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Anciens et Modernes nous voilà tous, au dire de notre auteur, parfaitement égaux. On pourrait lui objecter que les Anciens ont tout inventé. Il nous a prevenus, et il répond: "C'est qu'ils étaient avant nous... Si l'on nous avait mis en leur place, nons aurions inventé; s'ils étaient en la nôtre, ils ajouteraient à ce qu'ils trouveraient inventé "." Leurs essais nous ont épargné une foule de tâtonnements et d'erreurs, les Modernes doivent par là leur être supérieurs. Postérité est synonime de supériorité dans le champ scientifique, mais il ne l'est pas lorsqu'il est question du goût et de l'art. Voilà ce que Fontenelle semble ne pas avoir compris.

Il était si peu artiste qu'il ne goûtait pas le charme des beautés simples et naïves de la poésie des Anciens. Il admet que les Anciens peuvent avoir atteint la perfection dans les œuvres d'art, mais il prétend que s'ils ne peuvent pas être surpassés, ils pourront être égalés.

Après avoir avoué que les Anciens ont pu exceller dans la poésie, dans l'éloquence surtout, Fontenelle soutient la supériorité des Modernes par cette argumentation: "Un bon esprit cultivé est, pour ainsi dire, composé de tous les esprits des siècles précédents; ce n'est qu'un même esprit qui s'est cultivé pendant tout ce temps là. Ainsî cet homme qui a vécu depuis le commencement du monde jusqu'à présent, a eu son enfance où il ne s'est occupé que des besoins les plus pressants de sa vie, sa jeunesse où il a assez bien réussi aux choses d'imagination, telles que la poésie et l'éloquence, et où même il a commencé à raisonner, mais avec moins de solidité que de feu. Il est maintenant dans l'âge de virilité, ou il raisonne avec plus de force et plus de lumière que jamais. Les hommes ne dégénéreront jamais et les vues saines de tous les bons esprits qui se succèderont, s'ajouteront toujours les unes aux autres". "A notre tour, ajoute Fontenelle avec un mélange d'ironie et de présomption, nous deviendrons An

ciens... nous deviendrons les contemporains des Grecs et des Latins, pour nous payer du peu de cas que l'on fait de nous aujourd'hui, on nous exaltera...".

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Fontenelle a envisagé et résolu d'une manière vraiment trop simple la question. Il a soutenu une thèse qui n'est juste qu'à moitié. Il s'aperçoit que la médecine, la physique, les mathématiques, étant composées d'un très grand nombre de vues et réclamant le secours du raisonnement, se perfectionnant avec lenteur, ont besoin de plus de temps pour avancer que l'éloquence et la poésie.

Les Modernes sont supérieurs aux Anciens dans les sciences, et sur ce point Fontenelle a parfaitement raison. Mais il n'a pas vu, ou n'a pas voulu voir, la différence qu'il y a entre les sciences et les lettres. Il faut distinguer parmi les œuvres des hommes celles qui ont besoin du temps pour se perfectionner, et celles qui peuvent atteindre à la perfection dès le début. Les arts ont tous une partie matérielle et une partie intellectuelle. Cependant il y a des œuvres d'art où c'est généralement la partie matérielle qui l'emporte; il y en a d'autres au contraire où c'est la partie intellectuelle qui prédomine. Ces dernières, sauf de rares exceptions, sont moins susceptibles de perfectibilité, parce que l'homme de gênie qui les a créées a su atteindre tout de suite au sublime. Parmi ces arts on peut placer l'éloquence et la poésie, qui n'ont pas besoin de la collaboration des siècles pour arriver aux plus hauts degrés du sublime et de la beauté.

Les Anciens peuvent avoir des titres pour nous être su

périeurs parce qu'ils avaient le génie plus spontané, plus frais et plus libre et des goûts simples et naïfs.

Dans la "Querelle des Anciens et des Modernes" il y a eu des méprises de part et d'autre. Quant à Fontenelle il effleure seulement la question et il avoue franchement qu'il ne fait pas grand cas de l'éloquence et de la poésie.

Peut-être, Fontenelle envisagea les deux côtés de la question, mais comme il voulait frapper très fortement, il eut garde de faire des restrictions. Il croit aveuglément au progrès incessant des œuvres humaines et c'est, selon moi, avec une véritable, une profonde conviction, qu'il voit dans le lointain des siècles, dans une vision de gloire ses contemporains exaltés et élevés au-dessus de l'antiquité dont son siècle avait fait une idole. Fontenelle montre dans sa digression la finesse, la pénétration, l'indépendance de son humeur de polémiste, il met sous une forme facile à la portée de toute imagination les arguments dont se servaient les "Modernes " pour abattre une religion littéraire, pour miner la vieille autorité imposée aux esprits. depuis trois ou quatre générations.

Les Modernes " réclament à bon droit contre l'inviolable autorité attribuée aux exemples des anciens.

Les "Anciens " admiraient la vigueur, les grâces naïves, l'aimable simplicité du monde naissant.

Fontenelle, comme la plupart des beaux-esprits du commencement du XVIIIe siècle, qui est le moins poétique de la France, eut beaucoup de mépris pour l'antiquité car il n'en comprenait pas le lyrisme. Vers 1700 la poésie prosaïque prend le dessus car c'est en effet, à cette époque que disparait l'enthousiasme littéraire, le goût ardent de la recherche du beau.

Les deux sources éternelles de poésie telle que l'antiquité la comprenait étaient: l'expression des plus beaux rêves de l'homme et l'expression de la vie réelle dans sa simplicité touchante, dans ses douleurs et dans ses joies.

Les Modernes, et Fontenelle en première ligne, n'ont pas le goût artistique qu'il faut avoir pour comprendre la beauté des œuvres anciennes car ils sont les devanciers du XVIIIe siècle et il l'annoncent par ce mépris du XVIIe: "le siècle des grandeurs mais aussi des illusions majestueuses" (1),

(1) Sainte Beuve.

CHAPITRE II.

FONTENELLE VULGARISATEUR DES SCIENCES.

ENTRETIENS SUR LA PLURALITÉ DES MONDES.

Dans la première moitié du XVIIe siècle les littérateurs s'étaient groupés, soit dans les salons comme ils en avaient eu l'exemple à l'Hôtel de Rambouillet, soit, d'abord chez Conrart, et plus tard à l'Académie Française, qui se forma sous l'égide de Richelieu. La langue et la littérature, profitèrent de ces diverses influences et les questions litteraires commencèrent a intéresser et à préoccuper le public.

Les sciences étaient bien loin d'avoir été aussi favorisées car le monde savant ne s'était groupé ni en France ni autre part en Europe.

Les savants ne communiquaient aucunement entre eux, chacun travaillait pour son compte, et leurs recherches ne perçaient point en dehors du petit nombre de leurs disciples.

Avec le développement des sciences et la propagation de l'idée de la "solidarité scientifique" les savants sentirent le besoin de connaître les découvertes respectives, ce fut alors qu'ils commencèrent à entrer en relation. À ce moment où les savants commencent à se connaître il fallait quelqu'un qui se chargeât de les réunir et de jeter un

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