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M. P. Oui, trente écus; le compte est bon......Parbleu pour renouveler connaissance, il faut que nous mangions, demain à dîner, une oie dont un plaideur m'a fait présent.

M. G. Une oie! je les aime fort.

M. P. Tant mieux. Touchez là; à demain à dîner; ma femme les apprête à miracle-Par ma foi! il me tarde qu'elle me voie sur le corps un habit de ce drap. Croyez-vous qu'en le prenant demain matin, il soit fait à dîner ?

M. G. Si vous ne donnez du temps au tailleur, il vous le gâtera.

M. P. Ce serait grand dommage.

M. G. Faites mieux. Vous avez, dites-vous, l'argent tout prêt?

M. P. Sans cela, je n'y songerais pas.

M. G. Je vais le faire porter chez vous par un de mes garçons. Il me souvient qu'il y en a là de coupé justement ce qu'il vous en faut.

M. P. (prenant le drap.) Cela est heureux!

M. G. Attendez. Il faut auparavant que je l'aune en votre présence.

M. P. Bon! est-ce que je ne me fie pas à vous?

M. G. Donnez, donnez; je vais vous le faire porter, et vous m'enverrez par le retour......

M. P. Le retour......non, non; ne détournez pas vos gens; je n'ai que deux pas à faire d'ici chez moi..... Comme vous dites, le tailleur aura plus de temps.

M. G. Laissez-moi vous donner un garçon qui me rapportera l'argent.

M. P. Eh, point, point. Je ne suis pas glorieux; il est presque nuit; et sous ma robe on prendra ceci pour un sac de procès.

M. G. Mais, monsieur, je vais toujours vous donner un garçon pour......

M. P. Eh, point de façon, vous dis-je......à cinq heures précises, trois cent trente écus, et l'oie à diner. Oh ça, il se fait tard: adieu, mon cher voisin, serviteur.

M. G. Serviteur, monsieur, serviteur. (M. Patelin sort.) Observations.-L'AVOCAT PATELIN est une ancienne comédie ra

jeunie par Brueys en 1706. Ce nom de Patelin a passé dans la langue française, pour signifier un homme souple et artificieux, qui par des manières flatteuses et insinuantes fait venir les autres à ses fins.

DON JUAN ET SON CRÉANCIER.

DON JUAN; SGANARELLE, LA VIOLETTE, RAGOTIN, valets de don Juan.

LA VIO. Monsieur, voilà votre marchand, monsieur Dimanche, qui demande à vous parler.

SGAN. Bon! voilà ce qu'il nous faut, un compliment de créancier! De quoi s'avise-t-il de nous venir demander de l'argent? et que ne lui disais-tu que monsieur n'y est pas ?*

LA VIO. Il y a trois quarts d'heure que je le lui dis; mais il ne veut pas le croire, et s'est assis là-dedans pour attendre.

SGAN. Qu'il attende tant qu'il voudra.

D. JUAN. Non; au contraire, faites-le entrer. C'est une fort mauvaise politique que de se faire céler aux créanciers. Il est bon de les payer de quelque chose; et j'ai le secret de les renvoyer satisfaits, sans leur donner

un sou.

SCÈNE SUIVANTE.

DON JUAN, M. DIMANCHE, SGANARELLE, LA VIOLETTE,

RAGOTIN.

D. JUAN. Ah, monsieur Dimanche, approchez; que je suis ravi de vous voir, et que je veux de mal à mes gens, de ne vous pas faire entrer d'abord! J'avais donné ordre qu'on ne me fît parler à personne; mais cet ordre n'est pas pour vous, et vous êtes en droit de ne trouver jamais de porte fermée chez moi.

M. DIM. Monsieur, je vous suis fort obligé.

On dit, Monsieur n'y est pas, pour dire, Monsieur n'est pas chez lui, ou n'est pas à la maison.

D. JUAN. (parlant à ses laquais.) Parbleu, coquins, je vous apprendrai à laisser M. Dimanche dans une antichambre, et je vous ferai connaître les gens.

M. DIM. Monsieur, cela n'est rien.

D. JUAN. Comment ? vous dire que je n'y suis pas, à M. Dimanche, au meilleur de mes amis?

M. DIM. Monsieur, je suis votre serviteur. J'étais

venu...

D. JUAN. Allons vite! un siége pour M. Dimanche. M. DIм. Monsieur, je suis bien comme cela.

D. JUAN. Point, point: je veux que vous soyez assis comme moi.

M. DIM. Cela n'est point nécessaire.

D. JUAN. Apportez un fauteuil.

M. DIM. Monsieur, vous vous moquez, et...

D. JUAN. Non, non : je sais ce que je vous dois, et je ne veux point qu'on mette de différence entre nous deux.

M. DIM. Monsieur !...

D. JUAN. Allons, asseyez-vous.

M. DIм. Il n'est pas besoin, monsieur, et je n'ai qu'un mot à vous dire. J'étais...

D. JUAN. Mettez-vous là, vous dis-je.

M. DIM. Non, monsieur, je suis bien; je viens pour... D. JUAN. Non, je ne vous écoute point, si vous n'êtes point assis.

M. DIм. Monsieur, je fais ce que vous voulez. Je... D. JUAN. Parbleu, monsieur Dimanche, vous vous portez bien.

M. DIM. Oui, monsieur, pour vous rendre service. Je suis venu.....

D. JUAN. Vous avez un fonds de santé admirable, des lèvres fraîches, un teint vermeil, et des yeux vifs. M. DIм. Je voudrais bien...

D. JUAN. Comment se porte madame Dimanche, votre épouse?

M. DIм. Fort bien, monsieur, Dieu merci.

D. JUAN. C'est une brave femme.

M. DIM. Elle est votre servante, monsieur. Je venais...

D. JUAN. Et votre petite fille Claudine, comment se porte-t-elle ?

M. DIм. Le mieux du monde.

D. JUAN. La jolie petite fille que c'est! Je l'aime de tout mon cœur.

M. DIM. C'est trop d'honneur que vous lui faites, monsieur. Je...

D. JUAN. Et le petit Colin, fait-il toujours bien du bruit avec son tambour?

M. DIM. Toujours de même, monsieur. Je...

D. JUAN. Et votre petit chien Brusquet, gronde-t-il toujours aussi fort, et mord-il toujours bien aux jambes les gens qui vont chez vous?

M. DIM. Plus que jamais, monsieur.

D. JUAN. Ne vous étonnez pas si je m'informe des nouvelles de toute la famille, car j'y prends beaucoup d'intérêt.

M. DIM. Nous vous sommes infiniment obligés. Je... D. JUAN, (lui tendant la main.) Touchez donc là, M. Dimanche. Etes-vous bien de mes amis?

M. DIM. Monsieur, je suis votre serviteur.

D. JUAN. Parbleu, je suis à vous de tout mon cœur. M. DIм. Vous m'honorez trop. Je...

D. JUAN. Il n'y a rien que je ne fisse pour vous. M. DIM. Monsieur, vous avez trop de bonté pour moi. D. JUAN. Et c'est sans intérêt, je vous prie de le croire.

M. DIм. Je n'ai point mérité cette grâce, assurément. Mais, monsieur...

D. JUAN. Oh ça! M. Dimanche, sans façon, voulezvous souper avec moi?

M. DIм. Non, monsieur, il faut que je m'en retourne tout-à-l'heure. Je...

D. JUAN. (se levant.) Allons! vite, un flambeau pour conduire monsieur Dimanche, et que quatre ou cinq de mes gens prennent des mousquetons pour l'escorter. M. DIM. (se levant aussi.) Monsieur, il n'est pas nécessaire, et je m'en irai bien tout seul. Mais...

(Sganarelle ôte vite les siéges.) D. JUAN. Comment! Je veux qu'on vous escorte, je

m'intéresse trop à votre personne; je suis votre serviteur, et de plus, votre débiteur.

M. DIM. Ah! Monsieur...

D. JUAN. C'est une chose que je ne cache pas, et je le dis à tout le monde.

M. DIM. Si...

D. JUAN. Voulez-vous que je vous reconduise?

M. Dıм. Ah, monsieur, vous vous moquez. Mon

sieur...

Je

D. JUAN. Embrassez-moi donc, s'il vous plaît. vous prie, encore une fois, d'être persuadé que je suis tout à vous, et qu'il n'y a rien au monde que je ne fisse pour votre service. (Il sort.) MOLIÈRE.

L'OURS ET LES DEUX COMPAGNONS.

DEUX compagnons, pressés d'argent,

A leur voisin fourreur vendirent

La

peau d'un ours encor vivant,

Mais qu'ils tueraient bientôt, du moins à ce qu'ils dirent: C'était le roi des ours. Au compte de ces gens,

Le marchand, à sa peau, devait faire fortune;

Elle garantirait des froids les plus cuisants,

On en pourrait fourrer plutôt deux robes qu'une.
Dindenaut * prisait moins ses moutons, qu'eux leur ours;
Leur, à leur compte, et non à celui de la bête.
S'offrant de la livrer au plus tard dans deux jours,
Ils conviennent de prix, et se mettent en quête,
Trouvent l'ours qui s'avance et vient vers eux au trot.
Voilà mes gens frappés comme d'un coup de foudre.
Le marché ne tint pas, il fallut le résoudre :
D'intérêts contre l'ours, on n'en dit pas un mot.
L'un des deux compagnons grimpe au faîte d'un arbre;
L'autre, plus froid que n'est un marbre,

* Marchand de moutons.

† C'est-à-dire, on ne dit pas un mot pour obtenir le dédommagement de la peine et de la dépense qu'avait couté cette expédition contre l'ours.

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