Page images
PDF
EPUB

Il en est d'autres qui disent: A quoi bon prier Dieu ? Dieu ne sait-il pas mieux que nous ce dont nous avons besoin ?

Dieu sait mieux que vous ce dont vous avez besoin, et c'est pour cela qu'il veut que vous le lui demandiez; car Dieu est lui-même votre premier besoin, et prier Dieu, c'est commencer à posséder Dieu.

Le père connaît les besoins de son fils; faut-il à cause de cela que le fils n'ait jamais une parole de demande et d'actions de grâces pour son père ?

Quand les animaux souffrent, quand ils craignent, ou quand ils ont faim, ils poussent des cris plaintifs. Ces cris sont la prière qu'ils adressent à Dieu, et Dieu l'écoute. L'homme serait-il donc dans la création le seul être dont la voix ne dût jamais monter à l'oreille du Créateur ?

Il passe quelquefois sur les campagnes un vent qui dessèche les plantes, et alors on voit leurs tiges flétries pencher vers la terre; mais, humectées par la rosée, elles reprennent leur fraîcheur, et relèvent leur tête languissante.

Il y a toujours des vents brûlants, qui passent sur l'âme de l'homme, et la dessèchent. La prière est la rosée qui la rafraîchit. LA MENNAIS.

Observation.-Ce morceau est un mélange de grâce et d'énergie plein d'originalité. Le style, imité du langage biblique, abonde en images, en comparaisons vives, telles qu'on en trouve dans les paraboles orientales.

L'ÉCOLIER.

UN tout petit enfant s'en allait à l'école.
On avait dit allez! il tâchait d'obéir;

Mais son livre était lourd; il ne pouvait courir :
Il pleure et suit des yeux une abeille qui vole.
"Abeille! lui dit-il, voulez-vous me parler?
Moi, je vais à l'école, il faut apprendre à lire.
Mais le maître est tout noir, et je n'ose pas rire.

Voulez-vous rire, abeille, et m'apprendre à voler?"
"Non, dit-elle, j'arrive, et je suis très pressée.
J'avais froid, l'aquilon m'a longtemps oppressée.
Enfin j'ai vu les fleurs; je redescends du ciel,
Et je vais commencer mon doux rayon de miel.
Voyez ! j'en ai déjà puisé dans quatre roses :
Avant une heure encor nous en aurons d'écloses.
Vite, vite à la ruche. On ne rit pas toujours:
C'est pour faire le miel qu'on nous rend les beaux jours."
Elle fuit, et se perd sur la route embaumée.
Le frais lilas sortait d'un vieux mur entr'ouvert :
Il saluait l'aurore, et l'aurore charmée

Se montrait sans nuage et riait de l'hiver.
Une hirondelle passe; elle offense la joue
Du petit nonchalant, qui s'attriste et qui joue;
Et, dans l'air suspendue, en redoublant sa voix,
Fait tressaillir l'écho qui dort au fond des bois.
"Oh! bonjour, dit l'enfant, qui se souvenait d'elle.
Je t'ai vue à l'automne; oh! bonjour, hirondelle!
Viens; tu portais bonheur à ma maison, et moi
Je voudrais du bonheur: veux-tu m'en donner, toi ?
Jouons!""Je le voudrais, répond la voyageuse;
Car je respire à peine, et je me sens joyeuse.
Mais j'ai beaucoup d'amis qui doutent du printemps;
Ils rêveraient ma mort, si je tardais longtemps.
Oh! je ne puis jouer. Pour finir leur souffrance,
J'emporte un brin de mousse en signe d'espérance.
Nous allons relever nos palais dégarnis:

L'herbe croît: c'est l'instant des amours et des nids.
J'ai tout vu. Maintenant, fidèle messagère,
Je vais chercher mes sœurs là-bas sur le chemin.
Ainsi que nous, enfant, la vie est passagère,
Il en faut profiter. Je me sauve; à demain."
L'enfant reste muet, et, la tête baissée,

Rêve, et compte ses pas pour tromper son ennui,
Quand le livre importun, dont sa main est lassée,
Rompt ses fragiles nœuds, et tombe auprès de lui.
Un dogue l'observait du seuil de sa demeure.
Stentor, gardien sévère et prudent à la fois,
De peur de l'effrayer retient sa grosse voix.

Hélas! peut-on crier contre un enfant qui pleure ?
"Bon dogue, voulez-vous que je m'approche un peu ?
Dit l'écolier plaintif; je n'aime pas mon livre.
Voyez ! ma main est rouge; il en est cause.
Au jeu
Rien ne fatigue, on rit, et moi je voudrais vivre
Sans aller à l'école, où l'on tremble toujours.
Je m'en plains tous les soirs, et j'y vais tous les jours.
J'en suis très mécontent; je n'aime aucune affaire
Le sort d'un chien me plaît, car il n'a rien à faire."
Écolier, voyez-vous ce laboureur aux champs ?

[ocr errors]

Eh bien! ce laboureur, dit Stentor, c'est mon maître ;
Il est très vigilant, je le suis plus peut-être :

Il dort la nuit, et moi j'écarte les méchants;
J'éveille aussi ce boeuf, qui d'un pied lent, mais ferme,
Va creuser les sillons quand je garde la ferme.
Pour vous-même on travaille, et, grâce à nos brebis,
Votre mère en chantant vous file des habits.
Par le travail tout plaît, tout s'unit, tout s'arrange.
Allez donc à l'école, allez, mon petit ange.

Les chiens ne lisent pas, mais la chaîne est pour eux :
L'ignorance toujours mène à la servitude;

L'homme est fin...l'homme est sage: il nous défend l'étude.
Enfant, vous serez homme, et vous serez heureux :
Les chiens vous serviront." L'enfant l'écouta dire,
Et même il le baisa. Son livre était moins lourd.
En quittant le bon dogue, il pense, il marche, il court;
L'espoir d'être homme un jour lui ramène un sourire.
A l'école, un peu tard, il arriva gaîment,

Et dans les mois des fruits il lisait couramment.

MADAME DESBORDES-VALMORE.

Observation.-Pour l'expression poétique, pour la douleur, pour les regrets, rien n'égale madame Desbordes-Valmore. Il y a des larmes dans ses vers, de l'enjouement quelquefois; il y a de tout: on n'a pas un talent plus égal et plus pur.

LETTRES PERSANES

PAR MONTESQUIEU.

MONTESQUIEU (né en 1689, mort en 1755) signala son entrée dans la carrière littéraire par les Lettres persanes, qui sont des observations sur les mœurs sous la forme épistolaire. De prétendus Persans, voyageant en France, expriment d'une manière spirituelle leurs opinions, c'est-à-dire celles de Montesquieu, sur les mœurs de ce pays, et sur beaucoup de questions graves.

1.

PARIS est aussi grand qu'Ispahan : les maisons y sont si hautes, qu'on jugerait qu'elles ne sont habitées que par des astrologues. Tu juges bien qu'une ville bâtie en l'air, qui a six ou sept maisons les unes sur les autres, est extrêmement peuplée; et que, quand tout le monde est descendu dans la rue, il s'y fait un bel embarras.

Tu ne le croirais pas peut-être; depuis un mois que je suis ici, je n'y ai encore vu marcher personne. Les Français courent, volent; les voitures lentes d'Asie, le pas réglé de nos chameaux, les feraient tomber en syncope.* Pour moi, qui ne suis point fait à ce train, ‡ et qui vais souvent à pied sans changer d'allure §, j'enrage quelquefois comme un chrétien: car encore passe qu'on m'éclabousse depuis les pieds jusqu'à la tête; mais je ne puis pardonner les coups de coude que je reçois régulièrement et périodiquement: un homme qui vient après moi et qui me passe, me fait faire un demi-tour; et un autre, qui me croise de l'autre côté, me remet soudain où le premier m'avait pris: et je n'ai point fait cent pas, que je suis plus brisé que si j'avais fait dix lieues.

Ne crois pas que je puisse, quant à présent, te parler à fond des mœurs et des coutumes européennes je n'en ai moi-même qu'une légère idée, et je n'ai eu à peine que

* Défaillance, évanouissement. Genre de vie.

+ Habitué à.
? Façon de marcher.

le temps de m'étonner. Le roi de France est le plus puissant prince de l'Europe. Il n'a point de mines d'or, comme le roi d'Espagne son voisin; mais il plus de richesses que lui, parce qu'il les tire de la vanité de ses sujets, plus inépuisable que les mines. On lui a vu

entreprendre ou soutenir de grandes guerres, n'ayant d'autres fonds que des titres d'honneur à vendre; et, par un prodige de l'orgueil humain, ses troupes se trouvaient payées, ses places munies, et ses flottes équipées.

S'il a

D'ailleurs, ce roi est un grand magicien : il exerce son empire sur l'esprit même de ses sujets; il les fait penser comme il veut. S'il n'a qu'un million d'écus dans son trésor, et qu'il en ait besoin de deux, il n'a qu'à leur persuader qu'un écu en vaut deux, et ils le croient. une guerre difficile à soutenir, et qu'il n'ait point d'argent, il n'a qu'à leur mettre dans la tête qu'un morceau de papier est de l'argent, et ils en sont aussitôt convaincus. Il va même jusqu'à leur faire croire qu'il les guérit de toutes sortes de maux, en les touchant; tant est grande la force et la puissance qu'il a sur les esprits.

2.

Les habitants de Paris sont d'une curiosité qui va jusqu'à l'extravagance. Lorsque j'arrivai, je fus regardé comme si j'avais été envoyé du ciel: vieillards, hommes, femmes, enfants, tous voulaient me voir. Si je sortais, tout le monde se mettait aux fenêtres; si j'étais aux Tuileries, je voyais aussitôt un cercle se former autour de moi; les femmes mêmes faisaient un arc-en-ciel nuancé de mille couleurs, qui m'entourait: si j'étais aux spectacles, je trouvais d'abord cent lorgnettes dressées contre ma figure: enfin, jamais homme n'a tant été vu que moi. Je souriais quelquefois d'entendre des gens, qui n'étaient presque jamais sortis de leur chambre, qui disaient entre eux: "Il faut avouer qu'il a l'air bien persan." Chose admirable je trouvais de mes portraits partout; je me voyais multiplié dans toutes les boutiques, sur toutes les cheminées, tant on craignait de ne m'avoir pas assez vu.

Tant d'honneurs ne laissent pas d'être à charge: je ne me croyais pas un homme si curieux et si rare; et,

« PreviousContinue »