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C'est tour de vieille guerre 1; et vos cavernes creuses
Ne vous sauveront pas, je vous en avertis :
Vous viendrez toutes au logis.

Il prophétisoit vrai notre maître Mitis?
Pour la seconde fois les trompe et les affine 3,
Blanchit sa robe et s'en farine;

Et, de la sorte déguisé,

Se niche et se blottit dans une huche ouverte.
Ce fut à lui bien avisé :

La gent trotte-menu

s'en vient chercher sa perte.

↑ C'est tour de vieille guerre. Ruse connue des vieux soldats. Expression proverbiale empruntée à Rabelais (liv. IV, ch. VIII).

2 Mitis, qui en latin signifie doux, est un surnom qui convient bien à la mine hypocrite du chat. Nous avons conservé dans le style familier le substantif chatte-mite (catus ou cattus et mitis) pour désigner une personne qui affecte une contenance douce, humble et flatteuse, dans le dessein de tromper quelqu'un. Dans la nouvelle 23 de BoN. DEs Periers, un curé demande à un enfant comment chat se dit en latin. L'enfant répond : catus, felis. « Mon ami, dit le curé, je pense bien que vos régents vous ont ainsi montré, mais il y a un bien meilleur mot, c'est mitis. »

3 Affine. Est employé dans son antique acception de duper, tromper.

Par leur astuce sera trompé et affiné.

(RABELAIS, prol. du liv. IV, p. 4.)

Il avait encore conservé ce sens au temps de La Fontaine, car on le retrouve dans Nicot, qui cite cet exemple: «< Affiner un trompeur, circumventorem circumvenire. » Aujourd'hui, affiner est un terme technique: il désigne l'action de purifier les métaux, etc., en les débarrassant des matières étrangères.

4 Gent trotte-menu, qui fait de petits pas. Mot de la création de La Fontaine.

Un rat, sans plus 1, s'abstient d'aller flairer autour : C'étoit un vieux routier, il savoit plus d'un tour; Même il avoit perdu sa queue à la bataille.

3

Ce bloc enfariné ne me dit rien qui vaille 2,
S'écria-t-il de loin au général des chats :
Je soupçonne dessous encor quelque machine:
Rien ne te sert d'être farine.

Car, quand tu serois sac, je n'approcherois pas.
C'étoit bien dit à lui ; j'approuve sa prudence:
Il étoit expérimenté,

Et savoit que la méfiance

Est mère de la sûreté.

1 Sans plus, c'est-à-dire pas plus d'un seul. Cet appendice est comme une seconde fable d'où le poëte tire une nouvelle moralité.

2 Rien qui vaille, expression familière, rien de bon.

3 De loin, etc.

Proculque insidias cernens hostis callidi.

(PHEDRE.)

LIVRE QUATRIÈME.

FABLE PREMIÈRE.

Le Berger et la Mer.

Cff. ÉSOPE, f. 164, 49.

Du rapport d'un troupeau, dont il vivoit sans soins',
Se contenta longtemps un voisin d'Amphitrite *:
Si sa fortune étoit petite,

Elle étoit sûre tout au moins.

A la fin, les trésors déchargés sur la plage
Le tentèrent si bien qu'il vendit son troupeau,
Trafiqua de l'argent, le mit entier sur l'eau.
Cet argent périt par naufrage.

Son maître fut réduit à garder les brebis,
Non plus berger en chef, comme il étoit jadis,
Quand ses propres moutons paissoient sur le rivage :
Celui qui s'était vu Corydon ou Tircis,

Fut Pierrot, et rien davantage..

↑ Sans soins : sans souci, sans inquiétude.

2 Amphitrite. Femme de Neptune, suivant la mythologie. Nommée ici pour la mer.

3 Celui qui s'était vu, etc. La différence entre le berger maître de son troupeau, et le berger valet à gages, se trouve

Au bout de quelque temps il fit quelques profits,
Racheta des bêtes à laine;

Et comme un jour les vents, retenant leur haleine,
Laissoient paisiblement aborder les vaisseaux :
Vous voulez de l'argent, ô mesdames les Eaux !
Dit-il; adressez-vous, je vous prie, à quelque autre:
Ma foi! vous n'aurez pas le nôtre.

Ceci n'est pas un conte à plaisir inventé.
Je me sers de la vérité

Pour montrer, par expérience,
Qu'un sou, quand il est assuré,

Vaut mieux que cinq en espérance;

Qu'il se faut contenter de sa condition;
Qu'aux conseils de la mer et de l'ambition '
Nous devons fermer les oreilles.

1

Pour un qui s'en louera, dix mille s'en plaindront. La mer promet monts et merveilles : Fiez-vous-y; les vents et les voleurs viendront.

2

marquée dans l'Art poétique de BOILEAU qui nous montre Ronsard changeant

sans respect de l'oreille et du son, Lycidas en Pierrot, et Phyllis en Toinon.

(Ch. 11, v. 23, 24).

1 Conseils de la mer et de l'ambition. Expression très-noble et rapprochement très-heureux qui réveille dans l'esprit du lecteur l'idée du naufrage pour le marin et pour l'ambitieux. 2 Voleurs. Pour les pirates, voleurs de mer: synecdoque du genre pour l'espèce.

FABLE II.

Le Jardinier et son Seigneur 1.

Un amateur du jardinage,
Demi-bourgeois, demi-manant,
Possédoit en certain village

Un jardin assez propre, et le clos attenant 2.
Il avoit de plant vif fermé cette étendue :
Là croissoit à plaisir l'oseille et de laitue,

1 Cette fable paraît être tout entière de l'invention de La Fontaine. ROBERT renvoye à Æs. Camerarius, 416, ajoutant : « Ce n'est pas sans hésiter que j'ai indiqué cette fable de Camérarius. » Voici le texte de l'auteur ou du traducteur latin :

MALA MUTATA PEJORIBUS.

Maturescentibus frugibus, custod em quidam apposuerat, qui prohiberet ab illorum transitu làm homines quàm jumenta. Huic cùm permulti elaberentur, neque jumenta assequi posset, præposuit custodiæ arvorum equitem. Hic verò, dùm jumenta, si quâ forte in fruges invasissent, dùmque transeuntes viatores insequitur, majorem stragem propemodùm ipse, quàm qui fugabantur, dedit. »

2 Attenant, contigu. S'emploie dans le style familier et dans le style de pratique.

:

3 VAR. croissoient dans quelques éditions modernes, mais à tort. Toutes les éditions originales portent le singulier, en usage dans ces sortes de phrases du temps de La Fontaine.

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