Il avoit vu sortir gibier de toute sorte, Veaux de lait, agneaux et brebis, Régiments de dindons, enfin bonne provende 1. La mère aussitôt le gourmande; De le donner au loup. L'animal se tient prêt, d'autrui. Voici l'explication qn'en donne Géruzez: « Chapechute, ou chape (riche vêtement ecclésiastique) tombée; les voleurs ramassent lestement ce qui tombe à terre: attendre chape-chute, veut dire attendre la rencontre d'un objet précieux pour s'en emparer. » Cette interprétation nous paraît la bonne, à cette réserve près que chape n'a pas, dans la langue de nos pères, la seule acception de vêtement ecclésiastique : il désigne, en général, une robe munie d'un chaperon pour mettre sur la tête : Elle eut d'une chape fourrée, (Roman de la Rose.) Mme DE SÉVIGNÉ semble ne pas avoir saisi le sens de cette expression, lorsqu'elle dit en parlant de son fils : « Ce n'est point là la vie d'un honnête homme, il trouvera quelque chape-chute, et à force de s'exposer, il aura son fait. >> ▲ Provende, provision de bouche. Dérivé de praebenda, comme aussi le mot prebende, qui désignait autrefois un revenu ecclésiastique, et nommément celui qui était attaché à un canonicat. 2 Géniture, enfant. Le poëte a su conserver un air de noblesse à ce mot qui n'est plus guère usité aujourd'hui dans le ton sérieux. Il en était jadis autrement. Marot appelle le Dauphin, fils de François Ier : royale géniture. Lui dit Ne criez point; s'il vient, nous le tuerons. Qu'est ceci? s'écria le mangeur de moutons : Dire d'un, puis d'un autre ! Est-ce ainsi que l'on traite Les gens faits comme moi? Me prend-on pour un sot? Que quelque jour ce beau marmot Vienne au bois cueillir la noisette... Comme il disoit ces mots, on sort de la maison: [fières Que veniez-vous chercher en ce lieu? lui dit-on. Aussitôt il conta l'affaire. Merci de moi ! lui dit la mère; Tu mangeras mon fils! L'ai-je fait à dessein On assomma la pauvre bête. Un manant lui coupa le pied droit et la tête : Biaux chires leups, n'écoutez mie 1 Épieux. L'épieu est une sorte d'arme à fer plat et pointu, dont on se sert plus ordinairement pour la chasse du sanglier. Fourches-fières. Ce mot signifie, selon Le Duchat, des fourches de fer attachées à de longues perches, pour renverser les échelles, à un assaut ou à une escalade. 3 Biaux chires leups, etc. Beau sire loup, n'écoutez point mère tançant (groudant) son fils qui crie : — Mie, mièz: pas, point, non. Ce mot est encore en usage dans la Champagne, l'Artois, la Flandre et principalement en Picardie. Fieux, fieus, fieu, fiex, fil, fius: fils, enfant : « Chier fieus, li premiere cose que je t'enseigne, si est que tu metes tout ton cuer en Dieu amer.» (Les Enseignements de Saint Louis à son fils, Monseigneur Phelipon.) FABLE XV. Paroles de Socrate. Cff. PHEDRE, III, f. 9. 1 Socrate un jour faisant bâtir, Chacun censuroit son ouvrage : L'un trouvoit les dedans, pour ne lui point mentir, L'autre blâmoit la face, et tous étoient d'avis 1 Socrate; célèbre philosophe grec. L'enseignement de Socrate avait exclusivement pour objet les idées de l'ordre moral et religieux, la destination et la perfection de l'homme considéré comme un être raisonnable, et enfin ses devoirs. Socrate développait sa doctrine d'une manière simple, à mesure que l'occasion s'en présentait, invoquant à l'appui le témoignage du sens moral de l'humanité. 2 Bâtir. Phèdre est le seul écrivain de l'antiquité qui rapporte cette particularité relative à Socrate. Diogène Laërce, au contraire, dit que, loin d'avoir jamais fait bâtir, il refusa un grand terrain qu'Alcibiade lui avait donné à cet effet. La seule circonstance de la vie du philosophe qui offre quelque rapport avec cette fable, est le trait suivant, rapporté par le même Laërce. Un jour qu'il avait invité à dîner des personnes riches, comme Xantippe avait honte du régal qu'il se préparait à leur donner: « Ne vous inquiétez pas, lui dit Socrate; si mes convives sont sobres et discrets, ils se contenteront de ce qu'il y aura. » Quelle maison pour lui! l'on y tournoit à peine. Telle qu'elle est, dit-il, elle pût être pleine ! Le bon Socrate avoit raison De trouver pour ceux-là trop grande maison. 1 Rien n'est plus commun que ce nom, FABLE XVI. Le Vieillard et ses Enfants. Cff. ÉSOPE, f. 33, 174; YSOPET-AVIONNET, f. 10. Toute puissance est faible, à moins que d'être unie3: Écoutez là-dessus l'esclave de Phrygie*. Si j'ajoute du mien à son invention, 1 Mais fou qui s'y repose. - Ailleurs (V. infrà, l'Alouette et ses petits, avec le Maître d'un champ, IV, 20), notre poëte dit: Nos amis ont grand tort, et tort qui se repose Sur de tels paresseux 2 Que la chose. Vers devenus proverbes. Paraphrase du vieil adage: Vis 3 Toute puissance, etc. unita fortior. La même pensée se trouve dans l'Ecclésiastique (c. 4, v. 12). Et si quispiam prævaluerit contra unum, duo resistant ei: funiculus triplex difficile rumpitur. L'esclave de Phrygie. Ésope, né en Phrygie, esclave de Xanthus, si la tradition est fidèle. C'est pour peindre nos mœurs, et non point par envie '; Phèdre enchérit souvent par un motif de gloire : Un vieillard près d'aller où la mort l'appeloit : (PHÈDRE, Prol., lib. III, Epilog., lib. II.) 2 Pensers. V. suprà, le Meunier, son Fils et l'Ane (III, 1), p. 97, n. 7. 3 ou plutôt à l'histoire. — Scylure, roi des Scythes, avait quatre-vingts ans. Lorsqu'il fut sur le point de mourir, il se fit apporter un faisceau de verges, et ordonna à ses fils de le rompre, ainsi lié. Ils le tentèrent tous inutilement. Alors le père prenant les verges l'une après l'autre, les rompit toutes avec la plus grande facilité. Il leur insinuait par là, que leur union les rendrait invincibles, et que la division, en les affaiblissant, causerait infailliblement leur perte.» (PLUTArque, Traité de la démangeaison de parler, trad. de Ricard, t. VI, p. 427.) VOLTAIRE dit, à propos de ce vers : « Je me souviens d'avois lu jadis, dans le recueil des voyages de Plancarpin, de Rubruquis et de Marco-Paolo, qu'un chef de Tartares, étant près de mourir, récita à ses enfants la fable d'un vieillard qui donne à son fils un faisceau de flèches à rompre. » (Mélanges de littérature). A ces noms, Voltaire aurait pu ajouter ceux de deux autres voyageurs du moyen âge, Hayton et Mandeville, qui se sont approprié avec de légères modifications le sujet de notre apologue, dont la source première paraît remonter à Ésope. |