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De ces dieux qui sont sourds, bien qu'ayants' des

[oreilles.

Le païen cependant s'en promettoit merveilles.
Il lui coûtoit autant que trois :

2

Ce n'étoit que vœux et qu'offrandes,

Sacrifices de bœufs couronnés de guirlandes.
Jamais idole, quel qu'il fût 3,

N'avait eu cuisine si grasse;

Sans que, pour tout ce culte, à son hôte il échût
Succession, trésor, gain au jeu, nulle grâce.

Bien plus, si pour un sou d'orage en quelque endroit
S'amassoit d'une ou d'autre sorte,

L'homme en avoit sa part, et sa bourse en souffroit :
La pitance du dieu 5 n'en étoit pas moins forte.
A la fin, se fâchant de n'en obtenir rien,

1 Ayants. La Fontaine met encore ici au pluriel le participe présent.

2 Ce n'étoit que vœux, etc. Aujourd'hui l'on dirait ce n'étaient.

3 Idole quel qu'il fût. La Fontaine fait ici idole masculin, et Corneille fournit aussi un exemple semblable. Cependant Ménage, dans ses Remarques sur Malherbe, nous apprend que, même du temps de notre poëte, l'usage avait fixé ce mot au féminin.

4 Si pour un sou d'orage, etc. Négligence qui touche à la trivialité.

La pitance du dieu. On est choqué de cet étrange amalgame d'expressions triviales avec ce qu'il y a de plus auguste; avec ce mot toujours respectable, lors même qu'il est dénaturé par la superstition; ce mot, enfin, que Newton n'entendit jamais prononcer sans se découvrir la tête par respect.

Il vous prend un levier ', met en pièces l'idole,
Le trouve rempli d'or. Quand je t'ai fait du bien,
M'as-tu valu, dit-il, seulement une obole?
Va, sors de mon logis, cherche d'autres autels.
Tu ressembles aux naturels

Malheureux, grossiers et stupides :

On n'en peut rien tirer qu'avecque le bâton.
Plus je te remplissois, plus mes mains étoient vides:
J'ai bien fait de changer de ton,

1 Levier, barre de fer. Qu'y a-t-il d'étonnant qu'une idole de bois ne réponde pas à nos vœux, et que, renfermant de l'or, l'or paraisse quand vous brisez la statue ? Que conclure de tout cela? qu'il faut battre ceux d'un naturel stupide : cette méthode ne produit rien de bon.

2 Avecque est ici de trois syllabes, par licence poétique. V. suprà, les Loups et les Brebis (III, 12), p. 126, n. 4.

FABLE VII.

Le Geai paré des plumes du Paon.

Cff. ÉSOPE, f. 285, 205; PHÈDRE, I, f. 3; HOR., Ep., 3, v. 18;
BABRIUS, les Oiseaux et le Choucas; ANTOINE DE BAÏF, le
Chucas (le Geai) 1.

Un paon muoit 2: un geai prit son plumage;
Puis après se l'accommoda;

1 Voici l'apologue d'Antoine de Baïf qui, sauf quelques légères imperfections, est regardé, par les meilleurs critiques, comme un chef-d'œuvre d'imagination et de grâce :

2 Muoit.

Au temps jadis les oiseaux demandèrent
D'avoir un roi, puis entre eux accordèrent
De décerner la couronne à l'oiseau
Que Jupiter trouveroit le plus beau.
Ains que venir au lieu de l'assemblée,

Tous les oiseaux vont à l'eau non troublée
Des ruisselets se mirer et baigner,
Et leur plumage agencer et peigner.
Le noir chucas, qui n'a point d'espérance,
Sans quelque dol, d'avoir la préférence,
Va cauteleux loin à val des ruisseaux,
Sur qui flottoient maintes plumes d'oiseaux,
Qui au-dessus voguoient, et par malice
Il s'embellit d'un nouvel artifice.
En lieu secret, dans un vallon ombreux,
Dans le courant qui n'étoit guère creux,
Sur un caillou s'assied, et au passage
Guette et retient le plus beau du pennage
De tous oiseaux, qui plus haut se lavoient
Près l'endroit où les oiseaux dérivoient;
Prend le plus beau, plume à plume le tire,

Muer, se dit des animaux quand ils changent de poil, de plumes, de peau, ete.

Puis parmi d'autres paons tout fier se panada,
Croyant être un beau personnage.

Quelqu'un le reconnut: il se vit bafoué',
Berné, sifflé, moqué, joué,

Avec le bec ouvrier s'en approprie,
Le joint, l'ordonne et l'accoutre si bien
Que d'arrivée il semble du tout sien.
Ainsi vestu des plumes empruntées,
S'orgueillissant des pennes rejetées
D'autres oiseaux, il court imprudemment
Où l'attendoit le sacré jugement.
Il y paroît; lors toute l'assemblée
De grand merveille est ravie et troublée,
Voyant briller un pennage éclatant
De cent couleurs, et lui vont souhaitant
Dedans leur cœur, de rencontre première
La royauté. Jupiter n'eut plus guère
Tenu sa voix, et l'alloit déclarer
Roi des oiseaux, sans pouvoir réparer
Ce qu'il eût dit, son arrêt ferme et stable
A tout jamais étant irrévocable;
Dont le chucas pour jamais s'en alloit
Roi des oiseaux. Jupiter y penchoit
Sans la chevèche. Elle qui ne se fie
En ses bons yeux, et ne se glorifie
En sa beauté, s'approche du chucas,
L'épluche bien. O le merveilleux cas!
Elle aperçoit la plume qui est sienne,
Crie et la prend : « Chacun de vous s'en vienne
A ce larron; chacun reconnoistra

Ce qui est sien; le beau roi devestra

De sa beauté. » La chevèche écoutée
A grand risée à ce peuple apprestée.
Chacun y vient, sa plume reconnoist,
Du bec la tire, et le chucas devest.
Le fin larron, dépouillé du plumage
Qu'il a d'autrui, par la chevèche sage,
De tout honneur demeure dénué,

Et son orgueil en mépris fut mué.

1 Bafoué, etc. J.-B. ROUSSEAU, en parlant de La Mothe, qu'il représente dans une situation analogue à celle du Geai de la fable, tient à peu près le même langage :

Tout leur saoul l'ayant berné, hué,

Croquignolé, souffleté, conspué,

Pour dernier trait, son masque lui reprirent.

(L. I, allég. 2.)

C'est à cette fable qu'Horace fait allusion, pour engager le

Et par messieurs les paons plumé d'étrange sorte; Même vers ses pareils s'étant réfugié,

Il fut par eux mis à la porte.

Il est assez de geais à deux pieds comme lui,
Qui se parent souvent des dépouilles d'autrui,
Et que l'on nomme plagiaires.

Je m'en tais, et ne veux leur causer nul ennui :
Ce ne sont pas là mes affaires.

FABLE VIII.

Le Chameau et les Bâtons flottants.

Cff. ÉSOPE, f. 148, 118.

Le premier qui vit un chameau'
S'enfuit à cet objet nouveau;

Le second approcha; le troisième osa faire

poëte Celsus à se servir de ses propres richesses, et à ne pas se parer de celles que contenait la bibliothèque palatine d'Auguste :

Ne si forte suas repetitum venerit olim

Grex avium plumas, moveat cornicula risum
Furtivis nudata coloribus.

(Ep., lib. I, 3, v. 18.)

▲ Le premier, etc. La précision qui règne dans ces quatre premiers vers exprime à merveille la facilité avec laquelle l'homme se familiarise avec les objets les plus nouveaux pour lui et les plus effrayants.

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