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les grands savants, il ne se sentait attiré par aucune science au point d'y vouer entièrement son existence, mais comme il était doué d'intelligence et de raisonnement il puisa dans le sciences avec mesure et facilité.

Il ne s'enfonça pas dans le calcul et la géométrie mais il en apprit assez de Varignon et des autres pour en parler avec justesse et clarté. Il n'étudia l'anatomie que dans ce cours fait par Duvernay pour le Dauphin. Il sut recueillir enfin de toutes les sciences naturelles des notions claires et exactes qu'il rendait avec grâce et simplicité.

Dès 1683, dans ses "Dialogues des Morts" il développe ses idées philosophiques, ses pensées libres et dégagées, contre les sottises humaines de tous les temps, en lançant ainsi ses premiers traits contre l'antiquité qui était l'autorité sur laquelle se fondait le XVIIe siècle classique.

Dans son histoire des "Oracles" il ébranle la religion qui est l'autre principe fondamental du XVIIe siècle.

Et par le développement de l'idée cartésienne, à savoir, que chacun est capable ayant de la raison d'arriver à la vérité il combat l'idée chrétienne bâtie sur la révélation.

Fontenelle, en combattant la tradition et la religion, hâte l'opinion publique sur le chemin de critique et de rationalisme qui sont la marque du nouveau siècle. Le caractère du XVIIIe siècle est d'être éminemment scientifique; la science se substitue à la religion.

Le culte de l'antiquité n'est plus possible avec le culte des sciences, avec l'idée du progrès incessant de l'humanité, d'autant plus que l'antiquité n'a rien à im poser aux savants parce quelle n'a pas de dévelop

pement scientifique. C'est pourquoi nous voyons Fon tenelle mêlé à cette "Querelle" où les partisans de l'esprit moderne sont en lutte avec les partisans de l'antiquité. Dès que la lutte entre la tradition et le progrès éclata, Fontenelle se rangea du côté du progrès. L'idée maîtresse qui ressort de toutes ses œuvres est le mépris de l'antiquité et la foi au progrès.

CHAPITRE I.

LA QUERELLE DES ANCIENS ET DES MODERNES.
FONTENELLE PARTISAN DES MODERNES.

"Deux esprits se partagent le monde: l'esprit ancien et l'esprit nouveau, tous deux légitimes, car ils correspondent à deux bésoins réels de l'humanité: la tradition et le progrès " (1).

Vers la fin du XVIIe siècle la conception de la science s'était définie et précisée. Le progrès des mathématiques et de la physique avait donné une importance nouvelle aux spéculations scientifiques en soulevant, vers 1695, dans le monde littéraire et intellectuel, une agitation qui détermina la " Querelle des Anciens et des Modernes ".

Aux premier abord nous sommes portés à juger ce mouvement soudain et inattendu car il nous semble qu'au XVIIe siècle l'autorité de l'antiquité est fortement établie. Les grands ouvriers du classicisme tels que Racine, Bossuet, Boileau, La Fontaine et Fénelon, qui représentent à nos yeux le XVIIe siècle, avaient eu tous une grande admi

(1) HYPPOLITE RIGAULT. Histoire de la Querelle des Anciens et des Modernes, ch. Ier, p. I.

ration pour l'antiquité où ils allaient chercher leurs modèles. Ils avaient affirmé qu'il ne fallait chercher la grandeur, la beauté et la simplicité que dans les œuvres des anciens.

Mais, derrière ces grands écrivains qui ont affermi le respect de la tradition il faut tenir compte de la foule de leurs contemporains qui était hostile à l'antiquité, d'abord parce qu'elle était peu connue, et ensuite par l'esprit nouveau que Descartes avait introduit en France dans les lettres.

Descartes enseigna le mépris de l'antiquité. Il professa de tout oublier, de tout ignorer pour commencer en luimême par sa raison un homme nouveau; le mépris de l'antiquité était une conséquence de cette révolte.

Au nombre des fruits apportés par le cartésianisme on a l'idée de progrès qui s'oppose au respect de la tradition : ce fut là le fondement de la "Querelle des Anciens et des Modernes ".

Tous les travaux de Descartes supposent la foi au progrès; voilà comment il en parle à la fin de son Discours de la Méthode: "Je m'assure qu'il n'y a personne qui n'avoue que ce que l'on sait en médecine n'est presque rien en comparaison de ce qui reste à savoir, et qu'on se pourrait exempter d'une infinité de maladies, tant du corps que de l'esprit, et même aussi peut-être de l'affaiblissement de la vieillesse, si on avait assez de connaissance de leurs causes et de tous les remèdes dont la nature nous a pourvus ".

Dans un fragment manuscrit de Descartes cité par son biographe, Baillet, nous retrouvons la pensée de Bacon: "Nous n'avons aucune raison pour tenir si grand compte aux anciens de leur antiquité, c'est nous bien plutôt qui. sommes les anciens, car le monde est plus vieux aujourd'hui que de leur temps, et nous avons une plus grande expérience ".

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La théorie du progrès des connaissances humaines et celle de la constance des lois de la nature à savoir qu'elle porte toujours les mêmes fruits d'intelligence et de génie sont deux théories cartèsiennes. Ces théories s'étaient pourtant développées chez des adversaires mêmes du cartésianisme. Pascal dit: "Ceux que nous appelons anciens, étaient véritablement nouveaux en toutes choses et formaient l'enfance des hommes proprement et comme nous avons jointes à leurs connaissances l'expérience des siècles qui les ont suivis c'est en nous que l'on peut trouver cette antiquité que nous révérons dans les autres "(1).

Malebranche, un des plus célèbres cartésiens, soutient que les anciens formaient la jeunesse du monde, et que le titre d'antiquité serait plus propre au temps où "nous vivons car le monde est plus vieux de deux mille ans et que l'on a plus d'expérience que Platon et Aristote.

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La "Querelle des Anciens et des Modernes " qui éclata en France dans la seconde moitié du XVIIe siècle n'était donc pas un fait étrange ni isolé, elle était préparée par cette idée de progrès qui s'imposait impérieusement aux esprits.

Desmarets de Saint-Sorlin fut le premier qui éleva la voix contre l'autorité des anciens. Vers 1657 un parti se formait qui faisait un dogme de l'imitation des anciens, en déclarant que rien ne pouvait être beau qui ne fût inspiré par l'antiquité et qui prétendait que celle-ci fût le modèle. unique tant des formes d'art que de la matière artistique. Desmarets avait ardemment combattu par Préfaces et par Traités l'école nouvelle. Boileau ne l'épargna pas dans ses satires.

Dans son Clovis, Desmarets avait choisi un héros chrétien, il se défendit de son choix en attaquant les poètes de l'antiquité. Pour le combattre, Boileau dans son Art

(1) PASCAL. Préface du traité du vide.

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