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Et jusqu'au ventre en la litière.
Hélas! que sert la bonne chère,
Quand on n'a pas la liberté?

Le cheval s'aperçut qu'il avoit fait folie ';
Mais il n'étoit plus temps; déjà son écurie
Étoit prête et toute bâtie.

Il y mourut en traînant son lien :

Sage s'il eût remis une légère offense.

Quel que soit le plaisir que cause la vengeance,
C'est l'acheter trop cher que l'acheter d'un bien
Sans qui les autres ne sont rien 3.

1 Fait folie. Ellipse pour faire une folie. Le discours adressé par d'Aubray à l'assemblée des États-Généraux, renferme une allusion au sujet de cet apologue : « Vous avez fait comme le cheval qui, pour se défendre du cerf, lequel il sentoit plus viste et plus vigoureux que lui, appela l'homme à son secours; mais l'homme lui mit un mors, etc. » (Satire Menippée.)

2 Sage s'il eût remis, tournure elliptique.

3 Ne sont rien.- Potiore metallis libertate caret, dit HORACE (Epist. I, 10). SCUDERY a dit, en parlant aussi de la liberté :

Mais César est injuste en voulant nous ôter

Ce que tous les trésors ne sauraient acheter.
(Mort de César, trag.)

Les trois derniers vers, qui contiennent la moralité de la fable, n'en indiquent pas assez toute la portée, dit Chamfort. L'éminent critique semble oublier que, peu de vers plus haut, le poëte a dit :

Hélas!
que sert la bonne chère
Quand on n'a pas la liberté ?

FABLE XII.

Le Renard et le Buste.

Cff. Ésope, f. 11; Phèdre, I, f. 7.

1

Les grands, pour la plupart, sont masques de théâtre;
Leur apparence impose au vulgaire idolâtre.
L'âne n'en sait juger que par ce qu'il en voit :
Le renard, au contraire, à fond les examine,
Les tourne de tout sens; et, quand il s'aperçoit
Que leur fait n'est que bonne mine,
Il leur applique un mot qu'un buste de héros
Lui fit dire fort à propos.

C'étoit un buste creux, et plus grand que nature.
Le renard, en louant l'effort de la sculpture:

«Belle tête, dit-il; mais de cervelle point. »

Combien de grands seigneurs sont bustes en ce point!

Imposer

1 Impose. Aujourd'hui l'on dirait en impose. signifie inspirer du respect, de l'admiration, de la crainte. En imposer a été pris souvent dans le sens précédent, mais il signifie plus exactement tromper, abuser, en faire accroire.

2 En ce point. Cette fable n'est qu'une épigramme dont l'affabulation est le trait.

FABLE XIII.

Le Loup, la Chèvre et le Chevreau.

Cff. GILLES CORROZET, f. 24.

La bique, allant remplir sa traînante mamelle,
Et paître l'herbe nouvelle 2,
Ferma sa porte au loquet,

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La bique, la femelle du bouc, style familier, la chèvre. Ce mot est dérivé du grec 6nxn.

2 Nouvelle. L'harmonie imitative de ces deux premiers vers nous fait fermer les yeux sur le pléonasme qu'ils renferment. 3 Biquet, le petit d'une bique, chevreau.

4. Guet, troupe chargée de la ronde nocturne. Le mot du guet, mot d'ordre donné aux hommes du guet afin de se faire reconnaître.

5 Foin, sorte d'interjection qui marque le dépit, la colère, la haine, le mépris.

• De fortune : par hasard. C'est le forte des Latins: « Arrivant de fortune près l'église de Saint-Léonard, etc. » (Hist. Macaron., liv. III, p. 77.)

Et les garde en sa mémoire.

La bique, comme on peut croire,
N'avoit pas vu le glouton.

Dès qu'il la voit partie, il contrefait son ton,
Et, d'une voix papelarde ',

Il demande qu'on ouvre, en disant: Foin du loup !
Et croyant entrer tout d'un coup.

Le biquet soupçonneux par la fente regarde :
Montrez-moi patte blanche, ou je n'ouvrirai point,
S'écria-t-il d'abord. Patte blanche est un point
Chez les loups, comme on sait, rarement en usage.
Celui-ci, fort surpris d'entendre ce langage,
Comme il étoit venu s'en retourna chez soi.

Où seroit le biquet, s'il eût ajouté foi

2

Au mot du guet que, de fortune,
Notre loup avoit entendu ?

Deux sûretés valent mieux qu'une 3,

Et le trop en cela ne fut jamais perdu.

1 Papelarde, hypocrite, style familier. Guillon affirme à tort que papelard est employé seulement comme substantif. Il l'est tour à tour à titre de substantif et d'adjectif.

2 Rarement, litote, pour jamais.

3 Deux sûretés, etc.

Mieux vaut pécher par trop de prévoyance

Que par trop de sécurité.

(LEBRUN, Fables.)

FABLE XIV.

Le Loup, la Mère et l'Enfant.

Cff. ESOPE, f. 104 et 158; PHILIBert Hégémon, f. 13 '.

Ce loup me remet en mémoire

Un de ses compagnons qui fut encor mieux pris :
Il y périt. Voici l'histoire :

Un villageois avoit à l'écart son logis.

2

Messer loup attendoit chape-chute à la porte;

1 Voici l'apologue de РH. HÉGÉMON:

Un loup cherchant sa proye avec ardeur,
Passa auprès du tect d'un laboureur,

Où il ouyt un enfant qui crioit,
La mère aussi, laquelle le tançoit,
Le menaçant de le donner au loup;
Lequel croyant que ce fuct chose seûre,
Il attendoit pour le manger du tout.

Mais, à la fin, la mère oyant qu'il pleure,
Le caressant et l'appaisant disoit :
Nenni, mon fils, que si le loup s'approche,
Nous le tuerons, quelque puissant qu'il soit,
Hay devant l'oste qu'on ne l'accroche.
Comment! dit lors le loup en s'en allant,
Cette-cy a un cueur double en parlant.

Beaucoup de gens ont une langue double :
Car disant d'un, ils font tout autrement,

Dont bien souvent il advient de grand trouble,

Et avec eux on périt pouvrement.

(Fable d'un Loup, d'une Femme et de son Enfant.)

Chape-chute. Expression proverbiale et figurée : chercher occasion de profiter de la négligence ou du malheur

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