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semble et égalité de puissance, et une certaine puissance hors de ligne, comme parle saint Jérôme; car ils sont égaux comme collègues, mais non quant au droit de la principauté 1. »

C'est ainsi que le plus docte protestant du dix-septième siècle s'explique sur la principale controverse entre les protestants et les catholiques, sur la primauté du Pontife romain. Ce n'est pas tout : Grotius a fait des commentaires sur les endroits de l'Ecriture où il est parlé de l'antechrist, pour faire voir en détail que cet antechrist ou adversaire n'est pas du tout le Pape, comme Luther et Calvin l'avaient soutenu dans leur emportement. Il dit entre autres : < Ceux qui veulent que le schisme soit perpétuel, qui tremblent au seul mot d'unité de l'Eglise et de concorde, ceux-là ont intérêt à faire croire que le Pape est l'antechrist, et qu'il est nécessairement tel jusqu'à l'avènement du Seigneur. S'il n'y avait pas de schisme, beaucoup n'auraient pas de quoi vivre, et comme, sans l'espoir d'un salaire, ils ne songeraient pas même aux saintes lettres, ils mesurent les autres d'après eux 2. »

Grotius s'explique avec la même modération, et toujours en faveur de l'Eglise romaine, sur les autres points de controverse : le nombre des sacrements, leur opus operatum ou leur divine efficacité par eux-mêmes, quand on n'y met pas d'obstacle; la transsubstantiation, le sacrifice de la messe; la gloire et l'invocation des saints, la prière pour les morts, le célibat religieux. Il dit du concile de Trente: « Quiconque en lira les actes avec un esprit pacifique, trouvera que tout y est exposé avec beaucoup de sagesse, et parfaitement conforme. à ce qu'enseignent l'Ecriture et les Pères 3. > Au reproche d'avoir pensé différemment dans ses premiers écrits, Grotius répond : « Si, dans ma jeunesse, où j'avais moins d'intelligence qu'à cette heure, j'ai outrepassé les bornes de la vérité, soit par préjugé de naissance, soit parce que je m'en rapportais sans preuve à d'autres hommes célèbres, ne me sera-t-il pas permis pour cela, après de longues recherches et après que j'ai renoncé à tout esprit de parti, de suivre des convictions plus droites 4? »

Cette observation de Grotius nous fait comprendre pourquoi ses divers écrits ne présentent point un ensemble de doctrine bien nette et bien précise. Ainsi, ses belles idées sur la nécessité de la primauté du Pape pour l'unité et l'union de l'Eglise universelle se trouvent en opposition avec celui de ses ouvrages où il accorde à

'Grotii Opera theolog., t. 4, in-fol. Basilea Annotata in consult. Cassand., 2 Ibid., p. 475, col. 1. ́ 3 Cité par Menzel, t. 8, p. 295.

art. 7, p.

658.

▲ Ibid., p. 296.

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chaque souverain temporel un droit à peu près absolu sur la religion de ses sujets, suivant le nouveau principe du protestantisme : que c'est à chaque prince ou bourgmestre à réglementer la conscience de ses subordonnés. En outre, sur plus d'un point il ignorait encore ou méconnaissait la doctrine de l'Eglise; comme quand il suppose que le premier homme fut créé uniquement pour un bonheur terrestre, et non pour le bonheur céleste, auquel il pense que l'homme n'a été destiné que par Jésus-Christ. Tout cela explique peut-être aussi pourquoi lui-mênie ne se déclara point formellement catholique avant sa mort.

Il écrivait cependant à son frère ces sincères et remarquables paroles: << L'Eglise romaine n'est pas seulement catholique, mais encore elle préside à l'Eglise catholique, comme il paraît par la lettre de saint Jérôme au pape Damase. Tout le monde la connaît; et un peu après: Tout ce que reçoit universellement en commun l'église d'Occident, qui est unie à l'Eglise romaine, je le trouve unanimement enseigné par les Pères grecs et latins, dont peu de gens oseront nier qu'il faille embrasser la communion; en sorte que, pour établir l'unité de l'Eglise, le principal est de ne rien changer dans la doctrine reçue, dans les mœurs et dans le régime'. »

Il dit dans une autre lettre à son frère : « Qu'il faut réformer l'Eglise sans schisme, et que si quelqu'un voulait corriger ce qu'il croirait digne de correction, sans rien changer de l'ancienne doctrine, et sans déroger à la révérence qui est justement due à l'Eglise romaine, il trouverait de quoi se défendre devant Dieu et devant des juges équitables. » Enfin Grotius vient à reconnaître ce qu'il y a de plus essentiel : « Que l'Eglise de Jésus-Christ consiste dans la succession des évêques par l'imposition des mains, et que cet ordre de la succession doit demeurer jusqu'à la fin des siècles, en vertu de cette promesse de Jésus-Christ: Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde, dans saint Mathieu, 28, 18. Par où, ajoute-t-il, l'on peut entendre, avec saint Cyprien, quel crime c'est dans l'Eglise de suivre un adultérin (qui ne vienne pas d'une succession légitime), et de reconnaître pour églises celles qui ne peuvent pas rapporter la suite de leurs pasteurs aux apôtres, comme à leurs ordinateurs 2. ». Voilà ce que 'Grotius écrivait en l'an 1643, deux ans avant sa mort: ce qui contient toute la substance de l'Eglise catholique.

D'autres profitèrent mieux que lui de ses ayeux en faveur de l'Eglise romaine, et s'y réunirent publiquement. De ce nombre

Opera, t. 3, append, ep. 671. 2 Ibid., ep. 613.

furent plusieurs princes d'Allemagne. Des voyages dans les pays catholiques, particulièrement en Italie, devenus bien plus fréquents depuis la conclusion de la paix, leur donnèrent occasion de connaître les membres et les institutions de cette Eglise, et de revenir de bien des préventions qu'on leur avait inoculées dans leur éducation première. Ce fut le cas du prince Jean-Frédéric de Brunswick, troisième fils du duc George, et l'un des jeunes hommes les plus distingués. L'an 1649, on manda d'Italie à ses frères, les dues régnants, qu'il avait pris de l'inclination pour l'Eglise catholique, et qu'il pensait s'y réunir publiquement. Aussitôt on lui envoya le lieutenant-colonel de Goertz, avec Henri-Jules Blume, professeur de Helmstadt, pour le ramener à d'autres sentiments. Mais on n'atteignit point le but: au contraire, le professeur Blume embrassa lui-même le catholicismę à Ratisbonne en 1653, demanda sa démission, entra au service de l'électeur de Mayence, puis de l'empereur, qui l'ennoblit et le fit baron. Le duc Jean-Frédéric lui avait déjà donné l'exemple. Dès le vingt-neuf décembre 1651, il écrivit de Rome à ses frères, qu'après des examens bien approfondis, de ferventes prières qui lui avaient obtenu des dons et des grâces de l'Esprit-Saint, il était entré au sein de l'Eglise universelle. Ce qui lui en avait fait naître la première idée, c'était l'union de l'Eglise catholique, s'accordant avec la doctrine primitive des saints Pères et de la sainte Ecriture, dans la morale, les coutumes et les saintssacrements, sous un chef visible; tandis qu'ailleurs règne une grande désunion et tous les jours des divisions nouvelles, d'où naissaient la perdition et la ruine de la chère patrie et nation allemande. Il ne demandait à ses frères que de pouvoir exercer le culte catholique dans une chapelle particulière du château de Celle : cette grâce lui fut refusée, d'après l'avis des théologiens de Helmstadt, les mêmes qui convenaient qu'on pouvait se sauver dans l'EgliseTM romaine. Le duc resta donc à l'étranger jusqu'en 1665, où il hérita d'une partie du Hanovre.

Son exemple fut suivi par le landgrave Ernest de Hesse-Rhinfels, arrière-petit-fils du fameux landgrave Philippe de Hesse, à qui Luther permit d'avoir à la fois deux femmes, en récompense de son zèle pour la réforme. Ernest, né en 1623, fut obligé par sa mère à prier, à chanter des cantiques et à lire la Bible trois fois le jour; à entendre deux sermons le dimanche, un le mercredi et le vendredi, et à apprendre par cœur tout le catéchisme de Heidelberg, avec deux cents passages de la Bible. Il assura d'avoir lu la Bible plus de trente fois d'un bout à l'autre. Tous les soirs il examinait sévèrement sa conscience; il regardait le dimanche comme trop saint

pour y lire un auteur profane ou écrire une lettre ; il ne l'employait qu'à méditer sur les sermons qu'il avait entendus ou à lire des livres édifiants. Dans les voyages et dans les expéditions militaires, toujours il avait des livres sur soi. Leibnitz disait de lui que sa science était aussi grande que la pureté de son âme ; un autre l'appelait le savant d'entre les princes, et le prince d'entre les savants. Dans la guerre de trente ans, il combattit vaillamment pour la cause protestante, qui était celle de sa maison. Après la paix, dans un voyage qu'il fit en Autriche pour des affaires de famille, et qu'il continua par l'Italie et la France, il eut des rapports avec de savants catholiques, et fut fortement ébranlé dans ses convictions premières, tant par des entretiens que par la lecture des livres. Après ses voyages en France et en Italie, il professait l'opinion que, dans ces pays, il règne plus de sens commun qu'en Allemagne ; que le vice de l'ivrognerie rend les têtes allemandes encore plus pauvres en intelligence, qu'elles ne le sont naturellement. Avant d'exécuter sa résolution, il invita trois théologiens protestants à conférer en sa présence avec trois Capucins sur cette question : Jésus-Christ a-t-il donné à l'apôtre Pierre la juridiction sur l'Eglise universelle ; et le Pontife romain, comme successeur de l'apôtre, a-t-il reçu à ce titre une assistance tellement infaillible, que, quand il prononce ex cathedra, il ne peut pas errer dans les choses de la foi? La conférence eut lieu vers la fin de l'année 1651. Le six janvier de l'année suivante, le landgrave, avec son épouse, fit sa profession de foi catholique à Cologne, entre les mains de l'archevêque électeur, et reçut la confirmation. Il écrivit au pape Innocent X: « Après que l'ineffable bonté de la divine Providence m'a conduit, avec mon épouse bien-aimée, des abîmes de la prétendue réforme à l'admirable et irréformable lumière de la vérité et de l'unité catholique, je ne puis exprimer avec quel zèle, prévenu et assisté de l'EspritSaint, j'ai reconnu la dignité du. Saint-Siége apostolique, et je méprise maintenant les erreurs dont j'étais préoccupé depuis mon enfance. Tant que le vicaire de Jésus-Christ me resta caché, je suivais les prédicateurs de l'erreur, jusqu'à ce que les vestiges de l'ancien troupeau me manifestèrent le sentier de la paix catholique. L'ayant aperçu, je confessai publiquement la foi dont mes pères se sont écartés, je suis retourné à l'Eglise qu'ils ont abandonnée, et je me redonne au Seigneur qu'ils ont renié 1. »

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Un autre arrière-petit-fils du landgrave Philippe de Hesse s'était converti dès 1636 : c'était le landgrave Frédéric de Hesse-Darms

'Menzel, t. 8, c. 17.

tadt, qui devint cardinal et prince-évêque de Breslau, où il mourut cn 1682, après avoir bâti dans la cathédrale de cette ville une chapelle en l'honneur de sa glorieuse bisaïeule, sainte Elisabeth de Thuringe ou de Hongrie.

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Cependant ces éclatantes, conversions n'eurent pas grande influence sur les populations protestantes, attendu que ces populations n'étaient pas maîtresses de changer de religion suivant leur conscience, mais qu'elles étaient asservies sous ce rapport au caprice de leur prince ou bourgmestre, lesquels étaient, fort aises de réunir à la fois la puissance spirituelle et la puissance temporelle, et d'être tout ensemble, chacun chez soi, pape et empereur.

Une femme, une reine protestante, étonna singulièrement le monde à cette époque en quittant un trône, un royaume, pour se déclarer plus librement catholique. Cette femme était la fille, l'enfant unique du héros des protestants, de Gustave-Adolphe, roi de Suède. Née en 1626, Christine avait six ans, lorsque son père mourut à la bataille de Lutzen: elle fut aussitôt proclamée reine de Suède, et on lui donna pour tuteurs les cinq principaux dignitaires de la couronne, parmi lesquels le chancelier Oxenstirn. Son père lui avait fait donner une éducation mâle et savante; elle fut continuée sur le même plan: Christine en prit et garda toute sa vie le double caractère. Dans sa tendre enfance, au lieu de s'effrayer de la détonnation du canon; elle bat des mains et se montre une véritable enfant de soldat; elle monte à cheval avec hardiesse et galope, un seul pied dans l'étrier; à la chasse, elle abat le gibier du premier coup. Etonnante création de la nature! dit Ranke. Une jeune fille exempte de toute vanité! Christine ne cherche pas à cacher qu'elle a une épaule plus haute que l'autre; on lui a dit que sa beauté consiste particulièrement dans sa riche chevelure, elle ne lui donne pas même les soins les plus ordinaires; toutes les petites préoccupations de la vie lui sont étrangères; jamais elle n'a eu de goût pour les plaisirs de la table, elle ne s'est jamais plainte d'un mets, elle ne boit que de l'eau.

Le plus grand plaisir de la jeune fille, sont les leçons de ses maîtres. Elle possédait pour les langues une facilité extraordinaire. Elle dit dans sa vie écrite par elle-même : « Je savais à l'âge de quatorze ans toutes les langues, toutes les sciences et tous les exercices dont on voulait m'instruire. Mais depuis j'en ai appris bien d'autres sans le secours d'aucun maître; et il est certain que je n'en eus jamais pour apprendre ni l'allemand, ni le français, ni l'italien, ni l'espagnol. Sa passion pour l'étude croissait avec l'âge. Elle avait

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