Page images
PDF
EPUB

du tome de son Hydrographie française. La nuit se passa sans qu'on aperçût rien; mais, le 22 au matin, on découvrit dans le N.-E. une terre assez haute, découpée et s'étendant de l'Ouest à l'Est 174 N.-E. Ce ne pouvait être que l'ile d'Enckuysen elle-même; quand on fut parvenu à son extrémité la plus S.-O., Fréminville en détermina la position par 60° 54' 11" de latitude Nord et 13° de longitude Ouest, position à peu près la même que celle qui est assignée à cette île sur la carte de Bellin.

Enchanté d'avoir ainsi dissipé les doutes qui obscurcissaient un point important de l'hydrographie des mers boréales, et l'ile lui semblant avoir une certaine étendue, Fréminville désirait vivement qu'on en fit le tour. Mais, impatient d'atteindre les parages du Spitzberg, le commandant se borna à faire prolonger la côte occidentale depuis le cap Sud jusqu'à l'extrémité la plus NordEst. Le temps étant très beau, Fréminville en fit plusieurs relèvements et un plan assez exact. Il reconnut que, dans cette direction, l'ile avait une étendue de quatre lieues; le sol lui en parut stérile et dépouillé de verdure. Avant d'arriver à l'extrémité du Nord-Est, il remarqua une assez belle baie, offrant un bon mouillage, et qui fut nommée la Baie française. La pointe du N.-E. ayant été rangée à une petite lieue de distance, il vit que, de ce point, la côte retournait vers le Sud, jusqu'à un cap assez élevé, qui fut appelé le Cap de la Sirène, du nom de la frégate commandante.

Le 25 mai, l'expédition entra dans la Mer Glaciale en coupant le cercle polaire arctique par 8°29' de longitude Ouest du méridien de Paris, et l'on convint immédiatement de deux points de rendez-vous, en cas de séparation, le premier au cap Sud du Spitzberg, le second dans la baie de Patrix Fiord, en Islande. Cinq jours après, les

frégates étaient environnées d'immenses glaçons flottants, bien qu'elles ne fussent encore qu'au 72e degré de latitude, et que, dans la belle saison, on s'avance jusqu'au 78, quelquefois même jusqu'au 80°, sans en rencontrer. Le 3 juin, vers sept heures du matin, elles aperçurent un banc de glace; comme il n'était composé que de glaçons brisés et flottants, elles s'y engagèrent. Lorsqu'il fut franchi, elles virent se dérouler devant elles une immense plaine immobile, entrecoupée de très hautes montagnes de glaces dont la belle couleur vert d'eau offrait aux regards le spectacle le plus attrayant et le plus fantastique. Cette plaine présentait quelques ouvertures à travers lesquelles les frégates cherchèrent un passage pour s'avancer vers le Nord, naviguant très près les unes des autres et avec beaucoup de circonspection. Ces montagnes, ces pics revêtaient des formes variées et bizarres dont l'aspect rompait du moins la monotonie d'une longue et périlleuse navigation. L'imagination se plaisait à leur prêter l'apparence de quelque objet connu, et toute l'étendue de l'horizon semblait semée de villes en ruines, de clochers, de tours, etc. Après toute une journée employée à naviguer dans les étroits passages qui existaient entre ces montagnes, il fallut virer de bord, et l'on ne put les franchir de nouveau qu'en y laissant quelques feuilles du doublage en cuivre des frégates.

Pendant ce temps, le typhus et le scorbut sévissaient parmi les équipages dépourvus de rafraîchissements et même de vivres convenables. On était rationné à une bouteille d'eau par jour pour chaque homme Telle était la situation, lorsque, le 6 juin, on commença à voir flotter des fragments de glaces détachés d'une île couverte de montagnes très élevées et s'étendant à perte de vue du Sud au Nord. Les frégates la cotoyèrent de très

près. Ce qui faisait croire qu'elle tenait au Spitzberg, ou tout au moins qu'elle en avait très récemment été détachée, c'est qu'elle contenait en certains endroits des masses de terre qu'elle avait entraînées avec elle. Elle se prolongeait du S.-O. au N.-E. en une pointe très saillante qui fut doublée, le 12 juin, jour où, par une brume épaisse, la Guernière se sépara de la division et gagna les îles Féroë, puis de là Dunkerque, au lieu de l'un des deux points de rendez-vous convenus. La Sirène et la Revanche, emprisonnées dans un bassin de glace, ne purent rega gner la mer libre qu'à travers un étroit passage qui n'était pas entièrement obstrué. Après avoir cotoyé pendant plusieurs jours une plaine de glace dont une des pointes fut franchie, le 16 juin. la Sirène, alors séparée de la Revanche, reconnut, le 21, le cap Sud du Spitzberg. On en était à environ dix lieues; mais les glaces empêchaient d'en approcher davantage, et le capitaine d'un navire brêmois affirma à M. Le Duc qu'il tenterait vainement d'y aborder cette année, la plus rigoureuse qu'il eût vue depuis trente ans dans ces parages. Il ajouta même que plusieurs capitaines s'étant trouvés enfermés dans les glaces où ils s'étaient trop avancés, avaient péri victimes de leur opiniâtreté.

La Revanche rallia, le soir, avec une prise russe qu'elle avait faite. Le lendemain, une corvette anglaise fut capturée. Les provisions de ces prises furent très utiles aux deux frégates. Néanmoins, tout espoir d'aborder au Spitzberg étant perdu, il leur devenait de plus en plus urgent d'atterrir à un lieu où elles pussent faire de l'eau, car elles n'en avaient pas pour trois semaines, quoique la ration eût encore été réduite. L'ordre de mettre le cap au Sud fut donc accueilli par un cri de joie unanime des équipages, et sept jours après (30 juin), les frégates, coupant le

cercle polaire par 15°9' de longitude Quest, voyaient le soleil se coucher pour la première fois depuis le 20 mai, et le 1er juillet, à trois heures du matin, elles décou vraient les côtes d'Islande, à 15 ou 16 lieues dans le N-N.-0.

[ocr errors]

L'après-midi, Fréminville releva Lange Ness (Longue pointe), au N.-O. 114 N., et il se disposa immédiatement à commencer de ce point les relèvements et la triangulation nécessaires à la construction d'une carte de la côte. Les frégates devant contourner l'ile presque en entier pour pénétrer dans la baie de Patrix-Fiord, où elles voulaient relâcher, c'était une belle occasion de faire un travail géographique plus exact que tous ceux dont cette côte avait jusque-là été l'objet. Secondé par les deux chefs de timonerie de la Sirène, Fréminville continua les jours suivants ses opérations trigonométriques. Il reconnut dans le S.-E. 174 E., l'ile de Walsback, petite, plate, allongée, et si peu élevée au-dessus de l'eau, que, par un temps obscur, elle peut devenir un écueil fort dangereux. Elle est séparée de la côte orientale d'Islande par un canal de trois lieues de largeur, et git, d'après les observations de Fréminville, par 64°31' de latitude et 14°16' de longitude Ouest. Cette ile, ou pour mieux dire, ce plateau basaltique, sur lequel on n'aperçoit aucune trace de végétation, est indiquée sous le nom d'ile Pepys sur quelques cartes, notamment sur celle que Bellin avait dressée en 1758. Kerguelen, commandant la Folle, l'avait déjà reconnue en 1767; mais n'en soupçonnant pas l'existence, il avait pris pour elle l'ile d'Enckuysen qui, si elle existe réellement, git plus au Sud et est d'ailleurs plus considérable, Kerguelen rapporte, sur la foi de pêcheurs danois et hollandais . qu'entre l'ile Walsback et l'Islande, il y a des courants très violents et un gouffre tellement dangereux,

[ocr errors]

qu'aucun bâtiment n'osa jamais se hasarder à y passer. Malgré cette assertion, la Sirène donna hardiment dans le canal, et loin d'y rencontrer ni gouflre, ni courants rapides, elle y trouva une mer calme dont une brise légère ridait à peine la surface.

Les frégates continuant à cotoyer l'Islande, Fréminville reconnut successivement les petites îles de Wreland, la côte de pointe de Skem et l'entrée de la baie de Kikebar. Plus il apportait d'attention à ses relèvements, plus il acquérait la preuve de la défectuosité des cartes dressées jusqu'alors, à l'exception toutefois de quelques points très bien déterminés en 1772 par M. Verdun de la Crenne et par les savants Borda et Pingré, alors embarqués avec lui sur la Flore. Il rectifia ensuite la position des îles Westman, au N. 14 N. E.; de Reikianess, la dernière pointe au Sud de l'île, qu'il releva au S.-S.-E. 1/2 E.; de la pointe Skagen, au S.-E 1/4 E.; et d'Ondervarness, au N.-N.-O. Ce dernier point est le cap le plus au N.-O. du grand golfe de Faxa-Fiordur où Fréminville, qui faisait toujours marcher de front l'hydrographie et la conchyliologie, trouva, le 10 juillet, des mollusques encore inconnus. Après les avoir bien examinés, il se convainquit que, malgré leur analogie avec les méduses et les béroës, ils formaient un genre nouveau qu'il a ainsi décrit dans ses Mémoires inédits:

« Les plus grands de ceux que je pêchai avaient quatre « pouces de long. Le corps de ce radiaire était en forme « de sac, mince, gélatineux et transparent, fermé par le « haut et ouvert inférieurement. De l'extrémité supérieure partaient, en divergeant, neuf vaisseaux ou canaux << vasculeux de couleur violette, et qui s'étendaient en << diminuant graduellement de grosseur jusqu'aux deux «tiers de la longueur totale de l'animal. Ces canaux

[ocr errors]
« PreviousContinue »