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De quoi faire à Margot pour sa fête un bouquet;
Peu de jasmin d'Espagne, et force serpolet.
Cette félicité, par un lièvre troublée,

Fit qu'au seigneur du bourg notre homme se plaignit.
Ce maudit animal vient prendre sa goulée'
Soir et matin, dit-il, et des pièges se rit;

Les pierres, les bâtons y perdent leur crédit :
Il est sorcier, je crois. Sorcier ! je l'en défic,
Repartit le seigneur: fùt-il diable, Miraut *,
En dépit de ses tours, l'attrapera bientôt.
Je vous en déferai, bonhomme, sur ma vie.
Et quand?
Et des demain, sans tarder plus
[longtemps.

La partie ainsi faite, il vient avec ses gens.
Cependant on fricasse, on se rue en cuisine.
De quand sont vos jambons? Il ont fort bonne

[mine.

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L'embarras des chasseurs succède au déjeuné.
Chacun s'anime et se prépare :

Les trompes et les cors font un tel tintamarre
Que le bonhomme est étonné.

1 Goulée. Grosse bouchée, de gula, gosier, comme on dit bouchée, de bouche. Dans la vieille langue romane, les mots gole, golle, gollée, signifient bouche, gueule, gosier.

2 Les pierres, etc. Idée originale.

3 Miraut. Nom de chien, dérivé du verbe mirer, terme de chasse, qui signifie viser, examiner avec attention.

On se rue en cuisine. RABELAIS dit de Gargantua : « Il se ruoit en cuisine. » (Liv. I, ch. ix, et IV, ch. x.)

Le pis fut que l'on mit en piteux équipage
Le pauvre potager: adieu planches, carreaux ';
Adieu chicorée et poireaux;

Adieu de quoi mettre au potage.

2

Le lièvre étoit gité dessous un maître chou.
On le quête; on le lance il s'enfuit par un trou,
Non pas trou, mais trouée, horrible et large plaie
Que l'on fit à la pauvre haie

Par ordre du seigneur; car il eût été mal
Qu'on n'eût pu du jardin sortir tout à cheval.
Le bonhomme disoit : Ce sont là jeux de prince 3.
Mais on le laissoit dire; et les chiens et les gens
Firent plus de dégât en une heure de temps
Que n'en auroient fait en cent ans
Tous les lièvres de la province.

Petits princes, videz vos débats entre vous:
De recourir aux rois vous seriez de grands fous.
Il ne les faut jamais engager dans vos guerres,
Ni les faire entrer sur vos terres.

1 Adieu planches, carreaux, etc. V. infrà, la Laitière et le Pot au lait (VII, 8).

2 Gité, couché.

3 Jeux de prince. « Encore y a-t-il une autre sorte de cruauté, à savoir celle qui s'exerce plus de gayté de cœur que par vengeance, à quoi les grands seigneurs s'adonnent plustost que les hommes de basse condition, dont est venu le proverbe Ce sont jeux de princes, ils plaisent à ceux qui les font.» (H. ESTIENNE, Apol. pour Hérodote, t. II, p. 474.)

4 Petits princes, etc. Nous rencontrons encore ici, comme dans la fable les Membres et l'Estomac (suprà, III, p. 103 et s.), une frappante actualité politique. Après avoir fait la leçon aux peuples, il est impossible de la faire plus agréablement aux rois, et surtout à ceux qui, dans les affaires de leur royaume, appellent l'intervention de leurs voisins. (Louandre.)

FABLE III.

L'Ane et le petit Chien.

Cff. Ésope, f. 293, 216.

Ne forçons point notre talent ';
Nous ne ferions rien avec grâce :
Jamais un lourdaud, quoi qu'il fasse,
Ne sauroit passer pour galant.
Peu de gens, que le ciel chérit et gratifie
Ont le don d'agréer infus avec la vie.

2

C'est un point qu'il leur faut laisser, Et ne pas ressembler à l'âne de la fable,

Qui, pour se rendre plus aimable, Et plus cher à son maître, alla le caresser. Comment! disoit-il en son âme,

Ce chien, parce qu'il est mignon,

1 Ne forçons point, etc.

Tu nihil invitá dices faciesve Minerva.

(HOR., de Arte poet. liber, v. 385).

2 Peu de gens, etc. Autre réminiscence de l'antiquité :

Jupiter, etc.

Pauci quos æquus amavit

(VIRG., En., VI, 129.)

3 Infus: se dit des connaissances ou des vertus que l'on possède sans avoir travaillé à les acquérir.

4 Mignon, délicat, joli, gentil. Dans la vieille langue 'romane, on disait mignot, mion, avec la même acception. En bas breton existe aussi le mot mignon. L'origine en est dou

1

Vivra de pair à compagnon
Avec monsieur, avec madame;
Et j'aurai des coups de bâton!
Que fait-il? il donne la patte;
Puis aussitôt il est baisé :

S'il en faut faire autant afin que l'on me flatte,
Cela n'est pas bien malaisé.

Dans cette admirable pensée,

Voyant son maître en joie, il s'en vient lourdement,
Lève une corne tout usée,

La lui porte au menton fort amoureusement,
Non sans accompagner, pour plus grand ornement,
De son chant gracieux cette action hardie.
Oh! oh! quelle caresse! et quelle mélodie !
Dit le maître aussitôt. Holà, Martin-bâton 2!
Martin-bâton accourt: l'âne change de ton.
Ainsi finit la comédie.

teuse

les uns le rattachent au latin minimus; les autres à l'espagnol mi ninno, c'est-à-dire mî puer; d'autres, au haut allemand minne, amour et objet aimé.

1 De pair à compagnon ; d'égal à égal, familièrement (cum aliquo ex pari vivere).

2 Martin-bâton. Le valet d'écurie, armé d'un bâton, chargé de corriger. Cette burlesque dénomination est empruntée de RABELAIS. Mais cet écrivain l'employe pour désigner le bâton même. « Je battrai (dit Panurge) ma femme en tigre si elle me fache. Martin-bâton en fera l'office. » (Pantagruel, liv. III. ch. XIV.)

FABLE IV.

Le combat des Rats et des Belettes.

Cff. PHEDRE, IV, f. 6.

La nation des belettes,
Non plus que celle des chats,
Ne veut aucun bien aux rats;
Et sans les portes étrètes 1
De leurs habitations,
L'animal à longue échine *
En feroit, je m'imagine,
De grandes destructions.
Or, une certaine année
Qu'il en étoit à foison,
Leur roi, nommé Ratapon,
Mit en campagne une armée.
Les belettes, de leur part,
Déployèrent l'étendard.

Si l'on croit la renommée,
La victoire balança:

1 VAR. Êtroites. Le poëte emploie étrètes à cause de la rime et par licence poétique. Du reste, autrefois on prononçait étraites, et cet usage s'est conservé dans certaines provinces; mais on l'écrivait comme aujourd'hui.

2 l'animal à longue échine: la belette. Ailleurs, c'est <<< damoiselle belette, au corps long et flouet. » V. suprà, la Belette entrée dans un grenier (III, 14), p. 130 et s.

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