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LIVRE TROISIÈME.

SÉJOUR DU PRINCE en Allemagne eT EN ANGLETERRE.

CHAPITRE PREMIER.

Embarras de Monseigneur le duc de Berry en Allemagne. Ses lettres.

Monseigneur le duc de Berry se trouva lui-même dans un extrême embarras après le licenciement de l'armée. Le jeune prince passa une année tantôt à Wildenwarth, tantôt à Vienne, le plus souvent à Clagenfurth, auprès de sa mère. Il cherchoit à renouer à Naples un mariage que traversoit le ministre Acton, homme qui n'étoit propre aux affaires humaines que par le côté commun.

Rien n'est plus intéressant que les lettres écrites par M le duc de Berry à cette époque: ses malheurs répandent sur son style et dans ses sentiments quelque chose de touchant et de triste. Parlant de la descente que l'armée de Condé avoit dû faire sur les côtes de la Provence : « Je suis désespéré, dit-il, « que cette expédition n'ait pas eu lieu; non que je « crusse au succès, mais parce que j'y aurois acquis « de la gloire, ou que j'y aurois été tué, ce qui est << notre seule ressource si Buonaparte règne sur la «France.» Dans une autre lettre il refuse d'aller

'Lettre à M. le comte d'Hautefort.

en Italie sous un nom supposé, et il ajoute : « Je veux être ce que je suis, et marcher toujours la «tète haute partout où je serai 1. » Il manquoit de tout, et on le voyoit sans cesse venir au secours de ses malheureux amis. Tandis que son mariage ne pouvoit être renoué, que l'adversité l'isoloit de plus en plus sur la terre, il songeoit à donner aux autres un bonheur qu'il n'avoit pas, à unir des familles qu'il aimoit.

:

«Ma bien véritable amitié pour vous, dit-il au comte de Chastellux, m'engage à vous parler «d'une idée qui m'est venue en tête. Vous avez vu «à Venise Mme de Montsoreau et ses filles : l'aînée « est un ange; c'est la personne la plus accomplie «que je connoisse 2. Elle a toutes les vertus et tous « les charmes la douceur, l'esprit et la figure. Ses parents, qui sont bien décidés à ne jamais quitter «notre déplorable bannière, voudroient l'unir à «quelqu'un qui réunît à la naissance une conduite «et des mœurs fort rares à rencontrer. Ils m'ont «Souvent entendu faire l'éloge de votre fils, et j'ai «lieu de croire qu'ils seroient charmés de lui don«ner leur fille. Ils désirent la marier promptement, «voulant même marier la cadette au comte de la Ferronnays, qui joint à un caractère propre à «faire le bonheur de sa femme, un peu de bien «hors de France, et une très grande fortune à «Saint-Domingue. Montsoreau a l'espérance de re

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«tirer quelque chose des débris de sa fortune. « Mandez-moi franchement si cette idée vous plaît, « ou si vous avez d'autres vues sur son compte. »>

Et c'est le même prince, occupé du bonheur des autres d'une manière si affectueuse, qui écrivoit au même comte de Chastellux:

« Qu'irois-je faire à Naples ? Je ne veux pas vivre << pour rien dans un pays d'une cherté affreuse. « Pourquoi M. Acton ne me parle-t-il pas franche«ment? qu'a-t-il besoin d'user de réserve envers « moi? Je ne suis point une puissance politique : je << suis un homme malheureux, qui ne peut porter « ombrage à personne. »>

Son admirable lettre à M. Acton mérite surtout d'être conservée : « Je vous écris, monsieur, avec « la franchise d'un Bourbon, qui parle au ministre d'un Roi-Bourbon, d'un roi qui n'a cessé de mon<< trer un attachement généreux à la partie de sa <«< famille si cruellement traitée par la fortune.

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« J'ai appris avec une vive douleur que le roi avoit désapprouvé la démarche que j'avois faite de quit<< ter Rome pour aller joindre l'armée de Condé. La « noblesse fidèle avec laquelle j'ai fait huit campa«gnes n'avoit jamais vu tirer un coup de fusil sans «que je fusse à sa tête. Au moment où mon frère venoit de la joindre, il me mandoit: Nous atlaquons le 15 septembre. Si j'avois attendu les ordres « du roi, je perdois le temps je suis donc parti « sur-le-champ; je suis arrivé le 15, et le 16 nous << étions au bivouac, devant attaquer le lendemain. << Je n'aurois jamais quitté l'armée napolitaine, si elle

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« avoit été devant l'ennemi, mais tout paroissoit in «diquer de ce côté la plus grande tranquillité D'ailleurs, volontaire sous M. de Nazelli, ou sous «M. de Damas que j'ai vu si long-temps colonel à «l'armée de Condé, ce n'étoit pas une position bien «agréable pour moi, et je n'y pouvois être d'aucune utilité au service du roi. Depuis que la paix a été «faite, je vous ai écrit trois fois sans recevoir ja«mais de réponse de vous. Cette incertitude-là est «cruelle: pourquoi ne pas me dire franchement les «volontés du roi à mon égard? J'aurois été aussi heureux qu'il est possible, lorsqu'on n'est pas dans « son pays, d'être uni à la famille de Naples et de <tout devoir à des parents aussi bons. Mais les cir«constances empêchent-elles cette union? Ma pré«sence seroit-elle incommode? Le traitement qu'on «a bien voulu m'accorder est-il une gêne dans un «moment où les finances du roi sont si cruellement «obérées ? Je mets le tout à ses pieds, avec la même «reconnoissance:je vous supplie seulement de vou«loir bien faire continuer de payer les 5000 ducats «que le roi a eu l'extrême bonté d'accorder aux «officiers de ma maison. Ces gentilshommes, inva«riables dans leur devoir et leurs principes, ne flé«chiront jamais la tête sous le joug d'un usurpa«teur, et tous ont abandonné leurs fortunes pour «me suivre. Je ne réclame donc rien pour moi ale passé. Je n'ai eu jusqu'ici d'autres ressources que la générosité du roi; mais vous savez sûrement «les retards que j'ai éprouvés. Cela me met dans le "plus grand embarras. N'ayant rien à moi, je re

MÉLANGES HISTOR.

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que

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garderois comme une infamie de faire une dette. « Je suis bien sûr que vous sentirez les raisons de « mon empressement à connoître mon sort, quand « vous saurez que, dans un mois, je n'aurai, en ven«dant mes équipages, que de quoi rejoindre mon « père. »

¢

La réponse de M. Acton n'arriva point', et Mer le duc de Berry partit pour l'Angleterre.

CHAPITRE II.

Monseigneur le duc de Berry en Écosse.

Ce fut dans cette île que se réfugièrent tour à tour, à quelques années d'intervalle les uns des autres, les princes de la Maison de France poursuivis par la fortune. M. le prince de Condé erra quelque temps en Allemagne. Comme la gloire ne se peut cacher, il trouvoit difficilement un asile; le généreux duc de Brunswick, son ancien adversaire, ainsi que celui des maréchaux de Broglie et de Castries, lui offrit une retraite; mais l'illustre rejeton de la maison d'Est devoit être brisé luimême par ce fléau qui brisoit tous les royaumes et toutes les renommées. Mr le prince de Condé, passant enfin en Angleterre, y rejoignit Mer le duc de Bourbon, son fils.

' M. le chevalier de Vernègues parvint dans la suite à faire con noître la vérité au roi, et obtint sur l'arriéré de la pension une somme de 80,000 ducats.

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