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salons et les boudoirs, qu'en la rendant claire et aimable. Jusqu'alors elle en avait été excluse parce que les préoccu pations avaient été tournées vers la langue est la littérature. Vers la fin du XVIIe siècle de nouvelles préoccupations se font sentir dans la société.

En France les notions sur les découvertes astronomiques n'étaient pas considérables. On savait que des hommes de génie, tels que Copernic, Galilée et Kepler, avaient fait de nouvelles découvertes, mais leurs relations écrites en latin. étaient inaccessibles à la masse. La condamnation de Galilée avait arrêté Descartes au moment où il allait donner en français des idées générales sur le système de l'univers. On savait que Pacard avait mesuré un degré du méridien terrestre et commencé la rédaction de la "Connaissance des temps". Dominique Cassini avait déterminé le mouvement de rotation de Jupiter, de Mars et de Venus et avait découvert quatres satellites de Saturne.

Le public brûlait du désir de suivre les savants dans leurs découvertes. Fontenelle entreprit de mettre les ignorants au courant de ces hardies et intéressantes découvertes. Il fut donc le bienvenu parmi les belles compagnies qu'ils entretenait des curiosités de la science, qu'il excellait à pré-/ senter dans un langage limpide, clair et simple.

Notre auteur comprit qu'en son temps il y avait un milieu à tenir entre les gens du monde et les savants et que son esprit qui lui servait si bien à comprendre pouvait lui servir à exprimer.

Le petit livre qu'il publia, dédié - dit-on - à la marquise de la Messangère, souleva à son apparition un grand en thousiasme; c'est que les préoccupations astronomiques du moment donnaient à l'ouvrage un intérêt d'actualité.

Comme il ne débitait jamais son esprit et son savoir aussi volontiers que devant les femmes ce furent les femmes qu'il choisit pour auditoire et parmi elles une charmante marquise come interlocutrice. L'auteur suppose que

par un beau soir d'été il se promène dans un parc avec une dame de ses amies. Une phrase d'admiration lui échappe devant le superbe spectacle de la voûte étoilée: "Ne trouvez-vous pas, dit-il à sa marquise, que le jour même n'est pas si beau qu'une belle nuit "?

"Oui, répond elle, la beauté du jour est une beauté blonde qui a plus de brillant, mais la beauté de la nuit est une beauté brune qui est plus touchante".

Il suit une digression sur les brunes et les blondes, le jour et la nuit. La marquise dit: "J'aime les étoiles et je me plaindrais volontiers du soleil qui nous les efface ".

"Ah, lui répond son interlocuteur, je ne peux lui pardonner de me faire perdre de vue tous ces mondes".

Le grand mot est lâché, la marquise veut absolument savoir ce que c'est que ces mondes. Il refuse d'abord car il ne croit pas convenable de parler philosophie en présence d'une dame aimable, par une belle nuit d'été et dans les bosquets d'un parc. Mais la marquise insiste.

- J'eus beau me défendre encore quelque temps sur ce ton là, il me fallut céder, dit-il. Je lui fit promettre pour mon honneur, qu'elle me garderait le secret".

La marquise n'est informée de rien, mais elle a une intelligence très prompte. Fontenelle a divisé ses "Conversations" sur le système du monde en six soirs. Dans le premier, après des phrases de pure galanterie telles que celles que j'ai citées, il fait une démonstration claire et exacte de tous les systèmes astronomiques connus jusqu'alors et qui se succèdent l'un chassant l'autre. Voici un aperçu pittoresque et nouveau des vues et des effets de la science: "Toute la philosophie n'est fondée que sur deux choses, sur ce qu'on a l'esprit curieux et les yeux mauvais... Encore si ce qu'on voit on le voyait bien, ce serait toujours autant de connu, mais on le voit tout autrement qu'il n'est. Ainsi les vrais philosophes passent leur vie à ne point croire ce qu'ils voient et à tâcher de deviner ce

qu'ils ne voient point, et cette condition n'est ce me semble trop à envier ".

En parlant des philosophes dont l'occupation est de découvrir les causes cachées des phénomènes naturels, Fontenelle les compare à un machiniste qui serait au parterre pendant un spectacle à l'Opéra et qui prétendrait expliquer les mécanismes cachés par lesquels on donne par exemple l'illusion d'un vol: "Vous voyez bien que ce machiniste est assez fait comme les philosophes. Mais ce qui à l'égard des philosophes augmente la difficulté, c'est que dans les machines que la nature présente à nos yeux, les cordes sont parfaitement cachées, et elles le sont si bien, qu'on a été longtemps à deviner ce qui causait le mouvement de l'univers".

On voit ensuite le trait satirique contre l'antiquité; il imagine les sages de l'antiquité à l'Opéra assistant au vol de Phaéton. L'un d'eux disait: "C'est une certaine vertu secrète qui enlève Phaéton ". L'autre: "Phaéton est composé de certains nombres qui le font monter ". L'autre : "Phaeton a une certaine amitié pour le haut du théâtre; il n'est point à son aise quand il n'y est pas ". L'autre : "Phaéton n'est pas fait pour voler, mais il aime mieux voler que de laisser le haut du théâtre vide, et cent autres rêveries que je m'étonne qui n'aient perdu de réputation toute l'antiquité". Voilà pour les anciens qui étaient des objects de vénération pour les plus grands parmi les contemporains de Fontenelle.

Il expose ensuite le système de Ptolémée, qui prétend que la Terre est immobile au centre de l'univers tandis que tous les corps célestes ne sont faits que pour tourner autour d'elle afin de l'éclairer. "Au dessus de la Terre on plaça la Lune, au dessus de la Lune on plaça Mercure, "ensuite Venus, le Soleil, Jupiter, Saturne. Au dessus de "tout celà était le ciel des étoiles fixes ". Comme les mouvements des planètes ne sout pas très réguliers, car tantôt

elles vont plus vite, tantôt plus lentement, les anciens avaient imaginé des cercles entrelacés les uns dans les autres; on avait imaginé des cieux de cristal.

"Enfin un allemand nommé Copernic, fait main basse sur tous ces cercles différents, et sur tous ces cieux solides qui avaient été imaginés par l'antiquité... il prend la Terre et l'envoie bien loin du centre de l'univers ".

On a ici l'exposition claire et facile du système de Copernic selon lequel la Terre est une planète qui tourne sur elle même et autour du soleil.

Il en résulte une digression sur l'orgueil humain qui avait empêché pendant, longtemps ce système de se répandre on ne voulait pas déplacer la Terre de son centre. "La même inclination qui fait qu'on veut avoir une place honorable dans une cérémonie, fait qu'un philosophe dans un système se met au centre du monde ".

Fontenelle expose son système par des images simples et faciles de manière que les lecteurs de la "Pluralité des Mondes" peuvent acquérir la science presque en se jouant; voici comment il explique le double mouvement de rotation et de révolution de la terre: "Avez-vous remarqué qu'une boule qui roulerait sur cette allée aurait deux mouvements? elle irait vers le bout de l'allée et en même temps elle tournerait plusieurs fois sur elle même en sorte que la partie de cette boule qui est en haut descendrait en bas, et que celle d'en bas monterait en haut? La terre fait la même chose".

'Fontenelle ne manque pas d'être quelquefois pittoresque: à propos du mouvement de rotation de la terre, dans un beau passage vraiment frappant il fait passer devant nos yeux dans un tableau vivant les différents peuples humains: "Quelquefois je me figure que je suis suspendu en l'air et que j'y demeure sans mouvement pendant que la terre tourne sans moi en vingt quatre heures. Je vois passer sous mes yeux tous ces visages différents, les uns blanes,

les autres noirs, les autres basanés, les autres olivâtres. D'abord ce sont des chapeaux et puis des turbans et puis des tètes chevelues et puis des têtes rasées, tantôt des villes à clochers, tantôt des villes à longues aiguilles qui ont des croissants, tantôt des villes à tours de porcelaine, tantôt de grands pays qui n'ont que des . cabanes, ici de vastes mers, là des déserts épouventables, enfin toute cette variété infinie qui est sur la surface de la Terre ".

Il donne ensuite un aperçu des habitudes et des différents usages des habitants de la terre.

Il assimile plus loin l'air qui enveloppe la terre au duvet qui enveloppe la cocon du ver-à-soie.

Le second soir Fontenelle explique à sa spirituelle interlocutrice que la lune est elle aussi, une terre habitée. Il insiste complaisemment sur les hommes de la lune: "Il serait inquiétant pour les théologiens qu'il y eut des hommes qui ne déscendissent point d'Adam. Mais je ne mets dans la lune que des habitants qui ne sont point des hommes". Notre auteur est très prudent il ne tient pas à ses idées jusqu'à la lutte; lorsqu'elles sont un peu hardies il fait des réserves: "Pour moi, dit il à propos des habitans de la lune, quoique je crois la lune habitée je ne laisse pas de vivre civilement avec ceux qui ne le croient point ".

Selon les plus récentes découvertes de son temps i dit que la lune a des terres, des mers, des lacs, des abîmes profonds, de hautes montagnes, mais elle n'a pas d'atmosphère respirable, aucune végétation, point d'eaux; n'ayant aucune de nos conditions d'existence ses habitans ne sont aucunement semblables à nous.

Après avoir démontré que la lune nous apparaît lumineuse à cause de la distance et que nous ne pouvons pas voir comment elle est en réalité, il passe à faire une considération qui touche la vie humaine. Il dit que la même chose arrive dans le monde: "Il en irait donc de la même

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