deux groupes de vers ne s'enchaînent jamais par leurs rimes (1). Mais, en revanche, au sein d'un même groupe, les rimes s'entrecroisent et se répètent avec une abondance parfois surprenante. On compte jusqu'à 4 vers sur une même rime dans des groupes de 6, et jusqu'à 5 vers dans des groupes de 7 (2): Laissons dire tous les censeurs : Tels changements ont leurs douceurs Qui passent leur intelligence. Ce Dieu sait ce qu'il fait aussi bien là qu'ailleurs ; Revenons à l'objet dont il a les faveurs. On trouve même jusqu'à 12 vers sur 2 rimes : Est-ce que du retour que j'ai précipité Un songe, cette nuit, Alcmène, dans votre âme Et que m'ayant peut-être en dormant bien traité, - Est-ce qu'une vapeur, par sa malignité, Du retour d'hier au soir brouillé la vérité? Votre cœur prétend à ma flamme Ravir toute l'honnêteté? (1) Voir page 278, note 2. (II, 2; v. 898-909.) (2) Mais, malgré toutes ces répétitions de rimes, on peut voir que Molière évite d'écrire 3 rimes semblables de suite. Le fait n'est à observer que 3 fois dans toute la pièce : C'est aux yeux des Thébains que je veux avec vous De la vérité pure ouvrir la connoissance; Et la chose sans doute est assez d'importance, Pour affecter la circonstance De l'éclaircir aux yeux de tous. (1, 5; v. 1686-1690.) Cf. II, 6; v. 1281-1285 et (fmmmf) 1, 2; v. 293-297. C'est avec droit que mon abord vous chasse Votre colère me menace : Je dois vous être un objet odieux, Vous devez me vouloir un mal prodigieux; C'est un crime à blesser les hommes et les Dieux, Et je mérite enfin, pour punir cette audace, Que contre moi votre haine ramasse Tous ses traits les plus furieux. Mais mon cœur vous demande grâce ;... (II, 6; v. 1348-1359.) Dans le premier de ces passages, les six vers de la femme qui s'irrite répondent, en renvoyant trait pour trait, aux six vers du mari inquiet et furieux; dans le second, Jupiter, qui ne dit en somme, par ces douze vers, qu'une seule chose : « Je vous demande bien pardon, » charge, en le répétant, l'aveu de la faute d'Amphitryon, jusqu'au moment où il tombe, pour en finir, aux genoux de celle qu'il veut séduire encore. La rime s'arrête. Ici, elle a suivi jusqu'au bout les répétitions d'une même idée; là, elle vient d'unir deux répliques qui s'opposent l'une à l'autre. Qu'on examine ces groupes où la rime répétée multiplie ses consonnances uniformes (1), on verra qu'elle représente, en quelque sorte, les modulations ou les variations (1) Groupes de 7 vers sur 2 rimes: Prologue; v. 59-66, 103-109, 148-154; 1, 1; v. 159-165, 226-232; 1, 1; v. 689-695, 706-712, 789795, 800-806; II, 2; v. 969-975; II. 3; v. 1068-1074, 1142-1148, 11531159; II, 6; v. 1290-1296, 1341-1347, 1385-1391; II, 5; v. 1631-1637, 1679-1685; III, 7; v. 1863-1869; III, 10; v. 1927-1933. Groupes de 8 vers: II, 1; v. 813-820; II, 2; v. 1040-1047; II, 2; v. 1531-1538; II, 5; v. 1623-1630; III, 7; v. 1833-1840. Groupes de 9 vers: 11, 3; v. 1180-1188; III, 6; v. 1784-1792. Groupes de 11 vers 11, 2; v. 1001-1011; II, 6; v. 1233-1243. Groupes de 12 vers: II, 2; v. 898-909; 11, 6; v. 1348-1359. d'un thème unique. Toute cette firade de Jupiter, qui a 50 vers, est écrite sur 16 rimes seulement la rime s'amplifie comme l'idée, elle soutient la loquacité persuasive du dieu. Ailleurs, on peut voir, comme dans ce long passage, la rime se distendre pour suivre tous les contours de la pensée qui développe ou redouble son expression, à moins que, comme dans les 12 vers que prononcent les deux époux, elle ne lie étroitement, semblable à la phrase musicale d'un opéra, les couplets qui se correspondent. Cette double observation est à faire aussi bien dans le comique pur que dans le tendre et le passionné. Écoutons Sosie: Ce moi qui m'a fait filer doux, Ce moi qui le seul moi veut être, Ai-je voulu jamais entendre de raison? Et ne me suis-je pas interdit notre porte? Comment donc? Avec un bâton (II, 1; v. 789-795.) Chez La Fontaine, la rime est comme une musique légère, mais savante, qui accompagne discrètement et souvent à contre-temps le rythme de la phrase. Elle est, chez Molière, comme une basse continue qui, aussi simple que celles de son musicien Lulli, entoure, soutient et enrichit la mélodie de la stance, et qui ne cesse de se faire entendré que quand celle-ci est arrivée au terme de son harmonieux développement. LA PHRASE DANS LES RIMES MÊLÉES DU VERS LIBRE.· GROUPES XIX. Dans les Fables de La Fontaine, les phrases peuvent être à rime complète, c'est-à-dire contenir sur chacune de leurs rimes, ou sur leur rime unique, les 2 vers qui se correspondent. Nous avons déjà cité un certain nombre de ces phrases à rime complète, et il serait facile de multiplier les exemples. Mais les phrases, sans parler de celles qui n'ont qu'un seul vers ou une seule fin de vers, sont, le plus souvent (plus de 7 fois sur 10), à rime incomplète; autrement dit, elles ont un ou plusieurs vers dont les rimes ne se complètent que dans d'autres phrases. Comme les phrases de 2 vers à rime complète sont relativement très peu nombreuses, alors que la rime plate domine dans les groupes de rimes, nous pouvons voir tout de suite que La Fontaine, étant donné un groupe de rimes aabbccdd, préfère de beaucoup la division a+ab + bc +cd, ou toute autre qui s'en rapproche, à la division aa+bb+cc+dd. C'est, en effet, ce qu'il est facile de constater par le moindre examen des Fables. Il n'est pas rare de voir plusieurs phrases, dont chacune est à rime incomplète, constituer entre elles un groupe de rimes complet. Nous dirons donc qu'elles sont à rime complétive. A. 1. Je ne suis pas de ceux qui disent : « Ce n'est rien, 2. Je dis que c'est beaucoup; et ce sexe vaut bien B. 1. Il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde : On a souvent besoin d'un plus petit que soi. 2. De cette vérité deux fables feront foi, Tant la chose en preuves abonde. C. (II, 11; v. 1-4) i. Il lui fallut à jeun retourner au logis, 2. Honteux comme un renard qu'une poule auroit pris, Trompeurs, c'est pour vous que j'écris : (I, 18; v. 24-28) Il peut arriver aussi qu'après un groupe de rimes déjà complet une phrase suive, qui s'y rattache par les mêmes rimes. Nous appellerons une telle phrase: phrase à rime expletive; par exemple, celle qui remplit les deux der niers des vers suivants : D. Comme vous êtes roi, vous ne considérez Qui ni quoi rois et dieux mettent, quoi qu'on leur die, Tout en même catégorie. Adieu mes nourrissons si vous les rencontrez. Peignez-les moi, dit l'Aigle, ou bien me les montrez; Je n'y toucherai de ma vie. (V, 18; v. 9-14) Ordinairement, le groupe commence, ou se termine, ou bien à la fois commence et se termine entre le commen cement et la fin d'une phrase. Cette phrase, par conséquent, |