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quand le rouge ne les couvrait pas, nos aïeules «< savaient tout sans avoir jamais rien appris ».

Elles n'avaient pas la tête bourrée des bribes disparates de toutes les sciences; elles savaient peu de choses, mais elles les savaient à fond. Elles connaissaient surtout leur français et je ne sache pas parmi nos modernes érudites beaucoup d'épistolières dont le style puisse rivaliser avec celui de Mme de Sévigné.

A peine au sortir du couvent, la jeune fille était mariée. Du moins, c'est ce qui se faisait ordinairement, souvent, généralement même; elle connaissait peu son prétendu, elle le connaissait peu du moins officiellement.

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Le mariage était une affaire réglée entre deux familles, bien plus qu'entre deux jeunes gens. D'ailleurs cela se comprend facilement. Les mariées étaient très jeunes Elles quatorze à dix-sept ans, encore des enfants. avaient l'habitude d'obéir aveuglément à leur père. Et puis, entre nous, je crois fort que dans leur conversation au couvent ces demoiselles, est-ce que la chose ne se fait plus comme cela maintenant ? ces demoiselles, dis-je, avaient passé en revue tous les jeunes gens de leur connaissance et discuté longuement sur ceux capables de devenir un jour leurs maris. N'existait-il pas déjà, à cette époque, mille moyens pour une jeune fille de faire comprendre à sa mère qu'un tel ou un tel ne lui déplairait pas ?

D'ailleurs, aujourd'hui même où les jeunes filles sont plus libres qu'elles ne l'ont jamais été, voit-on tant de mariages dictés par l'amour seul ? Et puis, autrefois comme maintenant, ce n'est pas tant le mari qui plaisait aux jeunes filles que le mariage; la vie libre qu'il amène avec lui, et le bal, et l'opéra, et la cour, la cour surtout !

Le mariage se célébrait parfois la nuit, pour plus de magnificence, afin d'étaler aux clartés des bougies un luxe plus coûteux.

A l'issue de la messe de jour, les deux familles se réunissaient dans un grand repas, où les plaisanteries salées, d'une verve beaucoup plus gauloise qu'elle ne le serait toléré maintenant dans le même monde, alternaient avec les épithalames.

Après le repas, la nouvelle épouse partait pour la campagne avec son mari.

Elle ne tardait pas à en revenir pour se faire présenter à la cour. On ne comprendrait pas l'importance de la présentation si l'on ne réfléchissait pas qu'être présenté, c'était être admis dans la compagnie du roi, de la reine et des princes, c'est-à-dire, pour un croyant de la foi monarchique, comme tout le monde l'était alors, quitter ce bas monde pour monter au ciel, quitter les sphères vulgaires pour entrer dans un lieu fermé, de splendeur et de plaisir.

Il faut, pour se faire une idée du désir, du besoin pour une femme de la noblesse, d'être reçue à la cour, entrer par le raisonnement dans les pensées de nos ancêtres et nous représenter par l'imagination ce qu'étaient alors Versailles et la société, la plus élégante, la plus riche, la plus vaillante d'Europe qui l'habitait.

D'après les idées chrétiennes de la vieille France, idées que nos pères avaient sucées avec le lait, le roi n'était pas seulement un homme investi du pouvoir suprême, c'était le représentant, le délégué de Dieu dans l'ordre temporel, comme le Pape l'était dans l'ordre spirituel. Et je ne sais pas si Louis XIV, l'enfant du miracle, le Dieu-donné, ne l'emportait pas quelque peu dans l'esprit des Français sur le pontife de Rome. C'est bien possible!

Quoi qu'il en soit, cette conception du pouvoir royal était grandiose. Nos pères, trop fiers et trop indépendants pour s'humilier devant un homme, se soumettaient au délégué temporel de l'autorité divine. L'obéissance ainsi était digne et facile, l'affection et le dévouement étaient naturels. Le souverain n'était plus un maître, mais l'humble « ministre de Dieu pour le bien. »

<«< Vous serez lieutenant du Roi des cieux qui est roi de France », disait Jeanne d'Arc à Charles VII. Le sacre, ordination assez semblable à celle des évêques, était la marque religieuse de cette délégation du pouvoir. Aussi nos pères avaient-ils pour leur roi « tout à la fois la tendresse qu'on a pour un père et le respect qu'on ne doit qu'à Dieu ».

A ce désir de vivre dans l'intimité du souverain, qu'un peuple entier entourait de son culte, se joignait, dans l'esprit de la jeune femme qui voulait être présentée, la curiosité ardente de voir Versailles et ses fêtes.

Inutile que je vous rappelle, n'est-ce pas, que le château primitif avait été construit comme un simple rendez-vous de chasse, par Louis XIII. Dès 1660, Louis XIV avait abandonné Saint-Germain et pris en affection le petit château de son père, situé selon l'expression de SaintSimon, dans « le plus triste et le plus ingrat de tous les « lieux, sans vue, sans bois, sans eau, sans terre, parce que « tout y est sable mouvant, ou marécageux, sans air et par « conséquent malsain ».

Ce goût naissant du monarque coincida bientôt avec son amour pour Mile de La Vallière. C'était à Versailles que se cachait la jeune fille, Louis XIV venait l'y rejoindre.

En 1664 avait lieu la première fête dont la blonde maîtresse du jeune monarque fut l'âme.

Quelques récits de ces amours étaient bien parvenus aux oreilles de la jeune femme pendant qu'elle était encore pensionnaire au couvent. Ce château de Versailles l'attirait donc à tous les points de vue l'amour et le caprice d'un roi l'avaient créé de toutes pièces avec ses jardins.

Maintes fois la jeune fille en songe avait dû se croire transportée à ces fêtes en l'honneur de La Vallière, fêtes dont Voltaire nous a laissé un récit enthousiaste.

་ La fête de Versailles, en 1664, surpassa celle du « carrousel par sa singularité, par sa magnificence et «<les plaisirs de l'esprit qui, se mêlant à la splendeur de « ces divertissements, y ajoutaient un goût et des grâces « dont aucune fête n'avait encore été embellie. Versailles commençait à être un séjour délicieux, sans "approcher de la grandeur dont il fut depuis.

« Le 5 mai 1664, le roi y vint avec la cour composée a de six cents personnes qui furent défrayées avec leur << suite, aussi bien que tous ceux qui servirent aux ap" prêts de ces enchantements...

Il y eut d'abord une espèce de carrousel, ceux qui devaient courir parurent le premier jour comme dans << une revue; ils étaient précédés de héraults d'armes, a de pages, d'écuyers, qui portaient leurs devises et « leurs boucliers, et sur ces boucliers étaient écrits en « lettres d'or des vers composés par Périgni et Bense« rade »...

«Le roi représentait Roger; tous les diamants de la « couronne brillaient sur son habit et sur le cheval qu'il << montait. Les reines et trois cents dames, sous des arcs « de triomphe, voyaient cette entrée.

« Le roi, parmi tous les regards attachés sur lui, ne « distinguait que ceux de Mlle de La Vallière. La fête

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« était pour elle seule; elle en jouissait confondue dans << la foule.

La cavalcade était suivie d'un char doré de 18 pieds «de haut, de 15 de large, de 24 de long, représentant « le char du soleil. Les quatre âges d'or, d'argent, d'ai«rain et de fer, les signes célestes, les saisons, les <«< heures, suivaient à pied ce char...

« Quelques personnages, qui suivaient le char d'Apol«<lon, vinrent d'abord réciter aux reines des vers conve<<nables au lieu, au temps, au roi et aux dames.

<< Les courses finies et la nuit venue, quatre mille << gros flambeaux éclairèrent l'espace où se donnaient ces fêtes. Des tables y furent servies par deux cents ⚫ personnes qui représentaient les saisons, les Faunes, les Sylvains, les Dryades, avec des pasteurs, des vendangeurs, des moissonneurs.

<< Pan et Diane avançaient sur une montagne mou<< vante et en descendirent pour faire poser sur les tables « ce que les campagnes et les forêts produisent de plus. « délicieux.

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<< Derrière les tables, en demi-cercle, s'éleva tout d'un «< coup un théâtre chargé de concertants. Les arcades << qui entouraient la table et le théâtre étaient ornées de a cinq cents girandoles vertes et argent, qui portaient « des bougies, et une balustrade dorée formait cette <<< vaste enceinte.

« Ces fêtes, si supérieures à celles qu'on invente dans « les romans, durèrent sept jours....

« La comédie de la Princesse d'Elide fut un des plus << agréables ornements de ces jeux, par une infinité d'allégories fines sur les mœurs du temps... »

Le roi voulut aussi voir jouer les trois premiers actes de Tartufe qui n'était pas achevé.

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