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Que d'y ruminer jour et nuit,

Et rendre sa chevance 1 à lui-même sacrée.

Qu'il allât ou qu'il vînt, qu'il bût ou qu'il mangeât,
On l'eût pris de bien court, à moins qu'il ne songeât
A l'endroit où gisoit cette somme enterrée.

Il y fit tant de tours qu'un fossoyeur le vit,
Se douta du dépôt, l'enleva sans rien dire.
Notre avare un beau jour ne trouva que le nid.
Voilà mon homme aux pleurs 3: il gémit, il soupire,
Il se tourmente, il se déchire.

Un passant lui demande à quel sujet ses cris.
C'est mon trésor que l'on m'a pris.

Votre trésor ! où pris?-Tout joignant cette pierre.-
Eh! sommes-nous en temps de guerre

Pour l'apporter si loin? N'eussiez-vous pas mieux fait De le laisser chez vous en votre cabinet,

Que de le changer de demeure?

Vous auriez pu sans peine y puiser à toute heure.— A toute heure, bons dieux! ne tient-il qu'à cela? L'argent vient-il comme il s'en va?

Je n'y touchois jamais. Dites-moi donc, de grâce, Reprit l'autre, pourquoi vous vous affligez tant: Puisque vous ne touchiez jamais à cet argent,

1 Chevance. Autre mot suranné : le bien qu'on a. Dans la vielle langue romane, ce mot signifie : bien, héritage, richesse. Faire chevance, gagner, amasser des richesses.

Bon chevalier, courageux aux alarmes...
Abandonna terres, biens et chevances.

. (GILLES D'AURIGNY, le Tuteur d'amour.)

On l'eût pris de bien court. Il eût fallu saisir un intervalle bien court pour le prendre ne songeant pas à l'endroit, etc. 3 Aux pleurs. Emploi poétique de la préposition à.

Mettez une pierre à la place;
Elle vous vaudra tout autant '.

FABLE XIX.

L'OEil du Maître.

Cff. PHÈDRE, II, f. 8.

Un cerf, s'étant sauvé dans une étable à bœufs,
Fut d'abord averti par eux

Qu'il cherchât un meilleur asile.

2

Mes frères, leur dit-il, ne me décelez pas :
Je vous enseignerai les pâtis les plus gras;
Ce service vous peut quelque jour être utile,
Et vous n'en aurez point regret.

Les boeufs, à toutes fins, promirent le secret.
Il se cache en un coin, respire, et prend courage 3.
Sur le soir on apporte herbe fraîche et fourrage,
Comme l'on faisoit tous les jours:

▲ Tout autant, etc. L'avare ne tire pås plus d'avantage de son argent que s'il avait des pierres dans ses coffres. (GALLAND, Max. des Orientaux.)

2 Pâtis, lieu où l'on fait paître les bestiaux. Ce mot vient directement du roman - wallon, où il signifie, pré, prairie, pâturage ; et indirectement du latin pascere.

3 Il se cache, etc. Peinture exquise.

L'on va, l'on vient, les valets font cent tours,
L'intendant même; et pas un d'aventure

N'aperçut ni cor 1, ni ramure,

Ni cerf enfin. L'habitant des forêts

Rend déjà grâce aux bœufs, attend dans cette étable
Que, chacun retournant au travail de Cérès 2,
Il trouve pour sortir un moment favorable.
L'un des boeufs ruminant lui dit: Cela va bien;
Mais quoi ! l'homme aux cent yeux n'a pas fait sa

3

Je crains fort pour toi sa venue;

[revue:

Jusque-là, pauvre cerf, ne te vante de rien.
Là-dessus le maître entre et vient faire sa ronde.
Qu'est ceci? dit-il à son monde ;

Je trouve bien peu d'herbe en tous ces râteliers.
Cette litière est vieille; allez vite aux greniers;
Je veux voir désormais vos bêtes mieux soignées.
Que coûte-t-il d'ôter toutes ces araignées ?
Ne sauroit-on ranger ces jougs et ces colliers?
En regardant à tout, il voit une autre tête
Que celles qu'il voyoit d'ordinaire en ce lieu.
Le cerf est reconnu : chacun prend un épieu;
Chacun donne un coup à la bête.

1 Cor. Ne s'employe qu'au pluriel (cors), et se dit des branches ou andouillers qui sortent de la ramure ou bois du cerf. Après cinq années révolues, sa ramure se trouvant chargée de cinq andouillers de chaque côté, on l'appelle cerf de dix cors jeunement; à cinq ans et demi, cerf dix cors.

2 Cérès. Dans la mythologie grecque, la déesse de l'agriculture.

3 L'homme aux cent yeux. Allusion mythologique. Argus, suivant la légende, avait cent yeux.

Ses larmes ne sauroient la sauver du trépas '.
On l'emporte, on le sale, on en fait maint repas
Dont maint voisin s'éjouit d'ètre.

Il n'est, pour voir, que l'œil du maître 3.

1 Ses larmes, etc.

Ses larmes ne sauraient adoucir son vainqueur.

(ROUCHER, les Mois, description de la chasse du cerf.)

Pris et hors d'état de se défendre, le cerf verse des pleurs. La Fontaine, on le voit, ne néglige aucune circonstance intéressante.

2 S'éjouit se réjouit.

Je vois les rosiers s'éjouir,

Cultivés d'une façon belle.

(BAÏF.)

Quand on dit j'ai, toute la compagnie

S'en esjouit

(VAUQUELIN.)

Le verbe s'éjouir ne se trouve plus dans la première édition

du Dictionnaire de l'Académie française.

L'œil du maître, etc. Vers devenu proverbe.

FABLE XX.

L'Alouette et ses petits avec le Maître d'un champ.

Cff. ÉSOPE, ap. AULU-GELL. Noct. Attic., lib. II, cap. xxix '.

Ne t'attends qu'à toi seul2; c'est un commun proverbe.

↑ Æsopus ille è Phrygia fabulator haud immeritò sapiens existimatus est; quum quæ utilia monitu, suasuque erant, non severè, non imperiosè præcepit et censuit, ut philosophus mos est, sed festivos delectabilesque apologos commentus, res salubriter ac prospicienter animadversas, in mentes animosque hominum cum audiendi quadam illecebra induit *. Velut hæc ejus fabula de aviculæ nidulo lepide atque jucunde præmonet, spem fiduciamque rerum, quas efficere quis possit, haud unquam in alio, sed in semetipso habendam. Avicula, inquit, est parva. Nomen est cassita. Habitat nidulaturque in segetibus, id fermè temporis, ut appetit messis, pullis jam plumantibus. Ea cassita in sementes fortè congesserat tempestiviores. Propterea frumentis flavescentibus pulli etiam tunc involucres erant. Quum igitur ipsa iret cibum pullis quæsitum, monet cos, ut, si quid ibi rei novæ fieret dicereturve, animadverterent, ibique uti sibi, ubi redisset, nunciarent. Dominus postea segelum illarum filium adolescentem vocat : et, Videsne, inquit,

2 Ne t'attends, etc.

Hoc erit tibi argumentum semper: in promptu situm,
Ne quid expectes amicos quod tu per te agere possis.

(ENNIUS, in incert. satir. libris.)

N'attends d'autruy ce que tu peux.

Vulgo INDUXIT.

(BAÏF.)

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