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Eh bien! placez devant ce spectacle éblouissant la petite pensionnaire du couvent de Panthémon un jour de sortie. Regardez ses yeux grands ouverts, l'admiration éclatant sur son visage, réfléchissez qu'elle se dit en elle-même que ce monde-là qui passe c'est son monde, qu'elle y entrera un jour, que sa place l'attend dans un de ces carrosses du roi si luxueux, au milieu de cet essaim de brillants cavaliers tourbillonnant aux portières... Comprenez-vous maintenant avec quelle impatience elle désire se marier, pour être ensuite présentée à la cour, pour monter dans ces carrosses, pour recevoir à son tour les hommages de ces jeunes nobles si bien tournés et si polis.

Le cortège royal passait au milieu des champs et le contraste était grand de la cour aux paysans qu'on rencontrait.

Voici comment La Bruyère les a vus du haut de son cheval ou de derrière les glaces d'un des carrosses du roi :

« L'on voit certains animaux farouches, des mâles et « des femelles, répandus par la campagne, noirs, li<< vides et tout brûlés du soleil, attachés à la terre qu'ils <«< fouillent et qu'ils remuent avec une opiniâtreté invin<< cible; ils ont comme une voix articulée, et quand ils << se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face hu<«<maine, et, en effet, ils sont des hommes. Ils se retirent « la nuit dans des tanières où ils vivent de pain noir, << d'eau et de racines; ils épargnent aux autres hommes << la peine de semer, de labourer et de recueillir pour << vivre, et méritent ainsi de ne pas manquer de ce pain << qu'ils ont semé ».

Ce passage de La Bruyère, grand seigneur si monstrueusement égoïste, si inconsciemment inhumain, c'est

le plaidoyer le plus terrible qu'on ait jamais prononcé contre Louis XIV et la noblesse de cour.

Louis XIV avait dit : « L'Etat c'est moi!» et pour justifier cette parole il avait eu le courage de travailler durant cinqante-quatre ans, huit heures chaque jour. Il ne s'était laissé écraser par l'étiquette - lourd fardeau dont ses successeurs, trop faibles, se débarrasseront le plus qu'ils pourront il ne s'était point laissé absorber par l'amour lui-même et il avait écrit dans son journal ce conseil pour le Dauphin : « Il faut que nous séparions « les tendresses d'amant d'avec les résolutions de souve<< rain; que la beauté, qui fait nos plaisirs, n'ait jamais << la liberté de nous parler de nos affaires, ni des gens << qui nous y servent, et que ce soient deux choses absoa lument séparées ».

La faute de Louis XIV ce fut de transformer les nobles en courtisans, en leur procurant une vie d'oisiveté et de plaisir, en exigeant leur présence continue à Versailles, en les efféminant, en en faisant « ces fainéants de la cour » comme disait Molière.

Il s'était entouré d'un Olympe, il s'était séparé du peuple en exagérant le triomphe de la Royauté, il préparait sa chute prochaine.

Versailles et sa société, créés l'un et l'autre par la volonté d'un potentat dans un lieu que la nature n'avait point destiné à recevoir une grande ville, devaient décroître après la mort de leur créateur et devenir une ville de souvenir, le catafalque de la Royauté.

LES MAITRESSES DE LOUIS XV

Sous Louis XV, la vie de la femme de qualité se modifie profondément. La cour, qui est tout le monde de la femme noble, se dégrade, se désorganise peu à peu.

Et d'abord c'est l'ombre du Grand Roi, du Roi, comme on le nommait dans toutes les cours de l'Europe; c'est l'ombre du Roi qui épouvante son descendant. On dirait qu'il se sent incapable de remplir le rôle laissé vacant par l'illustre acteur qui vient de quitter la scène de Versailles.

Au lieu d'occuper les appartements de son aïeul, Louis XV se loge dans l'aile gauche du château, divisée en petits appartements. Il s'absente de plus en plus fré quemment de ce palais, de même qu'il se dérobe de plus en plus à ses devoirs de souverain, et quand, le 5 janvier 1757, il a été frappé par le couteau de Damiens dans la cour de Marbre, au moment où il va monter en voiture, il abandonne définitivement Versailles pour Trianon.

Depuis de longues années déjà, le sceptre était tombé en quenouille. Après les demoiselles de Nesle, la marquise de Pompadour avait pris empire sur le roi et mist le séquestre sur le royaume.

<< La leçon de ce long et éclatant scandale (fourni par « le règne de Louis XV), sera l'avertissement que la << Providence s'est plu à donner à l'avenir par la ren<< contre, en un même règne, de trois règnes de femmes, << et la domina ion successive de la femme des trois

« ordres du temps de la femme de la noblesse, ma« dame de la Tournelle; de la femme de la bourgeoisie, madame de Pompadour; de la femme du peuple, ma« dame Du Barry.

<< Le livre qui racontera l'histoire de ces femmes montrera comment la maîtresse, sortie du haut, du milieu « ou du bas de la société, comment la femme avec son sexe et sa nature, ses vanités, ses illusions, ses engouements, ses faiblesses, ses petitesses, ses fragilités, ses tyrannies et ses caprices, a tué la royauté en ⚫ compromettant la volonté ou en avilissant la personne « du Roi.

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« Il convaincra encore les favorites du dix-huitième « siècle d'une autre œuvre de destruction: il leur rapportera l'abaissement et la fin de la noblesse française. Il rappellera comment, par les exigences de «<leur toute-puissance, par les lâchetés et les agenouille«ments qu'elles obtinrent autour d'elles d'une petite par«tie de cette noblesse, ces trois femmes anéantirent dans la monarchie des Bourbons ce que Montesquieu appelle si justement le ressort des monarchies : l'hon"neur; comment elles ruinèrent cette base d'un Etat qui est le gage du lendemain d'une société : l'aristo«cratie; comment elles firent que la noblesse de France, « celle qui les approchait, aussi bien que celle qui mou

"

rait sur les champs de bataille et celle qui donnait à << la province l'exemple des vertus domestiques, enve«loppée tout entière dans les calomnies, les accusations << et le mépris de l'opinion publique, arriva, comme la royauté, désarmée et découronnée, à la Révolution « de 1789. »>

Une chanson du temps contre la Pompadour, chanson que la favorite attribuait à son ennemi Maurepas, peint

le ravage exercé dans la cour par la maîtresse du

roi :

Les grands seigneurs s'avilissent,
Les financiers s'enrichissent,
Et les poissons s'agrandissent;
C'est le règne des vauriens.
On épuise la finance

En bâtiments, en dépenses.
L'Etat tombe en décadence,

Le roi ne met ordre à rien, rien, rien.

Une petite bourgeoise

Elevée à la grivoise,

Mesurant tout à sa toise,

Fait de la Cour un taudis.

Le roi, malgré son scrupule,

Pour elle fortement brûle.

Cette flamme ridicule

Excite dans tout Paris, ris, ris, ris.

Cette catin subalterne
Insolemment le gouverne,

Et c'est elle qui décerne

Les honneurs à prix d'argent,
Devant l'idole tout plie,

Le courtisan s'humilie

Il subit cette infamie

Et n'est que plus indulgent, gent, gent, gent.

La contenance éventée,

La peau jaune et maltraitée,

Et chaque dent tachetée,

Les yeux froids et le cou long,

Sans esprit, sans caractère,

L'âme vile et mercenaire,

Le propos d'une commère,

Tout est bas chez la Poisson, son, son.

La Pompadour eut fort à faire pour s'établir et se maintenir à la cour. Il lui fallut plaire aux uns, les sé

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