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SGAN. Vous êtes médecin maintenant, je n'ai jamais eu d'autre diplôme.

GER. (à Valère.) Quel enragé m'avez-vous là amené? VAL. Je vous ai bien dit que c'était un médecin goguenard.

GER. Oui: mais je l'enverrai promener avec ses goguenarderies.

Luc. Ne prenez pas garde à cela, monsieur, ce n'est que pour rire.

GER. Cette raillerie ne me plaît pas.

SGAN. Monsieur, je vous demande pardon de la liberté que j'ai prise.

GER. Monsieur, je suis votre serviteur.

SGAN. Je suis fâché......

GER. Cela n'est rien.

SGAN. Des coups de bâton......

GER. Il n'y a pas

de mal.

SGAN. Que j'ai eu l'honneur de vous donner.

GER. Ne parlons plus de cela. Monsieur, j'ai une fille qui est tombée dans une étrange maladie.

SGAN. Je suis ravi, monsieur, que votre fille ait besoin de moi; et je souhaiterais de tout mon cœur que vous en eussiez besoin aussi, vous et toute votre famille, pour vous témoigner l'envie que j'ai de vous servir.

GER. Je vous suis obligé de ces sentiments.

SGAN. Je vous assure que c'est du meilleur de mon

âme que je vous parle.

GER. C'est trop d'honneur que vous me faites.
SGAN. Comment s'appelle votre fille ?

GER. Lucinde.

SGAN. Lucinde! ah! beau nom à médicamenter!

GER. Je vais voir un peu ce qu'elle fait.

SCÈNE VI.

SUJET.

Géronte veut obliger sa fille à épouser un homme qu'elle n'aime point; elle, pour se délivrer de ce mariage, feint d'être malade.

LUCINDE, GÉRONTE, SGANARELLE, VALÈRE, LUCAS.

SGAN. Est-ce là la malade ?

GER. Oui. Je n'ai qu'elle de fille; et j'aurais tous les regrets du monde si elle venait à mourir.

SGAN. Qu'elle s'en garde bien! Il ne faut pas qu'elle meure sans l'ordonnance du médecin.

GER. Allons, un siége.

SGAN. (assis entre Géronte et Lucinde.) Voilà une malade qui n'a pas tant mauvaise mine.

GER. Vous l'avez fait rire, monsieur.

SGAN. Tant mieux: lorsque le médecin fait rire le malade, c'est le meilleur signe du monde. (à Lucinde.) Hé bien! qu'avez-vous? Quel est le mal que vous

sentez ?

LUCINDE, portant sa main à sa bouche, à sa tête, et

Han, hi, hon.

sous son menton.

SGAN. Je ne vous entends point. Quel langage est-ce là? GER. Monsieur, c'est là sa maladie. Elle est devenue muette, sans que jusqu'ici on en ait pu savoir la cause ; et c'est un accident qui a fait reculer son mariage.

SGAN. Et pourquoi ?

GER. Celui qu'elle doit épouser veut attendre sa guérison pour conclure les choses.

SGAN. Et qui est ce sot là, qui ne veut pas que sa femme soit muette? Je voudrais que la mienne eût cette maladie je me garderais bien de la vouloir guérir.

GER. Enfin, monsieur, nous vous prions d'employer tous vos soins pour la soulager de son mal.

SGAN. Ah! ne vous mettez pas en peine. un peu ce mal l'oppresse-t-il beaucoup ? GER. Oui, monsieur.

SGAN. Tant mieux. (à Lucinde.)

Dites-moi

Donnez-moi votre

bras. (à Géronte.) Voilà un pouls qui marque que votre fille est muette.

GER. Hé! oui, monsieur, c'est là son mal; vous l'avez trouvé tout du premier coup.

SGAN. Nous autres grands médecins, nous connaissons d'abord les choses. Un ignorant aurait été embarrassé,

et vous eût été dire, C'est ceci, c'est cela: mais moi, je touche au but du premier coup, et je vous apprends que votre fille est muette.

GER. Oui mais je voudrais bien que vous me pussiez dire d'où cela vient.

SGAN. Il n'est rien de plus aisé; cela vient de ce qu'elle a perdu la parole.

GER. Fort bien. Mais la cause, s'il vous plaît, qui fait qu'elle a perdu la parole?

SGAN. Tous nos meilleurs auteurs vous diront que c'est l'empêchement de l'action de sa langue.

GER. Mais encore, vos sentiments sur cet empêchement de l'action de sa langue?

SGAN. Aristote, là-dessus, dit....de fort belles choses. GER. Je le crois.

SGAN. Ah! c'était un grand homme !

GER. Sans doute.

SGAN. Grand homme tout-à-fait; un homme qui était (levant le bras depuis le coude) plus grand que moi de tout cela. Entendez-vous le latin?

GER. En aucune façon.

SGAN. (se levant brusquement.) Vous n'entendez point le latin ?

GER. Non.

SGAN. Il n'y a pas de mal; vous n'êtes pas obligé d'être aussi savant que nous.

GER. Assurément. Mais, monsieur, que croyez-vous qu'il faille faire à cette maladie ?

SGAN. Mon avis est qu'on la remette dans son lit, et qu'on lui fasse prendre pour remède quantité de pain trempé dans du vin.

GER. Pourquoi cela, monsieur.

SGAN. Parce qu'il y a dans le vin et le pain, mêlés ensemble, une vertu sympathique qui fait parler. Ne voyez-vous pas bien qu'on ne donne autre chose aux perroquets, et qu'ils apprennent à parler en mangeant de cela?

GER. Cela est vrai. Ah! le grand homme! Vite, quantité de pain et de vin.

SGAN. Je reviendrai voir ce soir en quel état elle sera.

PRÉCIS DU RESTE DE LA PIÈCE.

Léandre, à qui Lucinde est attachée, venant à faire un grand héritage, Géronte consent à lui donner sa fille en mariage, et celle-ci recouvre l'usage de la parole. Sganarelle, bien payé de ses ordonnances, prend goût au métier. Il raisonne ainsi sur sa nouvelle profession :— "Ma foi, cela ne va pas mal. On vient me chercher de tous côtés; et, si les choses vont toujours de même, je suis d'avis de m'en tenir toute ma vie à la médecine. Je trouve que c'est le meilleur métier de tous; car, soit qu'on fasse bien, ou soit qu'on fasse mal, on est toujours payé de même sorte. La méchante besogne ne retombe jamais sur notre dos; et nous taillons comme il nous plaît sur l'étoffe où nous travaillons. Un cordonnier en faisant des souliers ne saurait gâter un morceau de cuir qu'il n'en paie les pots cassés ;* mais ici l'on peut gâter un homme sans qu'il en coûte rien. Les bévues ne sont point pour nous, et c'est toujours la faute de celui qui meurt. Enfin, le bon de cette profession est qu'il y a, parmi les morts, une honnêteté, une discrétion la plus grande du monde, et jamais on n'en voit se plaindre du médecin qui les a tués."

LA LAITIÈRE ET LE POT AU LAIT.

PERRETTE, sur sa tête ayant un pot au lait,
Bien posé sur un coussinet,
Prétendait arriver sans encombre à la ville.
Légère et court vêtue, elle allait à grands pas,
Ayant mis ce jour-là, pour être plus agile,
Cotillon simple et souliers plats.

Notre laitière ainsi troussée
Comptait déjà dans sa pensée

* Payer les pots cassés, to pay the piper.

Tout le prix de son lait; en employait l'argent ;
Achetait un cent d'œufs; faisait triple couvée :
La chose allait à bien par son soin diligent.
Il m'est, disait-elle, facile

D'élever des poulets autour de ma maison
Le renard sera bien habile

;

S'il ne m'en laisse assez pour avoir un cochon.
Le porc à s'engraisser coûtera peu de son;
Il était, quand je l'eus, de grosseur raisonnable :
J'aurai, le revendant, de l'argent bel et bon.
Et qui m'empêchera de mettre en notre étable,
Vu le prix dont il est, une vache et son veau,
Que je verrai sauter au milieu du troupeau ?
Perrette là-dessus saute aussi, transportée :
Le lait tombe; adieu, veau, vache, cochon, couvée.
La dame de ces biens, quittant d'un œil marri
Sa fortune ainsi répandue,

Va s'excuser à son mari,
En grand danger d'être battue.
Le récit en farce en fut fait;
On l'appela le Pot au lait.

Quel esprit ne bat la campagne ?
Qui ne fait châteaux en Espagne ?

Chacun songe en veillant; il n'est rien de plus doux.

LA FONTAINE,

LES CHÂTEAUX EN ESPAGNE.

VICTOR, valet d'ORLANGE l'homme aux châteaux. On peut bien quelquefois se flatter dans la vie : J'ai, par exemple, hier, mis à la loterie, Et mon billet enfin pourrait bien être bon. Je conviens que cela n'est pas certain: oh non ; Mais la chose est possible, et cela doit suffire. Puis, en me le donnant, on s'est mis à sourire, Et l'on m'a dit: " Prenez, car c'est là le meilleur.” Si je gagnais pourtant le gros lot, quel bonheur !

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