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affable, qu'il excita la jalousie des protestants. Wallenstein, rappelé au commandement de l'armée impériale, se réunit au duc de Bavière; Gustave-Adolphe attaque le camp de Wallenstein, mais est repoussé. Le seize octobre 1632, bataille de Lutzen en Saxe, entre Gustave-Adolphe d'une part, Wallenstein et Pappenheim de l'autre. Gustave est tué au commencement de la bataille, à l'âge de trente-huit ans; Pappenheim meurt de ses blessures. Frédéric V, ancien électeur palatin, cause première de toutes ces guerres et révolutions, meurt le vingt-neuf novembre, treize jours après Gustave, à l'âge de trente-six ans, après avoir mené une vie errante et fugitive depuis sa sortie de Prague, après avoir vu son fils aîné périr à ses yeux dans un naufrage, à Harlem: sa femme Elisabeth lui survécut trente ans, pendant lesquels elle vit son frère, le roi d'Angleterre Charles Ier, périr sur l'échafaud.

Après la mort de Gustave-Adolphe, le chancelier de Suède, Oxenstirn, appuyé par la France ou Richelieu, fut l'âme de l'Allemagne protestante, le duc Bernard de Saxe-Weimar en fut le bras, l'électeur de Saxe en fut quelque temps la tête. Les Saxons et les Suédois pénètrent en Silésie; les premiers font éprouver une grande défaite aux impériaux à Lignitz, treize mai 1634; mais le quatre septembre, le roi Ferdinand de Hongrie, fils de l'empereur, défait éncore plus complètement à Nordlingue les deux généraux de l'armée suédoise, Weimar et Horn. Ce dernier, avec trois généraux et six mille hommes, est fait prisonnier; Weimar échappé avec peine au même sort. Plus de douze mille des vaincus jonchent de leurs cadavres le clramp de bataille; les débris de l'armée s'enfuient dans une déroute complète, abandonnant quatre mille voitures et quatre-vingts pièces de canon, et ne se rallient qu'à Heilbronn et Francfort. L'électeur de Saxe incline à faire la paix avec l'empereur et à chasser les Suédois d'Allemagne : la paix se conclut définitivement avec l'empereur, à Prague, le trente mai 1635. Plusieurs princes protestants y accèdent. Ferdinand II, après avoir fait élire roi des Romains, en 1656, son fils Ferdinand III, déjà roi de Bohême et de Hongrie, tombe malade et meurt le vingt-deux février 1637, en la cinquante-neuvième année de son âge. H protesta sur son lit de mort que, dans toutes ses actions, il n'avait eu devant les yeux que la gloire de Dieu et le bien de l'Eglise, et qu'il voulait persévérer jusqu'à la fin dans ces dispositions; mais qu'il savait bien que la grâce de Dieu était nécessaire pour être sauvé, et que malheur à celui qui croirait n'en avoir pas besoin. D'après le tableau de ses vertus, tracé par son confesseur, c'était un des meilleurs hommes qui aient jamais été assis sur un trône tendre et fidèle

époux, bon père et maître indulgent, accessible au dernier de ses sujets, riche en compassion et en secours pour tous les malheureux; infatigable, comme souverain, dans l'accomplissement de ses devoirs, humble et modeste dans la prospérité, constant dans l'adversité, et si peu attaché à son sens, qu'il avait pris pour règle, quand les membres de son conseil d'état étaient d'un autre sentiment que lui, de faire conclure d'après leurs voix. On trouva même écrit de sa main: Je hais dans le conseil les chiens muets; ceux-là ne me plaisent point, qui se laissent aller à un avis par considération d'autres personnes : mais j'aime ceux qui exposent leur opinion franchement, ouvertement, cordialement, avec la modestie convenable. Son principe était que le but de la vraie prudence et de la vraie politique est uniquement de conserver la gloire de Dieu et de l'étendre; qu'il faut viser avant tout à ce qu'on n'y porte aucun préjudice, et pourvoir au reste seulement après 1. Il y a des politiques qui pensent différemment; c'est qu'il y a deux esprits et deux sagesses, comme nous avons vu: une sagesse d'en haut et une sagesse d'en bas. Voici la seconde.

Pour empêcher que la paix de Prague ne fût acceptée par toute l'Allemagne, le Suédois Oxenstirn et l'Allemand Bernard, duc de Weimar, concluent, l'an 1655, un traité avec la France ou Richelieu pour perpétuer la guerre. Bernard la continue en Lorraine, avec les ravages que nous avons vu cicatriser par Vincent de Paul: il comptait, avec l'appui de la France, s'emparer de la Lorraine et de l'Alsace, et s'en faire un état indépendant. Après quelques succès contre les impériaux, il meurt de la peste à Brisac, le dixhuit juillet 1659, et la France s'empare de ses conquêtes et de son armée.

Les calamités que nous avons déplorées en Lorraine s'étendirent plus ou moins a toute l'Allemagne. Toutes les nations de l'Europe semblaient s'y être donné rendez-vous pour y exercer plus de ravages. On espérait d'abord que le vainqueur de Nordlingue, Ferdinand III, chasserait promptement les étrangers de tout le pays : il resta dans l'inaction par suite de la goutte. Ses nombreux généraux ne se distinguèrent à peu près que par leurs défaites. Il nomma généralissime son frère Léopold, le même qui cumulait sur sa tête tant d'évêchés et d'abbayes', et qui, dans la réalité, était un excellent ecclésiastique, d'une piété, d'une chasteté, d'une modestie exemplaires. Comme général, il eut d'abord quelques succès, chassa les ennemis de la Bohême, mais fut battu en Saxe l'an 1642, et re

'Lamormain. De virtut. Ferdinandi II. - Menzel, t. 8, c. 2.

prit les fonctions d'évêque. Les avantages militaires furent généra– lement du côté des Suédois, sous les généraux Bannier, Torstenson, Wrangel et Koenigsmarck. Outre les armées allemandes d'Autriche, de Bavière, de Saxe, etc., il y avait deux armées étrangères, celle des Suédois et celle des Français, qui eut pour chef en dernier lieu Turenne. Par là, dit Menzel, la guerre prit, pour les Allemands un caractère aussi funeste que honteux. Car, pour comble d'opprobre, ces armées étrangères étaient composées en plus grande partie d'officiers et de soldats allemands; elles parcouraient l'empire dans toutes les directions, rançonnant et maltraitant le peuple, sans autre but que de nourrir et d'occuper la troupe. Ce serait une peine infructueuse de vouloir suivre en détail ces expéditions dévastatrices; elles ressemblaient aux expéditions par lesquelles, deux siècles auparavant, les hussites avaient visité les provinces allemandes, avec la seule différence qu'on ne brûlait plus de prêtres, mais que l'on commettait tous les crimes de la rapacité, de la débauche, de la cruauté et du meurtre sur les hommes, les femmes et les enfants sans défense. Ces crimes montèrent à tel point, que le général suédois Bannier avouait que ce ne serait pas une chose étonnante, si, par la permission de Dieu, la terre s'entr'ouvrait pour engloutir de si abominables forfaits. La Pomeranie, le Brandebourg, la Saxe, la Thuringe, plus tard et pour la seconde fois la Silésie, la Bohême et la Moravie, furent les principaux théâ– tres de cette dévastation 1. >>

Cependant, dès 1636, le pape Urbain VIII, pénétré de douleur à là vue de tant de calamités, surtout depuis que la guerre eut éclaté entre l'Autriche et la France, envoya le cardinal Ginetti à Ratisbonne, en qualité de légat, pour procurer la paix. Grâce aux efforts du légat, on désigna la ville de Cologne pour les négociations. Mais quatre ans se passèrent en difficultés préliminaires : au lieu de Cologne et de Lubeck, on se décida pour Osnabruck et Munster. En attendant, les maux de la guerre continuaient, s'accroissaient même. Dans les commencements de Gustave-Adolphe, les Suédois gardaient une exacte discipline; mais bientôt ils devinrent comme les autres, et pires encore, Voici le tableau que trace Menzel de l'état de l'Allemagne à cette époque.

<< Pendant que des années se consumaient dans les seules prélimi naires des négociations, et qu'ensuite les négociations elles-mêmes reculaient plutôt qu'elles n'avançaient, il régnait une telle famine dans la Saxe, la Hesse, sur le Rhin et en Alsace, qu'on ne dédai

'Menzel, t. 8, c. 3, p. 33.

gnait pas la chair de la voirie, qu'on détachait les pendus de la potence, qu'on bouleversait les cimetières, que le frère mangeait le cadavre de sa sœur, la fille le cadavre de sa mère, que des parents égorgeaient leurs enfants, et que des bandes entières se réunissaient pour faire la chasse aux hommes comme à des bêtes fauves. Cette famine était la conséquence naturelle de la dévastation méthodique des pays, que pratiquaient les armées à leur passage, pour ôter à leurs adversaires tout moyen d'y subsister. Main en main avec la famine arrivaient les maladies contagieuses, et les soldats euxmêmes y succombaient par milliers. Pires que cette calamité étaient les horreurs que les pauvres gens avaient à souffrir, lorsque les hordes d'une soldatesque indisciplinée et abrutie dans les expéditions de tant d'années entraient dans des villages ou dans des villes sans défense. Là on rôtissait des gens à des feux allumés ou dans des fours, on leur crevait les yeux, on leur faisait sauter la tête en la serrant avec une vis, on leur taillait des lanières sur le dos, on leur coupait le nez et les oreilles, les bras et les jambes, les mamelles aux mères qui allaitaient leurs enfants; on leur fourrait de la résine et du soufre sous les ongles, et dans les ouvertures du corps, puis on y mettait le feu ; on leur faisait couler dans le gosier du jus de fumier et de l'urine; on entaillait la plante des pieds, on y répandait du sel; on mutilait les hommes, on les attachait à la queue des chevaux, on les faisait servir de but au tir; on arrachait les enfants aux pères et mères, on les coupait en lambeaux, on les jetait contre la muraille, on les embrochait à des lances et on les faisait rôtir; on déshonorait, puis bien souvent on mutilait et égorgeait les femmes et les filles sous les yeux de leurs maris et de leurs parents, sur les grands chemins et dans les églises où elles s'étaient réfugiées. L'an 1633, les troupes.de Wallenstein ayant livré aux flammes une ville de Silésie, poùssèrent devant eux les femmes nobles et bourgeoises comme un troupeau de bêtes, et plusieurs nuits de suite les forcèrent à danser nues avec leurs officiers. Des contrées entières, s'écrie un auteur contemporain, gisent là comme des cadavres privés de sang; les habitants sont immolés par la faim, la misère et des souffrances de toute espèce; où se pressait autrefois une foule joyeuse, là se trouve une morne solitude; à la place des brillantes moissons, l'œil ne découvre que de chétives mauvaises herbes. Toutes les grandes routes sont assiégées de brigands; le marchand, le voyageur n'osent plus s'avancer d'un lieu à un autre. Et cette misère, cette désolation, cette ruine, c'est nous-mêmes qui les avons attirées sur nous; ces fléaux de Dieu, nous les avons mérités par l'hypocrisie, qui feint de vouloir l'honorer, mais qui,

dans le vrai, cherche à le tromper. C'est ainsi que le tranchant du glaive se tourne contre nous, et que pour nos vices et nos péchés nous sommes poursuivis par les furies, les flammes, les vengeances de toute sorte, les terreurs paniques, et tout ce qu'on peut jamais imaginer et exprimer de malheurs. Quiconque témoigne de l'inclination pour la paix, passe pour un indifférent ou un traître ; et c'est devenu comme un principe fondamental, qu'il faut servir à toujours et comme esclave les Autrichiens ou les étrangers, et même quiconque a la force en main 1. »

Tel est le tableau que le protestant Menzel nous retrace de l'Allemagne d'après les auteurs contemporains. Nous ne noussouvenons pas d'avoir rencontré dans l'histoire humaine quelque chose de plus effroyable. Cependant, si le lutheranisme, si le calvinisme est vrai; si l'homme n'a plus de libre arbitre, si Dieu fait en nous le mal comme le bien; si, plus on pèche, plus on est saint, pourvû qu'on ait foi à son propre salut; si chacun n'a d'autre règle de sa conscience que soi-même, il n'y a rien à dire à ces hordes incen diaires et anthropophages, leurs actions sont des actions divines, elles se montrent elles-mêmes les parfaits disciples de Luther et de Calvin. Au milieu des sanglantes atrocités qu'une soldatesque abrutie exerçait sur l'Allemagne divisée, le protestant Menzel signale une atrocité plus grande encore dans les juges qui, partout où la guerre laissait quelque relâche, livraient aux flammes, avec des formes juridiques, des milliers de personnes, hommes, femmes, enfants, comme sorciers et sorcières. Cette propension à supposer des pactes avec le diable, qu'on ne remarqué point dans les pays si catholiques del'Espagne et de l'Italie, paraît avoir été, de temps immémorial, très-commune en Allemagne. Charlemagne, dans son capitulaire pour la Saxe, défend, sous peine de mort, aux gens du peuple de saisir de prétendues sorcières et de les livrer au feu. La réformation, avec sa croyance au pouvoir matériel du diable sur les hommes et sur la terre, fortifia dans l'esprit de ses sectateurs la tendance à poursuivre les sorciers, et augmenta le nombre des victimes; car les catholiques ne voulurent pas rester en arrière des protestants dans cette guerre contre le diable. Depuis le commencement de la guerre de trente ans, le nombre des victimes monta plus haut encore, et les procédures furent dirigées contre, les classes supérieures de la société. Presque toutes les provinces d'Allemagne fournissent des documents d'après lesquels, pendant tout le dix-septième siècle, des multitudes d'hommes et de femmes furent brûlés pour sortilége,

'Menzel, t. 8, c. 4, p. 51–54.

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