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« Vous lisez sans doute tous les beaux livres. Avez-vous vu la Mariamne et le Cid? Il y a de ravissantes choses. Pour des romans, nous n'avons plus rien qui vaille. L'Astrée est une vieille pièce.... Polexandre embarrasse trop l'esprit: Ariane a été bonne en son temps: mais pour les dames la lecture de l'Honnête femme me semble plus agréable que pas une autre....

«Quoique vous demeuriez à la campagne, je pense que vous ne manquez pas de visites. Vous avez des charmes assez puissants pour attirer ici tous les cœurs de la Province....

« Vous aimez les fleurs, je le juge par ce beau bouquet que vous portez à la ceinture.... Quant à moi, j'aime la violette.... et lorsque j'en ai dans la main, je m'imagine jouir à la campagne des délices dont les bergers jouissaient du temps que Céladon habitait les plaines de Forez 1. »

Ce beau monde de province dont Du Bail n'a pas mal traduit les prétentions et le vain caquetage, c'est bien le même que Molière aura plus tard sous les yeux et qu'il fera revivre dans la Comtesse d'Escarbagnas.

Du temps où le Gascon faisait le métier de comédien il a retenu quelques souvenirs assez curieux. On sait par lui à quelles conditions un acteur nouveau est engagé dans une troupe de campagne, par quels emplois il débute généralement; on voit que sur sa part des recettes la troupe lui retient le prix de ses costumes. On se rend compte que ces pauvres gens ont plus de considération pour leur poète à gages que les grands Messieurs de l'Hôtel de Bourgogne : « Je me mis derrière la tapisserie à un coin du théâtre, et de l'autre je vis un personnage qui était assis dans une chaise comme un vénérable prélat: j'étais en peine de savoir qui était ce Révérend, à qui même je voyais que les principaux acteurs allaient souvent parler en l'oreille avec respect et principalement à la fin des

1. P. 413 et suiv.

actes. >>> « C'est, lui dit-on, notre auteur 1.»

La représentation terminée, les plus honnêtes gens de la ville montent sur la scène, félicitent les acteurs, courtisent les actrices et leur demandent la permission de les reconduire chez elles. C'est une incommodité de la profession on en murmure, mais on s'y résigne.

Le tableau le plus large et le plus vigoureux du roman est celui de la prison. Un monde féroce de porte-clefs, de prévôts et de sergents y exploite les malheureux qui arrivent avec quelque argent. L'inégalité des conditions ne se marque nulle part d'une façon plus choquante. Les privilégiés de la fortune sont « couchés à la volupté » et bien nourris à la table du concierge le tout pour un écu par jour. Pour vingt sous on n'a qu'une chambre étroite, qu'il faut partager avec une douzaine, au moins, de compagnons. C'est le seul luxe que notre Gascon ait pu s'offrir. Il décrit ce taudis puant, sans omettre aucun détail, même des plus odieux; il dit avec quelles cérémonies les anciens reçoivent un nouveau venu, et combien il lui en coûte pour régaler tout le monde. Le jour où, son pécule épuisé, il n'a plus le moyen de payer pension, le guichetier vient très exactement l'arracher de ce séjour, infesté par la vermine, mais où l'on respirait et où l'on mangeait, et il le précipite dans le cercle inférieur de cet enfer, dans le cachot des indigents, sinistre bassefosse, où n'arrivent ni l'air ni la lumière, dont l'entrée même est si obscure qu'en y mettant le pied il manque marcher sur un malade qui s'est traîné jusqu'à la porte. Des brutes furieuses se jettent en hurlant sur le compagnon qui leur

1. P. 559.

arrive, le somment de payer, encore une fois, sa bienvenue et le frappent cruellement lorsqu'il a montré sa bourse vide.

Dans l'Aventurier Buscon de Quevedo, qui venait d'être traduit quatre ans auparavant, il y avait une description de prison, avec « la misère et la malice des prisonniers, la tyrannie et mangerie des geôliers et autres officiers 1»; mais si l'on relève plus d'un rapport entre les deux tableaux, c'est que le régime des captifs ne différait guère d'un pays à l'autre. Rien ne suggère ici l'idée d'une imitation. Du Bail ajoute d'ailleurs des particularités qui ne sont pas de celles qu'on invente. S'il n'a pas passé par cette épreuve, il a certainement recueilli des impressions de gens qui l'avaient subie, et il en a composé un chapitre, très inférieur à celui de Quevedo pour la verve et pour l'éclat, mais qui ne porte du moins aucune trace d'exagération plaisante et qui garde à un tel sujet son caractère de laideur et de tristesse.

Il faudrait signaler encore dans le Gascon extravagant, aussi accentué au moins que chez Sorel, un souci de précision minutieuse, qui n'est pas toujours sans intérêt. Ainsi, quand on l'a lu, on n'a plus grand'chose à apprendre sur les modes du temps, sur les mouches des dames, sur leur coiffure nouvelle, dite «< à la garcette», qui dispose les cheveux en boucles descendant sur le front, sur leurs collets de dentelle à double étage, sur les <<< mouchoirs volants» dont elles voilent, très incomplètement, leurs appas. Certain passage ne laisse rien ignorer de l'habillement féminin, et non seulement des robes ou des corps de jupe, mais aussi du linge

1. Traduction de La Geneste (1633), p. 284 et suiv.

le plus intime, des tissus qui sont alors les plus recherchés, des nuances que l'on aime.

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Cette exactitude n'est malheureusement que documentaire. Elle n'aboutit presque jamais à une représentation pittoresque, parce qu'elle ne comporte aucun choix.

Il faut ajouter d'ailleurs que la prose de Du Bail manque de relief et de fermeté. Et c'est grand dommage! Il a eu le dessein arrêté d'enrichir d'une œuvre française la série des romans picaresques (il le dit expressément dans sa préface, où il rapproche son livre de Lazarille et de Guzman). Avec une souplesse assez remarquable chez un homme qui s'était jusque-là exercé dans un genre si différent, il est entré dans leur allure et dans leur esprit sur tous les points, et même sur les femmes, qu'il avait naguère portées si haut, il s'est rallié à leur philosophie désabusée 1. Il a compris qu'en de telles fictions la variété des aventures ne doit pas servir seulement à amuser, qu'elle est surtout un prétexte pour pénétrer en différents milieux et pour les peindre. Il s'est en effet appliqué à reproduire, sans en trop forcer le caractère, des aspects risibles ou tristes de la vie; et comme la vie qu'il connaît et qu'il évoque est la vie provinciale, son observation vient fort à propos compléter celle du parisien Sorel. S'il avait eu le talent d'organiser et de mettre en valeur la matière de cette observation, on compterait parmi les meilleurs essais du réalisme français ce livre, dont le titre annonce des extravagances, dont le fond est pourtant assez solide.

1. Voir p. 149, 158 et particulièrement p. 185 et suiv.

CHAPITRE XII

LE ROMAN COMIQUE. LES NOUVELLES DE SCARRON.

Que Scarron ait fait un Roman comique 1, il n'y a rien là qui doive surprendre. Aux grands romans qui s'achèvent, comme la Cléopâtre, ou qui commencent, comme le Grand Cyrus, il lui plaît d'opposer, comme contre-partie, une histoire plaisante et familière, de même qu'il a raillé la tragédie héroïque dans ses Jodelels ou berné, dans les premiers chants du Virgile travesti, et la noble épopée et l'antiquité vénérable.

Ce qui étonne, c'est de trouver une part de vérité dans un livre écrit ainsi avec une intention ironique par le plus fantaisiste des hommes, qui semblait s'être appliqué jusque-là à passer à côté du naturel.

Cela s'explique, en partie, par ce fait qu'il a pris son sujet dans une réalité très présente à son esprit.

Dans sa jeunesse, depuis l'année 1634, il avait

1. Le Roman comique, Paris, T. Quinet, 1651, in-8 [Première partie]. Le Roman comique, de M. Scarron, Seconde partie. Paris, G. de Luyne, 1657, in-8.

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