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violations des droits de l'homme et du citoyen? Le penser, c'est une injure. Ces réflexions, qui furent prononcées avec emphase, se trouvoient réfutées par les motions dangereuses qui avoient été décrétées. Mais sans alléguer cet argument victorieux, l'évêque de Clermont éleva la voix, et s'écria: Eh bien! si le serment proposé ne couvre aucun piége, s'il ne renferme aucun équivoque, comme nous le présumons de l'honnêteté et de la droiture de l'assemblée, nous n'hésitons pas à l'adopter dans son entier, pourvu que nous puissions y ajouter ces mots : En tout ce qui ne sera pas contraire à la foi catholique. Cette simple restriction, ajouta-t-il, est un hommage rendu à l'assemblée, qui a déclaré, sur la motion de M. de Mirabeau lui-même, que n'ayant aucun pouvoir sur les consciences, elle ne devoit pas, dans ses décrets, se mêler des choses du ciel.

Si les factieux, qui avoient imaginé ce serment, n'avoient pas eu des intentions perverses, cette restriction ne devoit souffrir aucune difficulté : n'eût-elle servi qu'à tranquilliser les consciences trop timorées, il étoit donc de la sagesse et de l'humanité de l'assemblée de l'adopter; mais des cris tulmutueux du côté gouche firent entendre ces mots : Point de restriction! Les galeries, à qui le signal avoit été donné, le

Perte de ses bé néfices par le refus du serment.

répétèrent avec des cris épouvantables. Aucun évêque, aucun ecclésiastique n'eut plus la faculté de se faire entendre. En vain des voix du côté droit réclamèrent-elles la liberté d'opiner; en vain fit-on observer l'indécence d'une délibération où les galeries, autorisées, sembloient avoir le droit de suffrages, par l'influence de leurs clameurs et de leurs menaces. La restriction n'en fut pas moins rejetée sur la motion. de l'avocat Treilhard qui sembla n'obtenir un moment de silence que pour déclamer avec la plus grande véhémence contre cette restriction; ce qui lui attira les applaudissemens du côté gauche et des galeries. C'étoit lever le masque, et dire : Nous ne voulons plus d'Eglise catholique.

Ce triomphe fut le signal de la persécution ouverte qui alloit se déchaîner, au nom de la loi, contre les ecclésiastiques bien pensans. Pour autoriser les violences déjà préméditées, on fit décréter que le refus du serment pur et simple seroit pris pour la démission légale des titulaires du bénéfice; qu'en conséquence il seroit procédé par l'élection à leur remplacement.

Ce décret, dont les factieux avoient calculé les suites, alloit ôter à l'Église de France ses bons évêques et ses pasteurs réguliers, pour les remplacer par des intrus qui, comme des loups affamés, alloient se revêtir

des habits de pasteur pour immoler le troupeau, et satisfaire à leur immoralité et à leur cupidité : il falloit aux factieux des êtres aussi méprisables pour avancer l'œuvre de la subversion, objet des voeux de nos incrédules. Les intrus alloient devenir les canaux dont il leur seroit plus facile de se servir pour corrompre l'esprit public, avilir la religion par l'avilissement de ses ministres, et préparer ainsi la ruine totale du culte catholique.

En conséquence, dès le 4 janvier 1791, les ennemis de la religion firent décréter que les évêques et les curés de l'assemblée seroient sommés de prêter le serment pur et simple, sous peine de privation actuelle de leurs bénéfices. Les mécréans de l'assemblée, qui jugeoient les évêques et les curés d'après les désirs de leurs cœurs intéressés et corrompus, croyoient encore, au moment où cette sommation fut faite, qu'il y auroit une notable défection; que tant de riches bénéficiers ne voudroient pas, pour une simple formalité, renoncer à des titres honorables et à d'aussi considérables revenus. Cette sommation fut faite sous la présidence de d'André: mais quel fut leur étonnement, au moment de l'appel nominal, de voir tous les évêques, à deux près, et le plus grand nombre des curés, sortir de leurs places, se porter avec em

Saint-Aulaire,

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pressement vers la tribune pour y faire leur profession de foi! Le vénérable évêque de vêque de Poitiers. Poitiers, Saint-Aulaire, comme le plus ancien d'âge, parut le premier à la tribune. Ses cheveux blancs ombrageoient les rides de son visage, où l'on voyoit rayonner la majesté du saint ministère auquel il alloit rendre un solennel hommage. « Heureux jour, s'écria-t-il avec joie, où, près de descendre dans la tombe, je puis, dans une assemblée aussi auguste, rendre compte de ma foi! J'atteste donc le Dieu suprême qui nous jugera tous, que, fidèle à ma conscience, à mon Dieu et à ma foi, je donnerai, jusqu'à mon dernier soupir, des preuves de mon obéissance en qualité de sujet; mais, qu'en ma qualité d'évêque, je proscris et j'abjure le serment qu'on me propose, comme contenant dans sa seconde partie le venin du schisme. Mon motif, ajouta-t-il, est la motion qui a fait rejeter la sage restriction proposée par mon vénérable collègue l'évêque de Clermont : dès qu'elle proscrit ce qui peut être la sauvegarde de ma foi, le serment n'est plus qu'un piége; l'adopter seroit un crime.... » Cette profession de foi, prononcée avec les accens d'une intime conviction et de la plus grande énergie, commanda d'abord le silence du respect. La droite fit éclater sa joie, et la gauche son dépit et sa rage. Les évê

ques se succédèrent avec empressement;
mais pour imiter un si bel exemple, la
gauche les interrompit par les plus sédi-
tieux murmures. Oui, ou non, s'écrièrent
cesénergumènes ; point de discours, point de
formule. Les galeries, à l'unisson, faisoient
retentir la salle de leurs menaces ; une po-
pulace nombreuse attroupée à dessein au-
tour de la sallé, à l'extérieur, pour inti-
mider les évêques et les curés, ne faisoit
entendre que des cris de lanterne et de
mort. C'est au milieu de ce déchaînement
des factions humiliées par tant de désin-
téressément et de vertus, que les évêques
et les bons curés proclamèrent leur refus
avec courage et dignité: scène glorieuse et
attendrissante! jour à jamais mémorable,
qui sera gravé du sceau de l'immortalité
dans les fastes de l'Église de France! Le
scandale qui suivit n'a servi qu'à en ré-
chauffer l'éclat. L'évêque d'Autun, Ta-
leyrand - Périgord, n'a surpris personne,' 'Autun.
quand on l'entendit prononcer sans pudeur
le serment exigé: son âme vendue à l'ini-
quité, et se traînant dans la fange du liber-
tinage, n'étoit pas digne de marcher à la
suite des généreux confesseurs qui venoient
de le précéder. Un autre évêque, couvert
depuis long-temps du manteau de l'hypo-
crisie, un évêque qui a depuis déshonoré
l'épiscopat par la plus honteuse et la plus

Taleyrand-Périgord, évêquo

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