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NOTICE

SUR

LES OUVRAGES DE MARMONTEL,

LIF

Marmontel naquit le 11 juillet 1723, à Bort en Limousin. Il fit, à l'âge de dix-neuf ans, son premier voyage Paris. Dès cette époque, il commença à fonder sa réputation littéraire par des ouvrages qui annonçaient des dispositions heureuses et un talent précoce. Encouragé par les conseils de Voltaire, Marmontel se livra au théâtre. Deux prix de poésie, qu'il obtint à l'Académie française, sur deux sujets à peu près analogues : La gloire de Louis XIV perpétuée dans le Roi son successeur (1746), et la Clémence de Louis XIV est une des vertus de son auguste successeur, le firent connaître avantageusement, et durent contribuer au succès de sa tragédie Denys le Tyran, pièce qui est d'ailleurs d'un faible intérêt, quoique remplie de grands effets dramatiques, et de celle d'Aristomène, applaudie par un públic qui se plaisait à exciter l'émulation d'un jeune homme et à favoriser ses débuts. Cléopâtre, qu'il donna ensuite, fut peu goûtée; les Héraclides ne furent point imprimés, et Numitor ne subit pas même l'épreuve de la représentation.

Ces échecs successifs ne firent pourtant pas renoncer Marmontel au théâtre. Il n'abandonna la tragédie que pour

'Cette petite ville est aujourd'hui un des chefs-lieux de canton du département de la Corrèze.

faire des opéras. Mieux secondé par les artistes de l'Opéra que par ceux du Théâtre-Français, dont il avait eu quelquefois à se plaindre, il dut en partie son succès à Grétry et à Piccini, célèbres compositeurs de l'époque, qui avaient écrit sur ses poëmes d'immortelles partitions. Marmontel avait été séduit de bonne heure par l'ambition de marcher sur les traces de Quinault. Il fit des changements nombreux à ses opéras, croyant ajouter à leur intérêt et les rendre susceptibles d'admettre toutes les formes d'une mélodie qui semblait leur devoir être étrangère. Cette tentative, approuvée par quelques-uns, blâmée par le plus grand nombre, attira à son auteur de sévères critiques et des satires, fut même l'occasion d'une guerre de parti où il eut au moins sur ses adversaires l'avantage de la modération.

Marmontel ne s'occupait pas seulement de poésie : dans les loisirs que lui laissait une place de secrétaire des bâtiments, obtenue par le crédit de madame de Pompadour, il s'occupait à faire un cours d'études méthodiques, en parcourant les principales branches de la littérature ancienne et moderne. Ses recherches en ce genre avaient pour but de fournir des articles à l'Encyclopédie dont ses deux amis Diderot et d'Alembert étaient les éditeurs. Pour concourir au succès du Mercure de France, dont il fut depuis nommé directeur, il y fit insérer le premier de ses Contes moraux, intitulé Alcibiade ou le Moi. Cet opuscule frappa d'autant plus ses lecteurs que l'auteur ne s'y était pas nommé. A un dîner d'Helvétius, les plus fins connaisseurs crurent pouvoir l'attribuer à Voltaire et à Montesquieu. Une méprise si flatteuse engagea Marmontel à se livrer à ce genre de composition, le seul où il ait eu un véritable succès. Telle fut l'origine de ces Contes dont le recueil, imprimé tant de fois depuis 1761, est traduit dans

toutes les langues de l'Europe. L'auteur dut se féliciter d'avoir rencontré le genre de composition auquel l'appelait la nature de son esprit. On regrette qu'entraîné par le désir de plaire à son siècle, il ait plus d'une fois oublié le dessein qu'il annonce d'introduire une morale saine et sévère dans ses compositions les moins graves. Ses Contes moraux justifient rarement leur titre.

En 1760, l'Académie lui avait décerné pour la troisième fois le prix de poésie, en couronnant l'Épître aux Poëtes sur les Charmes de l'Etude, morceau plein d'une verve qu'il n'eut jamais ailleurs, mais dans lequel il exalte Lucain, censure Virgile, défend le Tasse contre les attaques de Boileau, et s'efforce d'enlever à celui-ci le rang qu'il occupe à si juste titre dans l'opinion. A peu près à cette époque parut la traduction en prose du poëme de la Pharsale, avec un supplément qui termine le livre dixième. Le traducteur se propose moins de faire revivre tous les traits de son modèle que d'en conserver les beautés après les avoir dégagées de ce qui les dépare. Vainement il en tempère les excès, en abrége les longueurs, en éclaircit les obscurités il n'a pu, malgré ses louables efforts, lui procurer un grand nombre de lecteurs.

La Poétique française fut publiée en 1763. Voici le jugement que Marmontel en porta plus de vingt ans après : « Ce recueil d'observations, d'abord rédigé à la hâte, ne m'a paru ni assez complet ni assez réfléchi. En le fondant presque en entier dans les articles que j'ai semés dans l'Encyclopédie, j'ai eu lieu bien souvent, tantôt d'en éclaircir, d'en développer les principes, tantôt de les rectifier. » (Avertissement de Marmontel.) Dédier cette Poétique à Louis XV était une précaution adroite pour préparer ce monarque à approuver l'admission de l'auteur à l'Académie française, qui lui ouvrit ses portes le 22 décembre 1763. II

en fut nommé secrétaire perpétuel, en remplacement de d'Alembert.

Quatre ans après, il composa son Bélisaire. Ce roman fixa l'attention des souverains et des peuples. Les six premiers chapitres ont un intérêt dramatique, mais les dix autres, sans action et sans vie, offrent une suite de dissertations politiques. Le quinzième traite de la tolérance. Les maximes qu'il renferme furent censurées par la Sorbonne le 26 juin 1767, et le 31 janvier 1768, M. de Beaumont, archevêque de Paris, fit paraître un mandement qui confirmait dans tous ses points la sentence des docteurs. L'affaire fit beaucoup de bruit et grandit la réputation de l'auteur. L'approbation et les éloges des cours de Prusse, d'Autriche, de Suède et de Russie consolèrent un peu Marmontel des contradictions qu'il éprouvait en France. Quoi qu'il en soit, ce roman fut trop exalté par l'esprit de parti, et nous ne croyons pas qu'il puisse être absous de trois fautes capitales: l'invraisemblance, la monotonie, la stérilité d'invention.

En 1773, Marmontel donna les Incas. Voici comment un de ses contemporains, La Harpe, appréciait cet ouvrage dans sa correspondance littéraire : « Les Incas de M. Marmontel, si longtemps attendus, paraissent enfin; mais le succès ne répond pas à cette longue attente. Luj-même convient dans sa préface qu'il ne sait quel nom donner à son ouvrage. Tout le fond en est historique; mais la forme qu'il lui a donnée, en ôtant à l'histoire sa forme méthodique, ne lui a pas donné plus de faits il s'en faut de tout. Il y a des morceaux éloquents, des situations intéressantes; mais le corps de l'ouvrage est cent fois moins intéressant que l'histoire même. Ce roman poétique n'a pas un plan assez net, une marche assez déterminée; il manque de cette unité si précieuse et si indispensable dans un ou

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