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homme, que l'on ne connaissait que sous le nom de Théophile, fut accusé faussement près du cadi d'avoir promis d'abjurer la religion chrétienne pour embrasser le mahométisme. Il le nie. Le Turc lui demande s'il veut se donner à Mahomet. Je déteste ce nom "

répond-il; je suis chrétien, et chrétien je mourrai. Insensible aux promesses et aux menaces, il est battu.et torturé horriblement, puis jeté demi-mort dans un cachot. Le lendemain, il est empalé et consumé par les flammes. Celles de ses reliques qu'on put avoir, furent portées à Venise.

L'an 1600, le sept janvier, termina sa sainte vie Marie Raggia, de Chio. Elle était née dans cette île, d'une famille des plus nobles ét des plus riches. Jeune, elle épousa, malgré elle et par l'ordre de ses parents, Jean-Marie Mazza, très-homme de bien, et eut quatre fils, dont deux, Nicolas et Basile, entrèrent dans l'ordre de SaintDominique, et s'y rendirent non moins célèbres par leur piété que par leur doctrine. Chia ayant été prise par les Turcs, Marie passe à Constantinople, puis en Sicile, pour mettre en sûreté le salut de ses enfants, à qui les Turcs dressaient des embûches. Son mari ayant été massacré par les Turcs en allant à Naples, elle prit l'habit du tiers-ordre de Saint-Dominique, et vint à Rome habiter dans la maison des époux Jean-Baptiste Marini et Théodore Justiniana, ses compatriotes, non moins illustres par leur piété et leur charité, que par leur haute naissance. Elle y vécut en sainte, pratiquant toutes les vertus religieuses; la virginité, qu'elle s'affligeait d'avoir perdue par le mariage, elle s'efforçait de la suppléer par la chasteté perpétuelle; nuit et jour, et chez elle et à l'église, elle priait à genoux avec larmes : éprouvée par les démons et les maladies, elle reçut l'impression des stigmates aux pieds, aux mains, au côté, et sur la tête celle de la couronne d'épines : elle fit de son vivant plusieurs miracles, mourut le jour que nous avons dit, et fut enterrée dans l'église Super Minervam, en la chapelle de Sainte-Madeleine 1.

La Russie fut aussi glorifiée par le martyre de Josaphat Konkewitz, archevêque de Polocz. Il naquit à Volodimir, de parents pieux et catholiques, et reçut au baptême le nom de Jean. A l'âge de vingt ans, il entra chez les moines de Saint-Basile. Les schismatiques l'ayant sollicité d'embrasser leur communion, il leur répondit qu'il ne voulait point abandonner l'Eglise romaine. Cette réponse alluma dans eux une haine qui ne s'éteignit que dans son sang. Son abbé, Joseph Velamin, ayant été fait métropolitain de la Russie, il fut élu archimandrite à sa place: non-seulement il augmenta le nombre

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des moines, mais encore leur régularité. Successeur de Gédéon dans l'archevêché de Polocz, il ne cessa de prier Dieu jour et nuit, pour le retour des schismatiques. Le premier à matines, il éveillait souvent les autres. Pendant les vingt dernières années de sa vie, il n'usa point de linge, mais affligeait son corps par un rude cilice. Il s'abstenait de chair, mangeait rarement du poisson, ne vivant que d'herbes, de légumes et d'eau, ne dormant que peu et sur la terre nue, tout appliqué à la contemplation. On ne saurait dire toutes les peines qu'il se donna pour corriger les mauvaises mœurs, convertir les hérétiques et les schismatiques, soulager les malheureux, restaurer ou bâtir des églises. Aussi l'appelait-on le père de tout le monde. Devenu par là odieux aux hérétiques, il en éprouva bien des embûclics, qu'il évita par la grâce de Dieu. Mais enfin, le douze novembre 1623, excités par l'évêque schismatique et intrus de Polocz, les sectaires se jettent en furie sur le palais archiepiscopal, maltraitent les serviteurs, lorsque le saint archevêque, revenant dés matines, leur dit: Pourquoi cet emportement? pourquoi faire du mal à des personnes innocentes? Faites contre moi ce qu'il vous plaira. Aussitôt, après lui avoir tiré une grêle de balles, ils lui fendent la tête à coups de bâton et de hache, traînent son cadavre avec une corde à travers les rues, et le précipitent au plus profond du fleuve, après y avoir attaché beaucoup de pierres. Une lumière ayant indiqué l'endroit, les fidèles l'en tirèrent, le mirent dans une châsse, et l'ensevelirent dans l'église cathédrale, où il est illustré par des miracles. Tous ces faits ayant été constatés juridiquement, Urbain VIII l'inscrivit au catalogue des saints martyrs, le seize mai 1643, et en fixa la fête comme d'un martyr pontise au jour de sa mort, douze novembre, pour tous les moines de l'ordre de SaintBasile, et pour toutes les églises de la métropole de Russie 1.

L'année 1643, le sixième de juin, un Crétois, Marc Cyriacopule, souffrit la mort pour la foi chrétienne. Jeune encore, et ne pouvant supporter les mauvais traitements de son père, il se rend à Smyrne, âgé de seize ans, et y embrasse le mahométisme, à la grande joie des Turcs. Deux ans après, il rentre en lui-même, retourne en Crète, y passe deux autres années dans les prières, les jeûnes et les larmes : non content de ces pénitences, il revient à Smyrne en habit de chrétien. Un marchand de sa connaissance le rencontre, lui demande ce qu'il vient faire, s'il ne sait pas la peine de mort qui l'attend : il l'exhorte à s'enfuir au plus vite, et lui en offre les moyens. Le jeune homme le remercie, lui raconte son histoire,

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ajoutant qu'il vient donner sa vie pour celui qu'il a eu la faiblesse de renier. Aussitôt il entre dans une église, y passe la nuit en prière, se confesse avec larmes, reçoit la communion, puis, sorti de là, distribue aux pauvres l'argent qui lui reste. A un Turc qui le connaît fort bien, il raconte ce qui lui est arrivé : l'autre, par compassion, s'efforce de le ramener au mahométisme, mais vainement. D'autres Turcs surviennent, qui le mènent au cadi. Les exhortations n'y ayant rien fait, le juge lui fait appliquer cent cinquante coups de nerfs de bœuf sur les pieds et sur le ventre, puis jeter en prison, où il n'apparaît plus aucune trâce de ses plaies. Il y passe six jours, privé à peu près de toute nourriture: les Turcs le visitent continuellement, pour le gagner à force de promesses. Comme il demeure inébranlable, le juge le condamne à avoir la tête tranchée le bourreau, par maladresse ou cruauté, la lui hache en lambeaux plutôt qu'il ne la lui coupe. Les chrétiens rachettent son corps pour une très-grande somme, et lui donnent une sépulture honorable 1.

Nous avouons humblement que, avant d'être amenés par la divine Providence à recueillir ces faits pour les écrire, nous ne savions pas, nous ne soupçonnions pas même, qu'il y eût parmi les Grecs du dix-septième siècle autant d'évêques, de docteurs, d'écrivains et de fidèles catholiques. En vérité, les miséricordes de Dieu sont plus grandes qu'on ne pense, même envers les nations qui paraissent les plus délaissées. Les pontifes, les prêtres, les fidèles de l'Occident, qui peuvent se trouver en position de ramener au sein de l'Eglise ceux des Grecs qui n'y seraient pas encore, feront bien d'étudier ces vues de la miséricorde diviné sur eux dans les derniers siècles, ainsi que les ouvrages que les Grecs catholiques y ont publiés pour seconder ces vues, ouvrages qui ne sont point assez connus en Occident, en particulier ceux de Léon Allatius.

Un autre écrivain d'Orient, né dans le dix-septième siècle, mais de la nation si catholique des Maronites, Joseph-Simon Assémani, nous fait connaître, dans sa Bibliothèque orientale, l'état des églises de Syrie, de Chaldée, de Babylone et d'Egypte. L'an 1522, Siméon, patriarche des Maronites, envoya au pape Adrien IV, Moïse, fils de Soada, homme distingué par sa piété et son zèle, pour lui demander la confirmation et le pallium: ce qu'il obtint. Moïse célébra son voyage à Rome dans un poème syriaque. L'an 1524, il fut le successeur de Siméon, et mourut en 1567. Il avait donné beaucoup de champs et de terres au monastère de Sainte-Marie en Canobin:

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il fut pleuré de tout le peuple des Maronites, et enterré dans la grotte de Sainte-Marine. On fit de sa chambre une chapelle, avec deux autels à saint Pierre et à saint Paul, afin que personne n'y habitat après sa mort. On garde dans le monastère de Canobin les lettres de quatre Papes au patriarche Moïse: Clément VII en 1531, Paul III en 1542, Paul IV en 1556, et Pie IV en 1562. Le patriarche avait envoyé à ce dernier l'archevêque de Damas, pour assister, en son nom et au nom de la nation des Maronites, au concile de Trente. Comme l'ambassadeur ne savait point de latin, et même fort peu d'italien, le Pape fut d'avis qu'il assisterait inutilement au concile, n'y pouvant rien comprendre ni expliquer, mais qu'il suffirait que le patriarche, avec ses suffragants, approuvât ce que le concile approuve, et condamnât ce qu'il condamne'.

Georges Amira, fils de Michel d'Eden, vint à Rome, l'an 1583, pour y faire ses études dans le collége des Maronites, fondé récemment par Grégoire XIII; y ayant achevé son cours de philosophie et de théologie, il revint dans sa patrie l'an 1595. L'année suivante, il assista au concile des Maronites, à Canobin, que le patriarche Sergius Rise avait convoqué par ordre de Clément VIII, pour repousser les erreurs qu'on imputait à leur nation: Georges Amira y acquit une grande réputation de doctrine et de prudence. C'est pourquoi, vers la fin de la même année, le patriarche Joseph, neveu et successeur de Sergius, le sacra évêque d'Eden; enfin, après la mort de Jean, successeur de Joseph, il fut lui-même élu patriarche par les communs suffrages des évêques, le vingt-sept décembre 1633, et confirmé en 1635 par 1 le pape Urbain VIII. II mourut en 1644, la même année que ce Pape. Il avait publié à Rome, en 1596, une grammaire syriaque, qui a été abrégée par d'autres savants Maronites. Il écrivit aussi en arabe un livre De la construction des édifices, à la prière de Facreddin, chef des Druses dans l'Antiliban 2.

Isaac de Sciadre, instruit dans les lettres latines, syriaques et arabes au collége des Maronites, à Rome, de l'an 1603 à 1618, est minoré, en 1619, par Georges Amira, alors évêque d'Eden; l'année suivante, il reçoit le sacerdoce, avec les fonctions d'archiprêtre de Béryte, après avoir épousé une femme suivant l'usage des Orientaux: sa femme étant morte, il est ordonné évêque de Tripoli en Phénicie par le patriarche Jean Macluphe. Il est auteur d'une grammaire syriaque, en syriaque même, de deux pièces de poésie en l'honneur du pape Urbain VIII et du patriarche Macluphe, ainsi que de questions théologiques en arabe 3.

Biblioth, orient., t. 1, p. 522. - 2 Ibid., p. 552.

3 Ibid.

Joseph, de la famille Alipia, ordonné évêque de Sidon, l'an 1626, par le patriarche Macluphe, fonda un monastère considérable de religieuses dans la Chosroène, en un lieu nommé Haras. Le quinze août 1644, il succéda, comme patriarche, à Georges Amira. Il mourut le trois novembre 1647, à l'âge de soixante-quatorze ans. Il écrivit en syriaque une grammaire qui a été publiée par la Propagande en 1645; il écrivit aussi divers poèmes en arabe, notamment sur la réforme du calendrier, contre les calomnies de quelques Orientaux '.

Les Chaldéens, ce peuple primitif duquel sortit le patriarche Abraham, et dont les Babyloniens, les Assyriens et les Syriens ou Arméniens ne sont que des branches qui s'étendirent dans les plaines, subsistent encore dans leurs âpres montagnes et dans les contrées voisines : ils conservent la même langue qu'au temps du patriarche, langue qui leur est commune avec les Hébreux, sauf los différences de dialecte. Une partie de cette antique nation est catholique, l'autre infectée des hérésies de Nestorius et d'Eutychès, ce Luther et ce Calvin du cinquième siècle, qui protestèrent l'un contre l'unité de personne, l'autre contre la distinction des natures en Jésus-Christ.

. Pendant le seizième et le dix-septième siècle, les Chaldéens catholiques eurent plusieurs personnages d'un mérite distingué, principalement leur patriarche Jean Sulaca, qui mourut martyr pour la foi orthodoxe. La résidence du patriarche était à Mosul, l'ancienne Séleucic, sur le Tigre, non loin de l'ancienne Ninive, où Jonas vint prophétiser Encore quarante jours, et Ninive sera détruite. Depuis cent ans, une famille puissante s'était emparée de la dignité patriarchale, et la transmettait à un de ses membres, lorsqu'à la mort du dernier patriarche, en 1551, il n'en resta plus qu'un, son neveu. Il fit ce qu'il put pour être élu à sa place, mais ne réussit point. Les députés de la nation chaldéenne se réunirent à Mosul, de toutes les provinces où elle était répandue, entre autres de la Babylonie, d'Arbèle, de Tauris en Perse, de Nisibe, de Mardin et d'Amid. Les suffrages se portèrent sur Jean, fils de Daniel, de la famille Bellu, nommé avant son ordination Sulaca en syriaque, Siud en arabe, et que quelques Occidentaux appellent Siméon. C'était un savant et vertueux moine. Or, l'usage de l'église chaldéenne était que le patriarche fût consacré par quatre métropolitains, ou, s'il n'y en avait pas quatre, qu'il allât jusqu'à Rome recevoir l'ordination du Pape même, source de la juridiction ec

'Biblioth. orient., t. 1, p. 553.

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