Page images
PDF
EPUB

Un certain homme avoit trois filles,
Toutes trois de contraire humeur:

Une buveuse; une coquette;

10

La troisième, avare parfaite.

15

20

25

30

Cet homme, par son testament,
Selon les lois municipales,

Leur laissa tout son bien par portions égales,
En donnant à leur mère tant,

Payable quand chacune d'elles

Ne posséderoit plus sa contingente part.
Le père mort, les trois femelles

Courent au testament, sans attendre plus tard.
On le lit, on tâche d'entendre

La volonté du testateur;

Mais en vain: car comment comprendre
Qu'aussitôt que chacune sœur

Ne possédera plus sa part héréditaire,
Il lui faudra payer sa mère?
Ce n'est pas un fort bon moyen,
Pour payer, que d'être sans bien.
Que vouloit donc dire le père?

L'affaire est consultée; et tous les avocats,
Après avoir tourné le cas

En cent et cent mille manières,

Y jettent leur bonnet, se confessent vaincus,
Et conseillent aux héritières

De partager le bien sans songer au surplus.

14 en donnant etc. Indem er ihrer Mutter eine gewisse Summe vermachte, zahlbar, sobald jede von ihnen den ihr zukommenden Theil nicht mehr besitzen würde. 17 femelles, etwas verächtlicher Ausdruck. 18 sans attendre plus tard, sogleich, auf der Stelle. 22 chacune sœur, Gerichtsstyl, hier sehr passend. 28 consultée, berathen. 31 y jettent leur bonnet, sind am Ende mit ihrer Weisheit, sprichwörtl. 33 sans songer au surplus, ohne sich an das zu kehren, was man darüber sagen wird.

Quant à la somme de la veuve,

35 Voici, leur dirent-ils, ce que le sonseil treuve.
Il faut que chaque sœur se charge par traité
Du tiers, payable à volonté;

Si mieux n'aime la mère en créer une rente,
Dès le décès du mort courante.

40 La chose ainsi réglée, on composa trois lots;
En l'un les maisons de bouteille,

45

50

55

Les buffets dressés sous la treille,

La vaisselle d'argent, les cuvettes, les brocs,

Les magasins de Malvoisie,

Les esclaves de bouche, et, pour dire en deux mots,
L'attirail de la goinfrerie;

Dans un autre, celui de la coquetterie,

La maison de la ville, et les meubles exquis,

Les eunuques et les coiffeuses,

Et les brodeuses,

Les joyaux, les robes de prix;

Dans le troisième lot, les fermes, le ménage,
Les troupeaux et le pâturage,

Valets et bêtes de labeur.

Ces lots faits, on jugea que le sort pourroit faire
Que peut-ètre pas une sœur

N'auroit ce qui lui pourroit plaire.

Ainsi chacune prit son inclination;

35 treuve war schon im siebzehnten Jahrh. ein Archaismus, Mol. hat ihn auch. Mis. I. 1. Ne ferme point mes yeux aux défauts qu'on lui treuve. 38 une rente etc., die nach dem Ableben des Verblichenen zahlbar ist. 41 les maisons de bouteille, ein kleines Landhaus, wo man nur ein pied-à-terre hat und isst und trinkt, man sagt auch vide-bouteilles. 43 brocs, Weinkannen. 45 esclaves de bouche, die Diener, die das Essen bereiten, officier de la bouche. 46 l'attirail de la goinfrerie, der Zubehör einer Schmauserei. 52 le ménage, der Hausrath. son inclination, das, was ihr zusagte.

58 prit

60

65

Le tout à l'estimation.

Ce fut dans la ville d'Athènes

Que cette rencontre arriva.

Petits et grands, tout approuva

Le partage et le choix: Ésope seul trouva
Qu'après bien du temps et des peines

Les gens avoient pris justement

Le contre-pied du testament.

Si le défunt vivoit, disoit-il, que l'Attique
Auroit de reproches de lui!

Comment! ce peuple, qui se pique

70 D'être le plus subtil des peuples d'aujourd'hui,
A si mal entendu la volonté suprême
D'un testateur! Ayant ainsi parlé,

75

Il fait le partage lui-même,

Et donne à chaque sœur un lot contre son gré,
Rien qui pût être convenable,

Partant rien aux sœurs d'agréable:

A la coquette, l'attirail

Qui suit les personnes buveuses;

La biberonne eut le bétail;

80

La ménagère eut les coiffeuses.

Tel fut l'avis du Phrygien,

Alléguant qu'il n'étoit moyen

Plus sûr pour obliger ces filles

A se défaire de leur bien;

85 Qu'elles se marieroient dans les bonnes familles

Quand on leur verroit de l'argent,

Paieroient leur mère tout comptant;

59 le tout à l'estimation, nach gerichtlicher Schätzung.

70 subtil = fin, klug, schlau.

78 qui suit, der zukommt.

79 biberonne, die Säuferin, alt und populär; fem. von biberon von bibere. 80 la ménagère, die häuslich Gesinnte. 81 le Phrygien, Aesop.

Ne posséderoient plus les effets de leur père,
Ce que disoit le testament.

90 Le peuple s'étonna comme il se pouvoit faire Qu'un homme seul eût plus de sens

Qu'une multitude de gens.

Phaedr. IV. 4 Poeta.

LIVRE TROISIÈME.

5

FABLE PREMIÈRE.

Le meunier, son fils et l'âne.

A. M. D. M.

L'invention des arts étant un droit d'aînesse,
Nous devons l'apologue à l'ancienne Grèce :
Mais ce champ ne se peut tellement moissonner
Que les derniers venus n'y trouvent à glaner.
La feinte est un pays plein de terres désertes;
Tous les jours nos auteurs y font des découvertes.
Je t'en veux dire un trait assez bien inventé:

Autrefois à Racan Malherbe l'a conté.

Ces deux rivaux d'Horace, héritiers de sa lyre, 10 Disciples d'Apollon, nos maîtres, pour mieux dire, Se rencontrant un jour tout seuls et sans témoins (Comme ils se confioient leurs pensers et leurs soins), Racan commence ainsi: Dites-moi, je vous prie,

Vous qui devez savoir les choses de la vie, 15 Qui par tous ses degrés avez déjà passé,

A. M. D. M. Diese Anfangsbuchstaben bedeuten A monsieur de Maucroix, Canonicus von Rheims, ein intimer Freund Lafontaines. 5 la feinte, die Fiction, poetische Erfindung. 8 Racan, ein poetischer Vorgänger Lafontaines (1589-1670), besonders was das Naturgefühl anbetrifft, das in seinen Pastorales herrscht. soins, nicht Sorgen, sondern geistige Interessen.

12

« PreviousContinue »