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PRÉFACE DE LA FONTAINE

L'indulgence que l'on a eue pour quelques-unes de mes fables me donne lieu d'espérer la même grâce pour ce Recueil. Ce n'est pas qu'un des maîtres de notre éloquence n'ait désapprouvé le dessein de les mettre en vers. Il a cru que leur principal ornement est de n'en avoir aucun; que d'ailleurs la 5 contrainte de la poésie, jointe à la sévérité de notre langue, m'embarasserait en beaucoup d'endroits, et bannirait de la plupart de ces récits la brièveté, qu'on peut fort bien appeler l'âme du conte, puisque sans elle il faut nécessairement qu'il languisse. Cette opinion ne saurait partir que d'un homme d'excellent goût; 10 je demanderais seulement qu'il en relâchât quelque peu, et qu'il crût que les Grâces lacédémoniennes ne sont pas tellement ennemies des Muses françaises, que l'on ne puisse souvent les faire marcher de compagnie.

Après tout, je n'ai entrepris la chose que sur l'exemple, 15

1 pour quelques unes de mes fables, schon vor der Publication dieser Sammlung waren einige vereinzelt erschienen, andere hatten handschriftlich circuliert. 3 un des maîtres etc. Patru, berühmter Advokat beim Pariser Parlament, Mitglied der Academie, Lafontaines und Boileaus Freund; sein Abrathen hat zum Glück bei Lafontaine nicht gewirkt, auch dem Boileau hatte er von der Veröffentlichung der Art poétique abgerathen. 8 brièveté, in den Originalausgaben steht bréveté, was auch sonst damals vorkam und die Etymologie von brevis andeutet. 12 les Grâces lacédémoniennes, die lakonische Kürze.

je ne veux pas dire des anciens, qui ne tire point à conséquence pour moi, mais sur celui des modernes. C'est de tout temps, et chez tous les peuples qui font profession de poésie, que le Parnasse a jugé ceci de son apanage. A peine les fables qu'on 5 attribue à Ésope virent le jour, que Socrate trouva à propos de les habiller des livrées des Muses. Ce que Platon en rapporte est si agréable, que je ne puis m'empêcher d'en faire un des ornements de cette préface. Il dit que, Socrate étant condamné au dernier supplice, l'on remit l'exécution de l'arrêt à cause de 10 certaines fêtes. Cébès l'alla voir le jour de sa mort. Socrate lui dit que les dieux l'avaient averti plusieurs fois, pendant son sommeil, qu'il devait s'appliquer à la musique avant qu'il mourût. Il n'avait pas entendu d'abord ce que ce songe signifiait; comme la musique ne rend pas l'homme meilleur, à quoi 15 bon s'y attacher? Il fallait qu'il y eût du mystère là-dessous, d'autant plus que les dieux ne se lassaient point de lui envoyer la même inspiration. Elle lui était encore venue une de ces fêtes. Si bien qu'en songeant aux choses que le ciel pouvait exiger de lui, il s'était avisé que la musique et la poésie ont 20 tant de rapport, que possible était-ce de la dernière qu'il s'agis

car,

sait. Il n'y a point de bonne poésie sans harmonie: mais il n'y en a point non plus sans fiction; et Socrate ne savait que dire la vérité. Enfin il avait trouvé un tempérament: c'était de choisir des fables qui continssent quelque chose de véritable,

1 qui ne tire point etc. Das für mich nicht maassgebend · sein kann, er meint in seiner Bescheidenheit, dass er nicht mit den Alten wetteifern könne. 4 a jugé ceci ete. hat behauptet, dass die Fabeln (ceci) zu seinem Bereich gehören. 5 virent le jour, zu Socrates Zeit war noch keine Sammlung der Aesopischen Fabeln edirt, man kannte sie nur traditionell. 9 à cause de certaines fêtes. Die Abfahrt des Schiffes nach Delos mit Opfergaben. 10 Cébès, einer von Platos Schülern (siehe Phädon). 14 la musique, das Wort uovoizń umfasste alle 19 il s'était avisé war der Meinung.

Musenkünste.

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20

23 un tempérament. ein

telles que sont celles d'Ésope. Il employa donc à les mettre en vers les derniers moments de sa vie.

Socrate n'est pas le seul qui ait considéré comme sœurs la poésie et nos fables. Phèdre a témoigné qu'il était de ce sentiment; et par l'excellence de son ouvrage, nous pouvons juger 5 de celui du prince des philosophes. Après Phèdre, Aviénus a traité le même sujet. Enfin les modernes les ont suivis: nous en avons des exemples non-seulement chez les étrangers, mais chez nous. Il est vrai que lorsque nos gens y ont travaillé, la langue était si différente de ce qu'elle est, qu'on ne les doit 10 considérer que comme étrangers. Cela ne m'a point détourné de mon entreprise; au contraire, je me suis flatté de l'espérance que, si je ne courais dans cette carrière avec succès, on me donnerait au moins la gloire de l'avoir ouverte.

Il arrivera possible que mon travail fera naître à d'autres 15 personnes l'envie de porter la chose plus loin. Tant s'en faut que cette matière soit épuisée, qu'il reste encore plus de fables à mettre en vers que je n'en ai mis. J'ai choisi véritablement les meilleures, c'est-à-dire celles qui m'ont semblé telles: mais, outre que je puis m'être trompé dans mon choix, il ne sera pas 20 bien difficile de donner un autre tour à celles là même que j'ai choisies; et si ce tour est moins long il sera sans doute plus approuvé. Quoi qu'il en arrive, on m'aura toujours obligation, soit que ma témérité ait été heureuse, et que je ne me sois point trop écarté du chemin qu'il fallait tenir, soit que j'aie seulement 25 excité les autres à mieux faire.

9 nos gens 14 de l'avoir

5 nous pouvons juger, dies ist nicht klar, denn Phaedrus sagt nirgends, dass er Fabeln des Socrates übersetze. 6 Avienus, der lateinische Uebersetzer des Babrius, der unter Theodosius lebte und richtiger Avianus geschrieben werden muss. unsre Autoren, würde nicht mehr gesagt werden. ouverte, die Laufbahn eröffnet zu haben, nicht als Erfinder, sondern als Vervollkommner der Form und Behandlungsweise. 18 à mettre en vers, Lafontaine nannte seine Sammlung: Fables choisies, mises en vers.

Je pense avoir justifié suffisamment mon dessein; quant à l'exécution, le public en sera juge. On ne trouvera pas ici l'élégance ni l'extrême brièveté qui rendent Phèdre recommandable: ce sont qualités au-dessus de ma portée. Comme il m'était im5 possible de l'imiter en cela, j'ai cru qu'il fallait en récompense égayer l'ouvrage plus qu'il n'a fait. Non que je le blâme d'en être demeuré dans ces termes: la langue latine n'en demandait pas davantage; et, si l'on y veut prendre garde, on reconnaîtra dans cet auteur le vrai caractère et le vrai génie de Térence. 10 La simplicité est magnifique chez ces grands hommes: moi, qui n'ai pas les perfections du langage comme ils les ont eues, je ne la puis élever à un si haut point. Il a donc fallu se récompenser d'ailleurs: c'est ce qui j'ai fait avec d'autant plus de hardiesse, que Quintilien dit qu'on ne saurait trop égayer les 15 narrations. Il ne s'agit pas ici d'en apporter une raison: c'est assez que Quintilien l'ait dit. J'ai pourtant considéré que, ces fables étant sues de tout le monde, je ne ferais rien si je ne les rendais nouvelles par quelques traits qui en relevassent le goût. C'est ce qu'on demande aujourd'hui: on veut de 20 la nouveauté et de la gaieté. Je n'appelle pas gaieté ce qui excite le rire; mais un certain charme, un air agréable qu'on peut donner à toutes sortes de sujets, même les plus sérieux.

Mais ce n'est pas tant par la forme que j'ai donnée à 25 cet ouvrage qu'on en doit mesurer le prix, que par son utilité et par sa matière: car qu'y a-t-il de recommandable dans les productions de l'esprit qui ne se rencontre dans l'apologue?

14 Quintilien dit. (Inst. orat. IV. 2.) Ego vero narrationem, ut si ullam partem orationis, omni, qua potest, gratia et venere exornandam puto. Was mich anbetrifft, so glaube ich, dass von allen Gattungen die Erzählung mit Feinheit und Anmuth geschmückt sein muss. 15 c'est assez que Quintilien l'ait dit, dies zeugt von der Autorität, die er den Alten beimisst. In der Fabel IV. 7. heisst es: Pline le dit, il faut le croire.

C'est quelque chose de si divin, que plusieurs personnages de l'antiquité ont attribué la plus grande partie de ces fables à Socrate, choisissant, pour leur servir de père, celui des mortels qui avait le plus de communication avec les dieux. Je ne sais comme ils n'ont point fait descendre du ciel ces mêmes fables, 5 et comme ils ne leur ont point assigné un dieu qui en eût la direction, ainsi qu'à la poésie et à l'éloquence. Ce que je dis n'est pas tout à fait sans fondement, puisque, s'il m'est permis de mêler ce que nous avons de plus sacré parmi les erreurs du paganisme, nous voyons que la Vérité a parlé aux hommes 10 par paraboles: et la parabole est-elle autre chose que l'apologue, c'est-à-dire un exemple fabuleux, et qui s'insinue avec d'autant plus de facilité et d'effet qu'il est plus commun et plus familier? Qui ne nous proposerait à imiter que les maîtres de la sagesse nous fournirait un sujet d'excuse: il n'y en a point quand des abeilles et des fourmis sont capables de cela même qu'on nous demande.

15

C'est pour ces raisons que Platon, ayant banni Homère de sa république, y a donné à Ésope une place très-honorable. Il souhaite que les enfants sucent ces fables avec le lait; il 20 recommande aux nourrices de les leur apprendre: car on ne saurait s'accoutumer de trop bonne heure à la sagesse et à la vertu. Plutôt que d'être réduits à corriger nos habitudes, il faut travailler à les rendre bonnes pendant qu'elles sont encore indifférentes au bien ou au mal. Or, quelle méthode y peut 25 contribuer plus utilement que ces fables? Dites à un enfant

4 le plus de communication avec les dieux, Anspielung auf den Dämon des Socrates. 5 comme für comment 5 ils n'ont

häufig, auch bei Mol, es ist altfranzösisch. point fait descendre etc. Sie haben es aber in Wahrheit gethan. Philostratus im Leben des Apollonius sagt, dass Mercur, nachdem er die schönen Künste unter seinen Günstlingen vertheilt, dem Aesop die Gabe der Fabeldichtung verliehen habe. 10 la vérité, Jesus Christus, der häufig in Parabeln spricht.

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