manière que lorsque nous sommes frappés de l'éclat des conditions élevées au dessus des nôtres, et que nous ne voyons pas qu'au fond elles se ressemblent toutes extrèmement". "C'est la même chose. Nous voulons juger de tout et nous sommes toujours dans un mauvais point de vue. Nous voulons juger de nous, nous en sommes trop près; nous voulons juger des autres, nous en trop loin".

sommes

La lune, selon Fontenelle, nous éclaire car elle est un corps dur et nous renvoie les petites balles dont, suivant sa théorie, la lumière est formée. Nous sommes vraiment trop éloignés par les découvertes modernes de cette grossière hypothèse.

Notre auteur explique les éclipses à son éleve et les deux interlocuteurs s'arrètent à parler des croyances populaires qui attribuaient une influence malfaisante aux éclipses. I glisse ensuite l'hypothèse que les gens de la lune pourraient venir chez nous ou que nous pourrions aller, nous mêmes leur faire quelque visite. Avec sa foi au progrès il n'ésite pas un instant à admettre que le jour arrivera où l'on pourra voler.

Le soir" suivant il se hâte de détromper la marquise en l'assurant que nous ne pouvons pas vivre hors de notre atmosphère, et que la lune ne peut pas être habitée par des êtres semblables à nous, car elle n'a pas les conditions d'existence nécessaires. Dans la suite de cet Entretien il insiste à prouver que toutes les planètes sont habitées.

Nous voici arrivés avec le quatrième soir aux planètes de Venus, de Mars, de Jupiter et de Saturne.

On y trouve toujours le même mélange de science, de sérieux et de galanterie.

Quant aux hypothèses scientifiques que Fontenelle débite elles sont véritablement quelquefois trop grossières. A propos du soleil il parle des tâches qui furent découvertes

au commencement du XVIIe siècle, et qu'il définit de grosses tâches: " des nuages, des fumées, des écumes qui s'élèvent sur le soleil" et quant à sa formation: "Ou croirait que le soleil est une matière liquide, quelqu'un dit de l'or fondu, qui bouillonne incessamment " voilà une hypothèse invraisemblable; de nos jours même on ne sait encore. rien de précis à ce sujet.

C'est dans cet "Entretien que Fontenelle expose la théorie des Tourbillons cartésiens avec laquelle on expliquait alors le mouvement des planètes et de leurs satellites. Cette hypothèse est absolument insoutenable, elle peut être considérée plutôt comme une fantaisie poétique que comme une découverte de savant. Les tourbillons furent abandonnés lorsque Newton eut expliqué les mouvements des planètes par la loi de la gravitation universelle.

Le cinquième soir Fontenelle expose à sa belle curieuse l'hypothèse que les étoiles fixes sont autant de soleils dont chacun éclaire un monde.

Le commencement du sixième soir est très intéressant car nous voyons ressortir, ce me semble, l'idée de Fontenelle que la science est d'une essence aristocratique: "Contentons-nous d'être une petite troupe choisie qui le croyons et ne divulgons pas nos mystères dans le peuple ". C'est en ce sens que j'explique sa phrase fameuse: "Si j'aurais la main pleine de vérités je me garderais bien de l'ouvrir ". Selon lui il y à une partie de l'humanité qui ne veut pas se donner la peine de raisonner et tourne en ridicule les raisonneurs; ces gens là il les appelle peuple.

Avec de nouveaux arguments il vient à l'appui des théories sur l'habitabilité des mondes qu'il établit auparavant et insiste surtout sur celle de l'habitabilité de Mars.

Voilà une hardiesse de notre auteur, personne avant lui n'avait osé insister sur cette hypothèse.

Il explique aussi les découvertes sur les changements qui arrivent à la surface des planètes.

C'est ainsi que Fontenelle expose le système du monde en le transposant de sa langue technique dans la langue littéraire.

Ce système est encore enveloppé dans les ténèbres des tourbillons cartésiens, mais la frivolité, et les digressions qu'il entremêle à la matière scientifique n'empêchent pas de voir qu'il expose avec justesse et netteté.

On a jugé ce livre le plus agréable et plus simple que l'on puisse écrire sur cette matière. Sous les agréments de la fiction qui voilent avec grâce la thèse scientifique il fit ouvrir les yeux à la vérité.

"Il voulait donner le fruit sous l'image des grâces, la vérité sous l'écharpe ondoyante du mensonge "(1).

Ce livre selon l'opinion de Voltaire ne doit pas jouir pendant longtemps de renommée car la vérité, à son avis ne doit être jamais voilée sous de faux ornements: "Ce livre fondé sur des chimères ne peut devenir classique; la philosophie est surtout la vérité; la vérité ne doit pas se cacher sous de faux ornements ”.

Voltaire lui reproche encore d'avoir fait une science qui aurait eu du succès seulement auprès des femmes qui écoutent en regardant les chinoiseries de leurs éventails; il a le tort d'oublier que c'est là la seule intention de l'auteur.

Pourtant il faut en convenir que Fontanelle a mis dans ce livre des opinions vraies et sériéuses et s'il n'est pas à la hauteur de nos connaissances, s'il a suivi un système qui est fautif ça et là, s'il y a mis des agréments inutiles c'est la faute de son temps et de la société pour laquelle il écrivait.

Nous devons pourtant lui reconnaître le mérite incontestable d'avoir popularisé les decouvertes astronomiques, d'avoir écrit le premier livre d'astronomie populaire et à

(1) ARSENE HOUSSAYE. Galerie du XVIII siècle. Série des hommes d'esprit.

ce titre il aura toujours droit à nos hommages et à notre reconnaissance.

Un autre mérite qu'on doit lui reconnaître c'est d'avoir fait un ouvrage où les savants peuvent voir qu'il est aisé de se faire comprendre par les ignorants, et où ces derniers peuvent se convaincre que pour pénétrer dans le domaine des sciences il ne faut pas de trop héroïques efforts.

"Quelque sujet que l'on traite en français, dit Brunetière, si l'on veut le traiter en écrivain, il faut le circonscrire et le délimiter, le transposer de sa langue spéciale et technique dans la langue de tout le monde, épargner surtout au lecteur la fatigue de l'attention, et l'amener enfin à croire que nos pensées étaient depuis longtemps les siennes" (1).

Fontenelle est la personnification de cette pensée de Brunetière, il était très recherché parmi les femmes et aux salons et s'aperçut de bonne heure de la nécessité d'épargner aux lecteurs la fatigue et l'attention si l'on veut se faire écouter; c'est pourquoi il ne demande aux dames dans sa préface à la "Pluralité des mondes ": "Que la même application qu'il faut donner à la Princesse de Clèves, si on veut en suivre bien l'intrigue et en connaître toute la beauté" (2).

En effet ce livre est en même temps instructif et agréable et on l'appela: "premier et parfait modèle de littérature scientifique ".

Fontenelle par ses "Entretiens sur la Pluralité des Mondes " a mis officiellement l'astronomie à la portée des femmes, et s'il a traité cette science d'un air d'agréable badinage c'est qu'il est d'opinion que les femmes ne sont

(1) Révue deux Mondes (FERDINAND BRUNETIÈRE. L'influence des femmes dans la littérature française), 1 novembre 1886.

(2) Préface des Entretiens sur la Pluralité des Mondes (FONTENELLE).

pas propres à accepter et comprendre des ouvrages de lourde érudition tels que ceux des savants. Il dit que: "pour les recherches laborieuses, pour la Solidité du raisonnement, pour la force et la profondeur il ne faut que des hommes " (1).

Toutes les femmes dévorèrent en effet le petit livre et se firent astronomes, et nous devons croire aux paroles de François Algarotti qui dit dans sa lettre dédicatoire à Fontenelle en tête de son "Newtonianismo per le dame": Corrispose il buon esito della vostra opera alla bellezza e novità dell'impresa. Quella metà del nostro mondo che rapisce sempre i suffragi dell'altra ha dato i suoi al vostro libro, e lo ha consacrato nella più lusinghevol maniera alla posterità” (2).

(1) Eloge de Carré, t. III, p. 145.

(2) F. ALGAROTTI. Il Newtonianismo per le dame. Napoli, 1737.