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CHAPITRE III.

FONTENELLE ET ALGAROTTI LE "NEWTONIANISMO PER LE DAME".

Vers la moitié du XVIIIe siècle les sciences commencent à se répandre en Italie, où les gens du monde, suivant l'exemple de la société française, désiraient connaître les nouvelles découvertes qui depuis quelque siècle avaient enrichi le champ scientifique.

Le premier qui donna l'exemple de la vulgarisation scientifique en Italie ce fut François Algarotti. Il trouva son inspiration dans les "Entretiens sur la pluralité des mondes" de Bernard le Bovier de Fontenelle.

Ces deux écrivains tracèrent le chemin à cette suite d'hommes qui entreprirent d'établir l'alliance entre les lettres et les sciences. La fusion des lettres et des sciences est utile à l'intendement, élève l'imagination et le cœur et attire. toutes les classes de la société vers ce qui est beau, ce qui est grand et ce qui est vrai.

François Algarotti naquit àVenise en 1712; il fit ses études de physique, d'algèbre et de géométrie à l'Istituto scientifico de Bologne, et se perfectionna dans la langue italienne à Florence. Il était ainsi passé dans les plus illustres écoles d'Italie en s'occupant beaucoup de sciences.

A l'âge de vingt et un ans l'amour du savoir et le désir de se produire dans un plus grand milieu scientifique le conduisirent en France où il se lia avec Clairant, Maupertuis, Fontenelle et Voltaire.

Algarotti écrivit des ouvrages de physique, d'art, de poésie et de critique. Physicien, astronome, anatomiste distingué, il fut un des ésprits les plus goûtés et les plus connu du XVIIIe siècle italien. Il savait communiquer son savoir d'une manière claire, facile, élégante: il était un écrivain sympathique, un causeur parfait, le savant né des Cours et des salons, et à ce titre, comme Fontenelle, le meilleur intermédiaire entre l'aride érudition des savants et le public désireux d'apprendre d'une manière facile.

Le comte Algarotti fut le premier parmi les italiens qui se proposa de rendre clair le langage des savants et il était naturel qu'il se souvint de son prédécesseur français qui lui avait montré le chemin: "Voi foste il primo nei vostri mondi a richiamar la selvaggia filosofia dai solitari gabinetti e dalle biblioteche dei dotti per introdurla nei circoli ed alle tolette delle dame. Voi primo interpretaste alla più mirabil parte dell'universo quei geroglifici, che non erano altra volta che per gl'iniziati, e trovaste il modo di ornare e di sparger di fiori, ciò che pareva pieno di difficoltà e di spine (1)".

Algarotti se proposa de suivre l'exemple de Fontenelle et il choisit cette partie de la physique très intéressante et utile à connaître quoique difficile à expliquer, qui est celle qui traite de la lumière et des couleurs en suivant le système alors nouveau mais généralement suivi de Newton. Jean Rizzetti lui avait donné la première idée de vulgariser la physique de Newton, car il avait écrit une œuvre qui porte le titre: "De luminis affectionibus" où il développe

(1) ALGAROTTI. Il Newtonianismo per le dame. Napoli, 1737. Al signor Bernardo de Fontenelle, pag. III.

les fondements de l'optique newtonienne. François Algarotti avait été si épris de ce système que sans se laisser vaincre par les difficultés il répéta les expériences de Newton à la présence de savants et d'hommes éclairés.

Il acheva le "Newtonianismo per le dame " au Mont Valérien près de Paris: c'est là qu'il se rendait lorsqu'il quittait la ville où il avait beaucoup d'amis. Il aimait rester dans le silence de sa retraite avec Maupertuis. Avant de publier son ouvrage Algarotti le fit lire à ses amis et voulut surtout avoir l'avis de Fontenelle, qui le loua beaucoup et de Voltaire qui lui témoigna toujours une grande admiration en prose et en vers; dans sa préface des "Éléments de philosophie de Newton il écrivait à l'adresse de notre écrivain:

"Tandis qu'Algarotti sûr d'instruire et de plaire,
Vers le Tibre étonné conduit cette étrangère,
Que de nouvelles fleurs il orne ses attraits,
Le compas à la main j'en tracerai les traits ".

Suivant le chemin tracé par Fontenelle, Algarotti écrivit six dialogues où il se proposait d'instruire une femme sur la nature de la lumière et des couleurs. Il commence à faire, dans un court récit, l'histoire de la philosophie et des philosophes les plus célèbres; ensuite il explique les principes généraux de l'optique, la forme de l'oeil humain la manière dont on conçoit les objets. Enfin après avoir discuté sur les théories de Descartes et de Malebranche et après avoir montré ce qu'elles ont de fautif il expose la théorie de Newton qui a appliqué à l'optique le principe de l'attraction qui est la cause de tout mouvement.

Tout celà est présenté avec grâce et élégance. La conversation est conduite d'un air dégagé, entremêlée de belles descriptions et de considérations philosophiques. Quant au style il se propose, comme il le dit dans sa lettre dé

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dicatoire, de le rendre clair, simple et facile. Dans la première édition il nous semble que les périodes sont trop longues, trop lourdes et trop ornées mais dans les éditions successives il a abrégé, changé et amélioré la forme. Dans le "Newtonianismo " la philosophie revêtue d'agréments et exposée dans un langage facile fut pour la première fois présentée aux italiens. Ce livre eut comme les "Entretiens" de Fontenelle en intérêt d'actualité car il a été publié lors que les contestations entre les partisans de Newton et ceux de Descartes étaient encore assez âpres. François Algarotti par bien des côtés présente des ressemblances avec Fontenelle.

Comme lui c'est un homme très spirituel désireux de connaître, d'apprendre. Il cultiva avec autant de succès les lettres et les sciences.

Le "Newtonianismo per le dame " de François Algarotti rappelle par plus d'un côté les "Entretiens" de Fontenelle; dans une lettre dédicatorie qu'il mit en tête de son œuvre, il s'adresse à l'auteur français avec des phrases de haute admiration. Il lui témoigne que l'idée première de vulgariser la science lui est venue à la lecture de son œuvre. Algarotti espère que son livre pourra être aussi bien accueilli que celui de Fontenelle et jouir comme celui ci de la faveur des femmes. L'auteur du "Newtonianismo" n'oublie pas de faire observer que la matière qu'il se propose d'exposer est certainement plus aride et difficile que celle de son heureux prédécesseur et que cela sera sans doute un désavantage pour lui.

La matière scientifique d'Algarotti ne se prête pas aux explications fantaisistes des phénomènes comme on en pouvait introduire dans un sujet comme celui de la "Pluralité des Mondes ". Mais sur les traces de ce livre il ouvrit un champ nouveau à l'intelligence des femmes.

Le "Newtonianismo" a six parties comme l'ouvrage de Fontenelle, ces parties s'appellent dialogues. Le premier

dialogue ressemble beaucoup au premier "Soir" des "Entretien " par les soins de galanterie que les deux auteurs se croient obligés de prendre vis-à-vis de leurs interlocutrices. Parler philosophie à une dame était une chose bien étrange en leur temps.

Les auteurs imaginent tous les deux qu'ils sont à la campagne hôtes d'une dame.

Les marquises ont été introduites par les deux auteurs pour rendre le récit plus vif. Le dialogue est un moyen sûr d'apprendre, et d'amuser, un moyen qui aide à rendre les pensées claires et à expliquer par des images heureuses et appropriées la langue scientifique inaccessible aux profanes.

Fontenelle se borne à la description d'un beau soir d'été passé dans un parc de Normandie, éclairé par un superbe clair de lune. Algarotti fait une description plus détaillée du paysage situé au bord du lac de Garde; avant d'entrer en matière il s'arrête à parler de poésie.

La marquise d'Algarotti est une copie très fidèle de celle de Fontenelle et il ne le cache point. Lorsqu'il propose à sa marquise de lire la "Pluralité des Mondes" il dit "voi vedrete una marchesa affatto simile per le qualità dello spirito a voi a cui non avrete da invidiare che il filosofo ".

Comme celle de Fontenelle elle ignore tout à fait la matière dont on va l'entretenir et elle est également très intelligente.

Algarotti en se rappelant l'exemple de Fontenelle voudrait. parler philosophie le soir, mais la marquise lui fait observer que le jour est plus .propre que la unit pour parler de la lumière et des couleurs; tandisque l'auteur des "Entretiens" subjugué par le spectacle sublime d'une nuit étoilée en donnant libre carrière à ses pensées avait parlé de la lune et des étoiles.

Dans ces deux ouvrages on voit des ressemblances dans les digressions, les compliments, les galanteries et surtont dans quelques idées d'ordre philosophique.

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