd'hui celui-ci a définitivement supplanté celui-là. Les deux derniers vers de cette fable sont la traduction presque littérale de FAERNE :

Ibi Lupus... Jure, inquit, hoc accidit,

Neque enim coquus qui sum agere medicum debur:

Quam quisque nôrit artem in hanc se exerceat.

2 C'est le fonds, etc. Ce vers a besoin d'une explication; la voici un fonds d'argent, un fonds de terre peuvent manquer, être enlevés ou dissipés de bien des manières, on n'en a que trop d'exemples: le travail est de tous les fonds, c'est-à-dire

Un riche laboureur, sentant sa mort prochaine,
Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins.
Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage
Que nous ont laissé nos parents :

Un trésor est caché dedans.

Je ne sais pas l'endroit; mais un peu de courage
Vous le fera trouver : vous en viendrez à bout.
Remuez votre champ dès qu'on aura fait l'oût 1;
Creusez, fouillez, bêchez; ne laissez nulle place
Où la main ne passe et repasse.

Le père mort, les fils vous retournent le champ,
Deçà, delà, partout; si bien qu'au bout de l'an
Il en rapporta davantage.

D'argent, point de caché. Mais le père fut sage
De leur montrer, avant sa mort,

Que le travail est un trésor 3.

de toutes les sources de la richesse, le moins sujet à manquer à celui qui le possède. La Fontaine explique plus clairement sa pensée en disant à la fin de sa fable que le travail est un trésor. (GERUZEZ.)

1 Oût. Moisson. V. suprà, la Cigale et la Fourmi (I, 1), p. 4, n. 4. Faire l'oût, faire la moisson.

2 Les fils vous retournent, etc. Gallicisme.

3 Que le travail est un trésor. Laboribus vendunt nobis omnia bona dei. Τῶν πόνων πωλοῦσιν ἡμῖν πάντα τ ̓ ἀγαθ ̓ οἱ θεοί. (HESIOD, Εργ. καὶ ἡμέρ., V. 508.)

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