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église de village. Le public, au reste, moins effrayé que moi par votre jugement rigoureux, me donne déjà raison en montrant beaucoup d'empressement à louer des loges et à retenir des places pour les prochaines représentations de Moïse (1) ».

4. LE SUCCÈS DE MOÏSE.

En définitive, quel fut le succès de la pièce ?

Le Journal de Seine-et-Oise, dont le critique théâtral est pourtant tout dévoué à Carmouche, n'hésite pas à reconnaître que « les deux premières représentations n'ont pas eu tout le succès qu'on devait en attendre. » Il est vrai, ajoute-t-il, que la troisième a pris une éclatante revanche.

La deuxième représentation devait avoir lieu le dimanche 5 octobre. Elle ne put être donnée que le 9. Le mont Sinaï ayant été jugé trop encombrant, Carmouche avait dù le faire abattre et reconstruire ailleurs,

Il y eut encore trois représentations, les dimanche 12, jeudi 16 et dimanche 19 octobre. Cette dernière fut donnée au bénéfice des inondés de Saint-Étienne.

Et Moïse disparut de l'affiche. Le jeudi 23, Carmouche donnait Regnard en voyage, comédie-vaudeville.

Le succès de Moise à Versailles ne fut donc que médiocre, mais comment s'en étonner? Deux ou trois représentations avaient à peu près épuisé la curiosité des Versaillais et, raisonnablement, le directeur pouvait-il espérer que tous les Parisiens amateurs de spectacle suivraient la route que leur avaient montrée Janin et Me Récamier?

Ce que nous pouvons constater, c'est que les recettes que Carmouche encaissa en octobre, cette annéc-là, furent les plus brillantes. de sa direction (2).

Mais il s'attendait à mieux. Son déficit, après le succès de Moïse, était encore de 9,580 fr. 51 c. (3).

(1) Lettre à la Quotidienne, publiée mouche encaissa en octobre 10,484 fr. 49 c. par le Constitutionnel du 15 octobre. Pour les autres mois, le minimum (mai) (2) Les recettes totales du mois d'oc-est de 4,679 francs, et le maximum (notobre 1834 s'élevèrent à 12,588 fr. 85 c., vembre) de 8,289 fr. 27 c. En 1835, ces alors que, pour les autres mois, le mini-mêmes recettes, pour octobre, ne sont mum (mai) est de 7,026 fr. 68 c., et le plus que de 8,199 fr. 80 c. maximum (novembre) de 10,822 fr. 70 c. Rien que comme recettes des repré-à sentations (sans les abonnements), Car

(3) Le déficit était de 10,400 fr. 54 c. la fin de septembre.-Archives dépar tementales de Seine-et-Oise.

Il fit parade de sa déception dans cette lettre au Maire (1).

<< Monsieur le Maire,

<< Depuis que je suis chargé de la stérile entreprise du théâtre de Versailles, je vis d'espérance..... Au mois d'avril j'ai compté sur le mois de mai, en août j'ai compté sur septembre, et il vient de s'écouler, superbe et brillant pour les fêtes champêtres; mais pauvre et desséché pour les entrepreneurs de spectacles!

<< Par des efforts continuels de toute nature, j'ai cherché à lutter contre le Soleil et les Cieux..... Mais des efforts, en fait de théâ're, cela veut dire beaucoup de peines et de dépenses. Peut-être suis-je parvenu à ne pas perdre autant que d'autres auraient pu le faire à ma place; mais enfin, j'ai perdu.

« Je viens de monter, avec beaucoup de soin et de luxe, un ouvrage tout nouveau au théâtre et qui devait exciter une grande curiosité, et je vais me trouver beaucoup plus en arrière encore que je ne l'étais. Le Moïse m'a coûté des frais énormes pour mon budget. Il aurait fallu que cet ouvrage payât, non seulement sa dépense particulière, mais encore le déficit de l'été, et tout en fournissant encore le produit qu'on peut attendre du mois d'octobre, et je ne puis plus y compter! >>

M. le Préfet, en me témoignant une honorable satisfaction, a même voulu faire améliorer mon sort en y intéressant M. le Ministre de l'Intérieur; ce dernier a répondu que les fonds étaient dépensés, et cette ressource, qui eût été bien avantageuse, n'a rien produit pour moi (2). »

Il termine en demandant une indemnité.

Les Parisiens ne venant plus voir Moïse à Versailles, Carmouche

(1) L'infatigable faiseur (dans toutes les acceptions du mot) qu'était Carmouche avait, cela va de soi, la plume facile. Aussi accablait-il de sa correspondance le maire M. Haussmann et la commission du théàtre composée alors de MM. Deschiens, Frémy et Jessé. --La lettre qu'on va lire est datée d'octubre 1834, sans indication de jour.

(2) En effet, bien que Carmouche n'eût travaillé ni pour la gloire de Chateaubriand, ni même pour la sienne, le préfet Aubernon, administrateur intelligent et lettré, jugeait avec raison qu'un tel essai

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voulut le leur amener à Paris. On parla (1) d'un projet de représentation à l'Odéon, avec les interprètes de Versailles et les décors de l'Opéra que Véron aurait obligeam ment prêtés à son confrère de Seine-et-Oise. Mais ce projet n'eut pas de suite, et Moïse ne sortit plus de l'oubli où il dort encore, dans les OEuvres complètes de Chateaubriand (2).

Charles COMTE.

(1) Gazette des Theatres, 16 octobre 1834. | chiviste de la mairie de Versailles, de 2 Je tiens à remercier, en terminant, l'exquise et tout amicale obligeance avec MM. Couard, archiviste du département laquelle ils m'ont aidé à trouver un grand de Seine-et-Oise, Taphanel, conserva- nombre des documents dont je me suis teur de la Bibliothèque, et Germain, ar- | servi pour cette étude.

CHRONIQUE

I

M. DUSSIEUX

M. Dussieux est mort le 10 février dernier.

Depuis quelques années déjà, ses amis le voyaient avec chagrin s'affaisser et décliner lentement. Bien qu'il fût parvenu à un âge que peu d'hommes atteignent et surtout dépassent, il semblait destiné par son tempérament à une vieillesse plus longue encore et plus heureuse. Il a été enterré dans le cimetière de l'église Saint-Louis, sa paroisse. Aux parents et aux amis qui l'y ont accompagné s'était jointe une délégation d'officiers et d'élèves de l'Ecole de Saint Cyr. Aucun discours n'a été prononcé sur sa tombe.

Louis-Etienne Dussieux est né à Lyon en 1815. Il était très jeune encore lorsqu'il perdit son père, ardent royaliste, ancien combattant de l'armée de Condé. Sa mère vint s'installer avec lui à Paris, dans le voisinage du collège Charlemagne, où il fit d'excellentes études. Très laborieux, également attiré par l'érudition et par la science, il suivit, au Muséum le cours de Geoffroy Saint-Hilaire, au Jardin-du-Roi et à la Sorbonne ceux de Gay-Lussac, et se fit inscrire, comme auditeur libre, à l'Ecole des Chartes.

Il n'assista pas en témoin indifférent aux grandes luttes littéraires de 1830. Il était, avec ses camarades de Charlemagne, à la première représentation d'Hernani. Perdu dans la foule, il y fit vaillamment son devoir, ne cessant d'applaudir le drame que pour invectiver à outrance les adversaires du poète. Inutile d'ajouter que, s'il s'intéressa au mouvement romantique, ce fut de loin et très platoniquement. Il goûtait peu les vers, et le dilettantisme en littérature n'était pas du tout son fait.

Il publia en 1839 un Essai sur les invasions des Hongrois en Europe qui fut couronné par l'Académie des inscriptions et Belles-Lettres, et en 1841 un Mémoire sur l'histoire de la peinture en émail, qui obtint à cette même Académie une mention honorable. Il cherchait sa voie : il la trouva tout indiquée dans l'exercice même de sa profession.

En 1842, M. Dussieux fut nommé répétiteur d'histoire et de géographie à Saint-Cyr. Il venait de se marier. Il installa à l'Ecole son jeune ménage et y passa quelques années qui restèrent pour lui pleines d'agréables souvenirs. En 1850, les deux cours auxquels il était attaché furent séparés; il devint professeur d'histoire, et son collègue Lavallée fut nommé professeur de géographie.

C'est vers ce temps-là à peu près qu'il vint habiter définitivement Versailles. Nous trouvons dès lors peu d'événements dans sa vie : c'est la vie d'un homme heureux; le travail quotidien, régulier, facile la remplit toute. Il collabore à différents recueils : à l'Encyclopédie moderne, aux Archives de l'Art français, au Magasin pittoresque, au Spectateur militaire, etc. Il publie une longue suite non interrompue d'ouvrages dont plusieurs sont de véritables monuments de bibliothèques. Tel son livre des Artistes français à l'Etranger, qui donne le répertoire des travaux exécutés dans toute l'Europe par nos peintres, nos sculpteurs et nos architectes, et dont l'objet est de démontrer que l'influence française s'est exercée de tout temps au dehors, aussi bien dans le domaine de l'art que dans celui de la philosophie et des lettres; — telle son Histoire du Canada sous la domination française pour laquelle, faveur très rare alors, les archives de la Marine et des Colonies lui avaient été ouvertes. Le même sujet a pu être traité depuis avec plus de développements, mais le travail de M. Dussieux, pris à sa date, conserve une réelle valeur. Telle encore sa Généalogie de la Maison de Bourbon, ouvrage indispensable à quiconque s'occupe d'histoire, guide sûr et aisé à suivre à travers les ramifications infinies de nos familles royales et princières en qui a tenu pendant longtemps toute l'histoire du pays. M. Scherer en faisait le plus grand cas : « J'ai peine, disaitil, à me représenter une bibliothèque historique dans laquelle manquerait ce livre. »

On sait la part importante prise par M. Dussieux à la publication du Journal de Dangeau et des Mémoires du duc de Luynes. Copies et collations de textes, notes historiques, correction minutieuse des

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