Page images
PDF
EPUB

M. DE BACOURT ET LA DUCHESSE DE DINO

La récente publication des Mémoires de Talleyrand donne un intérêt particulier aux fragments ci-joints d'une lettre de M. de Bacourt à la duchesse de Dino. On sait en effet que les Mémoires de Talleyrand ne nous sont parvenus que dans une copie faite par M. de Bacourt sous les yeux de la duchesse de Dino, et que l'on ignore où se trouvent les papiers originaux sur lesquels cette copie a été faite. On ignore même s'ils existent encore. M. Th. Funck Brentano a dit, dans un article de la Nouvelle Revue, tenir de la source la plus autorisée qu'ils avaient été brûlés par la Duchesse. Quoi qu'il en soit, voici ce qu'écrivait de Hanover-Square M. de Bacourt à Mme de Dino le 10 novembre 1833, alors qu'il remplissait à Londres les fonctions de chargé d'affaires de France, en l'absence de l'ambassadeur. M. de Talleyrand avait quitté Londres avec Mme de Dino le 24 septembre; il n'y rentra qu'entre le 16 et le 24 décembre. M. de Bacourt répond en ces termes à la trente-troisième lettre de la duchesse:

10

« J'ai donc été hier à mon dîner du Lord Mayor, et m'en suis tiré mieux que je ne l'espérais. Je suis du reste enchanté d'avoir vu cela ; c'est quelque chose de très curieux. Le dîner était à Guildhall (1) et non à Mansion-house (2). Il y avait 1,200 personnes qui ont diné dans la même salle. Des toasts ont été portés. Celui du Roi et des Ministres ont été assez froidement accueillis, mais à celui de la Reine (3) toute

(1) Hôtel de ville de la Cité. (2) Hôtel du Lord Maire.

(3) Les bizarreries de Guillaume IV le rendaient peu populaire. Sa femme, une princesse de Saxe-Meiningen, qui avait été peu heureuse avec lui, était au

contraire très aimée. Le ministère de Lord Grey, où Lord Palmerston dirigeait les Affaires étrangères, était déjà ébranle en 1833; il devait tomber en 1834 devant un mouvement d'opinion favorable aux Tories, dont Wellington avait été longtemps le chef.

la salle s'est levée et des cris assourdissants, des trépignements de pieds, des bravos, ont retenti pendant dix minutes; ils ont recommencé cinq fois. Il en a été presque de même pour la santé du duc de Wellington. Les ministres qui, excepté Lord Grey et Lord Palmerston, étaient tous présents, ont fait une assez triste figure (1). Les dames se sont levées à 9 heures, et j'ai profité de la petite confusion que cela a produit pour m'esquiver.

<< En rentrant chez moi, j'ai trouvé le petit billet de Mme de Liéven (2), que je vous envoie, afin de vous montrer que je me maintiens dans de très bons termes avec cette fière ambassadrice aux grands airs. Le nom du Duc (3) m'a tenté. J'ai changé de toilette en cinq minutes, et j'ai été passer une heure à Asburnham-house, où il y avait compagnie choisie. Mes récits du dîner que j'ai faits avec mesure ont cependant été accueillis avec enthousiasme, et j'ai pu féliciter le Duc sur un succès qui était rendu plus grand par son absence du dîner. Il s'est beaucoup informé de vous et de M. de Talleyrand. Je lui ai donné les dernières nouvelles que j'avais.

« Je pense avec vous que c'est miraculeux que jusqu'à présent je n'aie pas souffert de grands maux d'estomac. Je crois qu'il faut attribuer cela au régime plus exact des heures de la nourriture, d'un travail plus régulier et de cette absence de tracasseries de chaque instant qui a le plus contribué à me soutenir dans l'état où je suis à présent. Je vous avoue que c'est cette idée qui m'inspire une telle déplaisance de rentrer sous le joug de la mauvaise humeur de M. de Talleyrand. Vous avez beau me le dépeindre comme étant devenu un mouton, et d'ailleurs il y a entre nous un fossé qui ne peut se combler. Je puis lui pardonner les torts qu'il a eus à mon égard, les mettre sur le compte de son âge, de sa santé, des affaires, mais je n'en ai pas moins pris la détermination de vivre ici de Clerc à Maître (4), et de ne jamais redevenir pour lui ce que j'ai été. Une fois hors des affaires et placés tous les deux sur un terrain neutre, les positions changent et nous pouvons très bien vivre en paix. Aussi je

(1) C'étaient Lord John Russell, Lord Althorp, Lord Brougham, Lord Melbourne, etc.

(2) Mme de Lieven, ambassadrice de Russie à Londres, habitait Asburnhamhouse.

(3) Duc de Wellington.

(4) C'est-à-dire rendre compte de ma gestion comme chargé d'affaires et rien de plus.

ne veux pas que vous m'accusiez, mon amie, de chercher à placer une barrière insurmontable à notre réunion. Non, je ne vous manquerai jamais par le cœur, ni par le fait, quand le fait dépendra de ma

volonté.....

<< Vous passez d'une angoisse dans une autre, mon amie. Voilà A... à peine parti, que la Princesse menace de quitter définitivement la compagnie. Ce doit être un triste spectacle que celui de la décomposition de cette pauvre femme, encore faudrait-il mieux que cela finît promptement; ses cendres reposeraient à Valençay, et ce serait une pensée douce pour elle, j'en suis sûr. Je reconnais bien votre bon cœur, votre nature de sœur grise dans les soins que vous lui prodiguez. Je voudrais cependant vous voir cette corvée de moins. C'est très gentil à Paulinette de vous suppléer près de son grand-père (1)........

« Vous faites, mon ange, un très beau morceau dans votre lettre sur les femmes perfides qui enlèvent aux autres leurs amours ou qui, dans leurs confidences malfaisantes, distillent le fiel de la jalousie; je partage toutes vos idées à cet égard. C'est pour cela que je suis convaincu que moins il y a de confidents d'une relation intime, mieux cela vaut. J'abonde encore bien davantage dans votre opinion sur la nécessité pour les gens qui s'aiment de fuir le monde et de choisir un petit coin bien caché.....

<< Non, ma belle dame, je ne vous trouverai jamais rabâcheuse, parce que tout ce qui se passe autour de vous ne peut jamais être du rabâchage pour moi. Ainsi, jolie pie borgne, bavardez toujours et vous ne bavarderez jamais aussi longuement et aussi sottement que moi dans cette longue lettre-ci.

« Vous vous êtes moquée de moi en me donnant votre opinion sur le livre de M. Mérimée (2), mais c'est égal, vous m'avez fait rire. Vous en avez très bien compris le but et l'intérêt; vous avez très bien vu qu'il s'agit, selon le titre, d'une double méprise, et que si le diplomate a le tort de saisir sans passion une bonne fortune qui s'adresse à lui, la dame a le beaucoup plus grand tort de se laisser saisir ou de se faire saisir sans savoir à qui elle a affaire. Avis aux

(1) Pauline, fille de la duchesse, était | auprès de Talleyrand et de la princesse. restée auprès de son grand-père, Ar- (2) La Double Méprise, qui venait de chambault-Joseph de Talleyrand, pen- paraître. dant que sa mère était à Valençay

dames qui s'enthousiasment pour le premier venu, et qui, lorsqu'elles se sont monté la tête, croient avoir pour cela une grande passion... »

Cette jolie lettre se termine sur cet avis au lecteur. M. de Bacourt, comme il le prévoyait, retrouva avec Talleyrand des relations agréables, quand celui-ci ne fut plus ambassadeur. Il lui inspira assez de confiance pour être choisi par lui comme exécuteur testamentaire. Nous voudrions bien que la bonne fortune qui a fait tomber entre nos mains la lettre que nous publions ici en partie nous eût aussi fait découvrir quelque document nous renseignant sur la manière dont il a procédé à la copie des fameux Mémoires. Il est bien à craindre que l'énigme reste à jamais irrésolue.

G. MONOD.

TESTAMENT ET ACTE D'INHUMATION

DE

LOUIS BLOUIN

TROISIÈME GOUVERNEUR DE VERSAILLES

Le nom de Louis Blouin est un de ceux qu'il convient de ne pas laisser tomber dans l'oubli, car ce personnage, « homme de beaucoup d'esprit,... qui choisissait sa compagnie dans le meilleur de la cour», a fait beaucoup pour la ville dont il fut le gouverneur de 1701 à 1729. Le savant bibliothécaire M. Le Roi a eu l'occasion de parler de lui, à plusieurs reprises, dans son Histoire des rues de Versailles. Il a montré en quoi consistait cette charge de « gouverneur des châteaux et parcs », combien elle était recherchée, comment Blouin la remplit, s'occupant « beaucoup de la ville de Versailles ». Ce fut lui, en effet, « qui fit construire le bâtiment de la Geôle, et y plaça le tribunal du bailliage et la prison. C'est à lui que l'on doit l'organisation de la police, de l'éclairage et de la plus grande partie du pavage de la ville. Il fit établir le marché sur un plan plus régulier qu'il n'avait été jusqu'alors, et fit construire le bâtiment du Poids-le-Roi, où se tenait alors un marché à la farine fort important; et, si l'on en croit Narbonne, nommé par lui commissaire de police et ayant, en cette qualité, des rapports fréquents avec lui, Blouin, par la facilité qu'il avait de voir le roi presque à toutes les heures de la journée, et comme premier valet de chambre et comme gouverneur de Versailles et de Marly, rendit de nombreux services non seulement à beaucoup de personnes de la cour, mais encore à un grand nombre d'habitants (1) ».

(1) Le Roi, tome II, p. 137-139.

« PreviousContinue »