FABLE IV. Les Grenouilles qui demandent un Roi. Cff. ÉSOPE, f. 37, 170; PHÈdre, I, f. 2. - SATIRE MÉNIPPÉE 1. Les grenouilles, se lassant Par leurs clameurs firent tant Que Jupin les soumit au pouvoir monarchique *. Gent fort sotte et fort peureuse, S'alla cacher sous les eaux, Dans les joncs, dans les roseaux, Dans les trous du marécage, Sans oser de longtemps regarder au visage i « Nous voulons un rõÿ pour avoir la paix; mais nous ne voulons pas faire comme les grenouilles qui, s'ennuyant de leur roy paisible, eslurent la cigogne qui les dévora toutes. >> 2 État démocratique: synonyme de république, gouvernement où le peuple exerce la souveraineté. 3 Jupin, Jupiter. 4 Pouvoir monarchique: pouvoir d'un seul, pouvoir royal. Soliveau, petite pièce de bois. De qui la gravité fit peur à la première, Qui, de le voir s'aventurant, Osa bien quitter sa tanière. Elle approcha 2, mais en tremblant. Et leur troupe à la fin se rendit familière Le bon sire le souffre, et se tient toujours coi . Donnez-nous, dit ce peuple, un roi qui se remue! 6 Et Jupin de leur dire : Eh quoi ! votre désir 1 De qui la gravité, etc. Rappelle le mot de LA ROCHEFOUCAULD: « La gravité est un mystère du corps inventé pour cacher les défauts de l'esprit. >> 2 Elle approcha, etc. Peinture charmante, que l'on peut comparer à celle du Chat et du vieux Rat (h. 1., 15), où nous voyons les souris qui Mettent le nez à l'air, montrent un peu la tête, Puis rentrent dans leurs nids à rats, Puis, ressortant, font quatre pas... 3 Sire. Ici dans le sens de roi. ▲ Coi, te (au féminin), calme, tranquille (quietus). Cet adjectif, qui a vieilli, se trouve dans les plus anciens monuments de notre littérature : Si vous me voliiez enquerre Pourquoi demoroit en la terre Si volontiers, et tenoit quoi, Bien vous diroi raison pourquoi. A son plaisir à discrétion, suivant son bon plaisir. 6 Et grenouilles de... et Jupin de... Ellipses gracieuses. A ses lois croit-il nous astreindre? Garder votre gouvernement; Mais, ne l'ayant pas fait, il vous devoit suffire Cff. ESOPE, f. 4, 284; PHÈDRE, IV, f. 9; CAMERARIUS, f. 74. Capitaine renard alloit de compagnie 2 Avec son ami bouc des plus haut encornés 2 : Après qu'abondamment tous deux en eurent pris 3, 4 De peur d'en rencontrer un pire. Il faut convenir que la conduite de Jupiter, dans cet apologue, n'est point du tout raisonnable. Il est très-simple de désirer un autre roi qu'un soliveau, et très-naturel que les grenouilles ne veulent pas d'une grue qui les croque. (CHAMFort.) 2 Encornés, style familier. 3 En eurent pris: ellipse autorisée par la familiarité du genre. Le renard dit au bouc: Que ferons-nous, compère ? Puis sur tes cornes m'élevant, Après quoi je t'en tirerai. Par ma barbe 2, dit l'autre, il est bon; et je loue Les gens bien sensés comme toi. Je n'aurois jamais, quant à moi, Trouvé ce secret, je l'avoue. Le renard sort du puits, laisse son compagnon, 3 Et vous lui fait un beau sermon Pour l'exhorter à patience. Si le ciel t'eût, dit-il, donné par excellence 1 Ce n'est pas tout, etc. « Cui Vulpes... mihi consilium subiit quo usi servari possumus ambo. Si enim te, in posteriores pedes erigens, priores parieti isti applicueris et caput altè, cornua ut obliqua reclinentur, extuleris: tum ergo de tergo tuo in hæc ascendere atque deinde exsilire de puteo et te mox etiam attrahere facile potero. » (Camerarius, Vulpes et Hircus.) 2 Par ma barbe. Les Orientaux disent: par la barbe d'Ali. Ces expressions rappellent la pratique suivie au moyen âge : on mettait alors sa moustache en dépôt, et, sur cette simple garantie, on obtenait de l'or. Honte jusqu'à la mort pour celui qui n'eût pas racheté sa moustache. Aujourd'hui, il suffit de donner sa signature, et l'on est tout aussi engagé que l'était autrefois l'homme du moyen âge. Gallicisme. Vous est explétif. Autant de jugement que de barbe au menton ', Descendu dans ce puits. Or, adieu; j'en suis hors3: Tâche de t'en tirer, et fais tous tes efforts; Car, pour moi, j'ai certaine affaire Qui ne me permet pas d'arrêter en chemin *. En toute chose, il faut considérer la fin 5. ▲ Si le ciel, etc. « Si tam cordatus esses quam barbatum esse scimus. » (CAMERARIUS.) A la barbe ne gardez mie, Tel la grant, n'a de sens demie : Bous et chèvres trop en aroient. (Fable de Coquaigne.) On ne voit guère en quoi ce sermon peut exhorter le bouc à la patience. 2 A la légère, sans réflexion, inconsidérément. 3 J'en suis hors. Aujourd'hui il faudrait dire dehors: hors ne se prend plus comme adverbe; La Fontaine s'est servi de ce mot dans son antique acception : Merci crier ne li vaut rien, Hors le traient comme un mort chien, Si l'ont sor un fumier flati, En la meson sont reverti. (Fabl. de la Borgoise d'Orliens.) 4 Qui ne me permet pas, etc. Les rieurs sont du côté du Renard. La morale de La Fontaine se ressent, on le voit, de la lecture des anciennes farces. 5 En toute chose, etc. Cette maxime est attribuée à l'un des sept sages. Nous la lisons dans la conversation de Solon et de Cresus. σκοπέειν δὲ χρὴ παντὸς χρήματος τὴν τελευτήν κα àлobńceтαι, (HÉROD., I, 32, et PLUT., Sol., 27). Les Orientaux en ont une autre qui porte : « Quiconque considère les suites avec trop d'attention, n'est pas ordinairement un homme de courage, » et La Fontaine lui même la met en évidence dans sa fable des Deux Aventuriers et le Talisman. (Infrà, x, 12.) — La Fontaine fait, dans sa Préface, l'application de cette fable à Crassus allant combattre les Parthes. Qui a de la barbe. |