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CHAPITRE XI

LE GASCON EXTRAVAGANT.

Il suffit de nommer le Chevalier hypocondriaque 1. L'imitation du Don Quichotte y est plus précise encore que dans le Berger extravagant, puisque c'est la lecture de l'Amadis de Gaule qui achève de tourner la tête de Don Clarazel de Gontarnos, puisque ce cavalier s'en va par pays, comme l'hidalgo de la Manche, à la recherche des glorieux hasards, croit combattre, comme lui, des monstres et des géants, et sert, comme lui, de jouet à quelques nobles compagnies. On ne voit là d'autre nouveauté qu'une aventure d'amour assez vive, mais peu croyable, dont le dénouement surtout est plus qu'imprévu. Aucune sorte de réalité ne transparaît au travers de cette fiction extravagante. On ne la mentionnerait même pas si elle n'avait pour auteur le dernier de nos conteurs chevaleresques, ce Du Verdier qui venait de clore dans le Roman des romans la dynastie des Amadis et du Chevalier du Soleil. Ce changement de

1. Le Chevalier hypocondriaque, par le Sr du Verdier, Paris, P. Billaine, 1632, in-8.

front laisse deviner le discrédit où était tombée alors dans le grand public la forme la plus fabuleuse des romans d'imagination.

Une œuvre au moins aussi oubliée, le Gascon extravagant 1, vaut qu'on s'y arrête davantage. Du Bail 2 changeait, lui aussi, en écrivant cette <«< histoire comique », et de sujet et de manière, n'ayant composé jusque-là que des histoires galantes et tout dernièrement la moins vraisemblable de toutes, l'Olympe ou la Princesse inconnue 3.

Son titre le Gascon extravagant, semble annoncer quelque lourde bouffonnerie, dans le genre du Dom Quixote Gascon du comte de Cramail 4, où les allures grotesques prêtées, depuis Fæneste, aux cadets de Gascogne s'associeraient à quelque folie plus spéciale comme celle du berger Lysis. Et, de fait, rien n'est plus sot, plus insipide, que le préambule de ce roman.

Un gentilhomme s'ennuie dans un grand château dont il a la garde, lorsque deux étranges personnages rencontrés par hasard viennent lui apporter une distraction inespérée. C'est d'abord une sorte de démente, hystérique ou démoniaque, qu'il a surprise au milieu d'un de ses plus forts accès, échevelée, roulant les yeux, poussant des hurlements épouvantables. L'autre est un homme en costume de matamore, armé de la bourguignotte et du corselet, qui accourt vers lui, brandissant une

1. Le Gascon extravagant, Histoire comique, Paris, Cardin Besogne, 1637, in-8, V livres, 580 pages.

2. On se demande pourquoi on a jusqu'ici attribué ce livre à un certain Clerville. Il était aisé de découvrir le nom du véritable auteur, puisque Sorel le donne au chapitre Ix de la Bibliothèque française (p. 177).

3. Paris, 1635, in-8.

4. Dans les Jeux de l'inconnu, Paris, 1630, in-8, p. 59-120.

gaule en guise de pique et déclamant d'un air furieux une tirade en patois gascon.

On a vu qu'en ce temps on s'amusait volontiers de la folie le gentilhomme s'empresse de donner asile au bravache de comédie et à la femme furieuse.

Il ne tire pas de celle-là tout l'agrément qu'il en attendait la voir s'élever de terre et rester suspendue en l'air sans aucun artifice humain, rire des vains efforts d'un ermite qui essaie de l'exorciser sont des divertissements dont on se lasse. Le Gascon, au contraire, est une source intarissable de gaieté. Il n'est fou qu'en apparence ses absurdes imagrées ne sont que des moyens d'attirer sur lui l'attention; lorsqu'on lui a offert la table et le gîte, il continue à bouffonner, parce que c'est une façon de payer son écot; mais à qui le connaît mieux i laisse deviner sous ce masque un esprit assez malicieux, une raison mûrie et désabusée. De confidence en confidence, il en arrive à raconter à son hôte toute la suite de sa vie : ce récit remplit la meilleure partie du livre; il est aisé de l'isoler du singulier prologue qui le prépare et de quelques médiocres incidents qui le coupent.

Le début de l'histoire est un amusant mélange de glorieuses hâbleries et d'aveux candides. Notre Gascon se donne pour le descendant d'une très illustre famille mais il ne reste plus de trace du manoir de ses pères, et le seul parent qui ait consenti à le reconnaître est un pauvre vigneron. S'il s'est résigné à entrer au service d'un seigneur, c'est pour se rapprocher d'une demoiselle qu'il aimait ; mais l'on devine que son emploi n'a pas été tout à fait digne de sa naissance et qu'on l'a cruellement relégué dans le département des écuries. Emporté

par la générosité de son âme, il s'est risqué à une déclaration, qui a dû être fort éloquente, mais dont l'effet immédiat a été de le faire chasser, avec accompagnement d'étrivières.

Le dos meurtri, fier cependant dans sa disgrâce, il part alors bravement à la conquête du monde. Il n'a dans sa pochette que sept quarts d'écu, mais il est bien décidé à ne pas déchoir : « Je me résolus, dit-il, à périr plutôt que de descendre plus bas....>> Ce bel orgueil ne tarde pas à s'user dans les dures. épreuves de la vie.

Il se dirige tout droit vers Paris, avec l'espoir d'y entrer dans le régiment des gardes, où ne manquent pas les braves de sa province, «gens qui seulement de leur ombre étonnent tout l'univers ». Mais bien avant d'arriver à Poitiers, il a épuisé son maigre pécule. Il a faim : il renonce donc aux grands mots, aux grands sentiments, aux chimères, viande creuse; il est heureux de retrouver ce qu'il y a toujours, sous l'emphase du méridional, de présence d'esprit et d'ingéniosité pratique. Un homme du Nord eût bien été forcé de s'adapter, lui aussi, aux circonstances: il l'eût fait moins vite et de moins bonne humeɩ r.

Ne pouvant plus compter que sur son industrie, il invente, il combine, il s'évertue, et il réussit à vivre. Il gagne d'abord quelque argent à distribuer dans les villages des lettres fabriquées par lui et dont il se fait payer le port. Cet artifice usé, il fait le sorcier et l'astrologue : il reçoit dans une chambre d'auberge bon nombre de dames curieuses, il leur révèle leur avenir et même quelquefois il leur rappelle leur passé, quand il a été renseigné par leurs servantes.

Plus tard, s'étant associé à une fille, non moins

bonne comédienne que lui, il exploite le zèle de <«< ceux de la Religion », c'est-à-dire des réformés. Ils se présentent tous deux, avec un maintien modeste, dans les bourgs où doit avoir lieu le prêche sa complice va trouver le ministre, à la fin du sermon, et l'apitoie en se donnant pour la femme d'un gentilhomme qui a perdu tous ses biens dans l'incendie de Privas. « Ces gens, remarque le Gascon, ont bien plus de charité les uns pour les autres que les catholiques romains; nous ne passions guère par un endroit dont nous n'eussions. un écu et davantage. »>

Ailleurs, s'annonçant comme un auteur de marque, il s'installe dans la boutique d'un libraire et entre en rapports avec les beaux esprits du lieu ; les jeunes gens recherchent sa société et lui commandent pour leurs maîtresses des stances ou des sonnets, qu'il leur livre moyennant finances, transcrits sur beau papier doré.

Comme en toute vie picaresque, de fâcheux coups du hasard viennent rompre parfois le cours de sa fortune. A Poitiers, il a une querelle avec des écoliers, et on le met en prison. En Bretagne, ayant trouvé une situation honorable, il la perd par une intrigue de femmes. Et, chaque fois, sa moralité baisse avec sa chance. Dans un moment de grande misère, il se résigne sans effort à vivre aux dépens de la cabaretière qui le loge. Elle avait déjà, outre son mari, deux autres amants : « Elle me pria de les souffrir avec moi, sous promesse toutefois que je serais le plus près du cœur.... Je vivais avec eux sans jalousie et, pourvu que j'en retirasse mes pièces, le reste m'était indifférent. L'argent que je donnais d'une main à l'hôte pour ma dépense, je le reprenais dans le cabinet de l'hôtesse.»

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