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" quarante. Il est de Rouen, il y demeure, et plusieurs personnes de la plus haute qualité qui l'ont vu à Paris avouent que c'est un meurtre de le laisser dans sa province..... Il est neveu de MM. les deux poètes "Corneille".

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À la suite de ses oncles Fontenelle s'était engagé dans la tragédie. Thomas Corneille l'avait même associé à ses propres travaux en le chargeant de faire quelques scènes de Bellérophon. En 1681 il le dirigea vers le théâtre, il lui donna le sujet d'une petite comédie "La Comète" et revit la tragédie d' "Aspar". La chute d' "Aspar" provoqua une mordante épigramme de Racine.

Quelques-uns parmi les biographes et les critiques de Fontenelles font remonter à cette épigramme et à l'antagonisme entre Racine et Corneille le parti qu'il prit plus tard dans la "Querelle des Anciens et des Modernes".

À l'école de Thomas Corneille il apprit à écrir facilement et médiocrément dans tous le genres: il fit de petites pièces de vers des opéras, des pastorales, des "Lettres galantes". Dans ses œuvres on ne trouve aucun naturel, aucune spontanéité. On n'y voit que la pointe aigüe du style et la sécheresse de son caractère.

Entraîné par ses penchants, et tiré par les espérances des autres, il quitta Rouen et vint s'installer à Paris chez son oncle (en 1680 à l'âge de 23 ans). (1) Annoncé. au public avec ce grand chœur de louanges qu'on avait eu soin d'élever autour de lui, il eut accès aux

(1) Gustave Reynier dit qu'il ne s'installa à Paris qu'en 1687, après la publication de la "Pluralité des Mondes" 1686.

plus belles et spirituelles compagnies de Paris qui ne lui épargnèrent pas les lauriers.

"Il semble au premier abord; - dit Sainte Beuve que ce soit une ironie de la nature de l'avoir fait naître neveu de celui qui créa ces âmes héroïques de Polyeucte, du vieil Horace et de tant d'autres personnages au cœur impétueux et sublime, car il était l'âme la plus froide, la plus égale, la plus exempte de passion et de flamme qui fut jamais ".(2)

Fontenelle, au dire du grand nombre, est censé avoir été pendant sa longue vie indifférent, froid, égoïste. Il n'a jamais connu le tumulte des passions, les émotions violentes. Il n'a jamais senti le pouvoir enchanteur de la beauté et de l'amour. Le cœur n'était rien pour lui auprès de l'intelligence. "C'est de la cervelle que vous avez là" lui dit un jour Madame de Tencin en lui appuyant le bout du doit sur la poitrine. Il ne manqua pas de faire des épigrammes contre les femmes et le mariage:

Dans les nœuds de l'hymène à quoi bon m'engager?

Je suis un, cela doit suffire.

Si j'étais deux mon état serait pire:

C'est bien assez de moi pour me faire enrager.

et autre part:

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"Ce n'est pas ma faute si je ne crois pas que l'amour suffise pour le bonheur de quelqu'un. J'aurais assez envie de le croire. Mais pourquoi l'amour a-t-il "trompé, à mes yeux, mille gens à qui il avait promis

(2) SAINTE BEUVE, Causerie du Lundi. Tome III. Fontenelle par Flourens.

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'qu'il les mettrait seul en état de se passer de tout? "et si l'amour trompe à plus forte raison l'amour qui “devient ménage ".

On a exagéré pourtant son manque de sensibilité, et on est arrivé à le juger sur son manque de sympathie pour les femmes et de penchant pour l'amour, en soutenant qu'il n'a jamais goûté le charme et les douceurs de l'amitié.

Grimm, qui fait un réquisitoire à ce propos, dans le second article qu'il à voué à la mémoire de Fontenelle, conte une piquante histoire pour prouver la froideur de son cœur. Cependant on a beaucoup exagéré son indifférence et son égoïsme.

Madame de Staal Delaunay (2) parle de l'attachement de Fontenelle pour son ami Brunel.

Pour son oncle Thomas Corneille il eut toujours une tendre affection. "Il amait beaucoup son oncle, nous dit l'abbé Trublet, il avait peu vécu avec le grand Corneille qui mourut en 1684...; mais il avait beaucoup vécu avec Thomas et tout l'attachait à lui: lá liaison du sang, la reconnaissance et, du moins, à plusieurs égards la conformité des caractères".

Fontenelle qui devait beaucoup à son oncle et qui l'aimait tendrement, l'entoura d'égards et de soins par ticulièrement lorsque Thomas Corneille devenu vieux et aveugle, après avoir perdu tous ceux qu'il chérissait finissait sa vie dans la gêne. "Son amitié était vraie et même active", dit Condorcet. Nous connaissons de

(1) GRIMM, Correspondence littéraire. Janvier-Février, 1757. (2) Me DE SAAL DELAUNAY. Bibliothèque des Mémoires relatifs à l'histoire de France au XVIII siècle.

Fontenelle des traits de courage pour protéger ses amis; ces traits ont une double valeur si nous nous rappelons que l'idéal du bonheur était pour lui le repos et le soin de ne pas se faire d'ennemis. Le fait d'avoir voté, lui seul, contre ceux qui voulaient que fût exclu de l'Académie l'abbé de Saint Pierre en est une preuve.

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Fontenelle nous montre son aspiration au repos dans son "Traité du bonheur". Voici sa théorie sur le bonheur: "Les gens accoutumés aux mouvements violents des passions trouveront sans doute fort insipide tout le "bonheur que peuvent produire les plaisirs simples. "Ce qu'ils appellent insipidité je l'appelle tranquillité... "Mais quelle idée a-t-on de la condition humaine, "quand on se plaint de n'être que tranquille ? Le plus 'grand secret du bonheur est d'être bien avec soi”(1).

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On nous dit que Fontenelle en mourant laissa échapper ces mots: "Depuis près d'un siècle je n'ai jamais ni ri ni pleuré ". Il passa en effet paisiblement sa longue vie loin de tout malheur et de toute passion.

***

En lisant les œuvres poétiques de Fontenelle on reconnaît en lui le précieux Cydias de La Bruyère et le “pédant le plus joli du monde", de J. B. Rousseau.

Ce qu'il imite chez Pierre Corneille ce sont les qualité douteuses, la complexité des intrigues, les pointes, la finesse quelquefois énigmatique de la pensée.

(1) FONTENELLE. Oeuvres. Édition de la Haye, 1728, volume II.

Il est par sa préciosité et son faux goût en arrière d'une génération sur la sienne qui était celle des Racine, des Molières et des Boileau. Il restait pourtant l'homme à la mode, il était adoré par cette partie du public qui faisait ses délices des Scarrons, des Perrault et des Quinault; ceux-ci avaient fait revivre, nous l'avons vu, vers 1680 l'ancien goût précieux qui avait été attaqué vingt ans auparavant par les grands classiques.

Après la piteuse chute d' "Aspar", Thomas Corneille lui-même bien qu'avec le regret de voir ainsi finir la tradition poétique de famille, conseilla à son neveu de suivre son inclination, qui le poussait vers les sciences. Fontenelle avait une curiositè intelligente des découvertes scientifiques. Il faisait avant la trentaine "ses retraites savantes,,.

Il disparissait pendant quelques jours du monde bruyant de la ville et des salons où il passait son existence de poète des ruelles. Son asile de retraite était une petite maison du faubourg St.-Jaques, où en compagnie de l'abbé de Vertot il allait retrouver ses com. patriotes l'abbé de St.-Pierre et Varignon, et dans ce lieu qui était un rendez-vous du monde savant, notre auteur s'abandonnait entièrement à la volupté de connaître.

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"Nous parlions à nous quatre - dit Fontenelle luimême une bonne partie des différentes langues de l'empire des lettres, et les sujets de cette petite société se sont dispersés de là dans toutes le académies". "C'est le berceau du XVIIIe siècle cette petite maison du faubourg St.-Jaques,, dit Émile Faguet.

Fontenelle n'avait pas cette ardeur opiniâtre qui fait

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