Gras, poli, qui s'étoit fourvoyé par mégarde. Et le matin étoit de taille A se défendre hardiment. Le loup donc l'aborde humblement, Il ne tiendra qu'à vous, beau sire, Vos pareils y sont misérables, Cancres, hères, et pauvres diables, Dont la condition est de mourir de faim. Suivez-moi, vous aurez un bien meilleur destin. 1 Poli. Mot très-juste, car l'un des signes de la santé, chez les chiens et les chevaux, c'est le poli de la peau, ainsi que la douceur et le moëlleux des poils. 2 Fourvoyé. Fourvoyer (foras, via), égarer, détourner de la voie. On disait autrefois forvoyer, Sous les arbres sans forvoyer. (Roman de la Rose.) 3 Cancres. Cette épithète se dit d'un homme sans fortune, comme qui dirait un gueux. 4 Hères. Appellation ironique pour désigner celui qui ne jouit d'aucune considération et qui ne possède rien. Ce mot ne s'emploie guère sans l'adjectif pauvre. s Point de franche lipée : repas qui ne coûte rien. Lipée ou lippée (sic Ac.), de l'allemand lippe (lèvre), signifie ce que les lèvres peuvent saisir. Il est ici synonyme de repas, et dans ce sens il est toujours accompagné de l'épithète franche. Le loup reprit : Que me faudra-t-il faire? Presque rien, dit le chien: donner la chasse aux gens Portants batons, et mendiants; Flatter ceux du logis, à son maître complaire *: 3 Sera force reliefs de toutes les façons, Sans parler de mainte caresse. Le loup déjà se forge une félicité Qui le fait pleurer de tendresse. Chemin faisant, il vit le cou du chien pelé. [chose. Où vous voulez-Pas toujours; mais qu'importe?Il importe si bien que de tous vos repas 4 Je ne veux en aucune sorte, Aux gens porlants. VAR. Les éditions modernes disent : portant. Le participe présent ne porte plus aujourd'hui le signe du pluriel. 2 Complaire. « Un chien ne doit autre chose savoir sinon abayer aux étrangers, flatter les domestiques, ronger les os, lécher la vaisselle et suivre son maître. »(DES PERRIERS, Cymbalum mundi, dial. IV.) 3 Force reliefs. Reliefs, expression tombée en désuétude, qui désigne les restes d'un repas, ce que l'on relève de table. Force, adverbe, beaucoup. Il importe si bien... Hélas! que sert la bonne chère Quand on n'a pas la liberté. (Le cheval s'étant voulu venger du cerf, IV, 44.) Et ne voudrois pas même à ce prix un trésor 1. FABLE VI. → La Génisse, la Chèvre et la Brebis, en société avec le Lion. Cff. ESOPE, 38; Phèdre, 1, 5. La génisse, la chèvre, et leur sœur la brebis, Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. Dans Phèdre, le loup déclare qu'il ne voudrait pas même pour un royaume engager sa liberté : Regnare nolo, inquit, liber ut non sim mihi. Chamfort blâme ce vers: Un loup, dit-il, n'a que faire de trésor. Si cette critique était fondée, il faudrait biffer d'un trait de plume la plupart des fables, car il est de leur nature de prêter aux animaux privés de raison les attributs de la personnalité, et notamment les sentiments et les passions qui agitent les hommes. D'ailleurs un trésor n'est pas essentiellement de l'or: un troupeau de moutons qui serait à la merci d'un loup aurait pour lui une grande valeur. 2 S'enfuit et court encore. Le poëte n'a pas formulé la morale qui découle de son apologue : l'éloge de la liberté y est assez transparent. Firent société, dit-on, au temps jadis", Et mirent en commun le gain et le dommage 3. Eux venus, le lion par ses ongles compta; Et dit: Nous sommes quatre à partager la proie. C'est que je m'appelle lion: A cela l'on n'a rien à dire. A Firent société. Cette fable est généralement critiquée comme péchant à plusieurs égards contre la vraisemblance. D'abord l'association qu'elle suppose est absurde et contre nature. Le lion n'a nul besoin pour chasser des trois autres personnages que cet apologue met en scène ; ils sont euxmêmes le gibier qu'il cherche. Que si le poëte a voulu montrer le danger d'une association avec plus fort que soi, d'autres images étaient plus propres à rendre cette vérité sensible. (Voy. la fable du Pot de terre et du Pot de fer.) En second lieu, les associés du lion, en leur qualité d'herbivores, ne perdaient rien à ne point partager avec un animal dont la nourriture n'est pas la même que la leur. Enfin est-il croyable qu'un cerf se soit trouvé pris dans les lacs de la chèvre? 2 Dit-on, au temps jadis. La Fontaine semble avoir voulu racheter l'invraisemblance du fait, eu le rattachant à un passé déjà très-éloigné.— Jadis, adverbe, signifiant autrefois, il y a longtemps, s'emploie adjectivement avec le mot temps dans le style familier. Cela était bon au temps jadis. 3 Le gain et le dommage. L'association semble donc établie sur un pied de parfaite égalité. 4 Lacs (de laqueus) piége, filets; d'où le diminutif lacet. 5 Sire. Titre réservé aux souverains. Dans le domaine de l'apologue, le lion est le roi des animaux terrestres, comme l'aigle le monarque de la gent empennée. La seconde, par droit, me doit échoir encor : Je l'étranglerai tout d'abord. FABLE VII. a Besace. Cff. ESOPE; PHEDRE, IV, 9; AVIENUS, f. 14; SÉNÈQUE, Jupiter dit un jour : Que tout ce qui respire Je mettrai remède 2 à la chose. Venez, singe; parlez le premier, et pour cause 3: 1 Jupiter dit un jour. Début solennel en rapport avec la majesté de l'orateur.- Jupiter, roi des dieux, fils de Saturne et de Rhée. 2 Je mettrai remède. Expression vive, mais peu correcte; il faudrait Je porterai remède. 3 Venez, singe; parlez le premier, et pour cause. Avienus prête à cette hideuse créature, qu'il qualifie de turpissima, la parole avant toutes les autres : cette circonstance, jointe à l'odieuse épithète donnée au personnage, aura fait naître sous la plume du poëte français ce vers de situation. Jupiter, frappé de la singulière figure du singe, s'empresse de l'interroger, parce qu'il le croit celui des animaux qui doit trouver le plus à redire à son composé. |