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aucun droit, même apparent, de garder ce qu'ils avaient volé avant cette époque. Aussi la ligue protestante de 1613, dont le chef était l'électeur calviniste du Palatinat, avait-elle la prudence de suppléer au droit par des alliances avec les puissances étrangères, avec les révolutionnaires de tous les pays, avec tous les ennemis de l'empire, même avec les Turcs. C'est de là que nous verrons sortir la guerre néfaste de trente ans.

La ligue catholique, qu'on appellerait aujourd'hui politiquement le parti conservateur, avait pour chef le duc Maximilien de Bavière. On vit même y accéder, en 1613, les princes luthériens de Saxe et de Darmstadt, par attachement pour la maison d'Autriche et pour la conservation de l'empire, contre les menées révolutionnaires des calvinistes. Cette ligue des conservateurs, qui formait la grande majorité dans la diète générale, accorda donc à l'empereur un subside contre les Turcs; mais les catholiques formulèrent en même temps leurs griefs. Le principal était contre les calvinistes et les sectes nouvelles qui pullulaient de jour en jour : la pacification d'Augsbourg n'était que pour les protestants de la confession d'Augsbourg, avec lesquels il serait facile de s'entendre; mais ces sectes nouvelles, qui n'avaient aucun droit à la pacification, la ruinaient, ainsi que l'unité de l'empire, par leurs prétentions révolutionnaires de ne se soumettre plus à la majorité des voix à la diète, de ne vouloir reconnaître aucun tribunal au sujet de leurs empiètements sur les catholiques. L'empereur Mathias, qui s'était flatté de dissoudre les deux ligues l'une par l'autre, se vit bien loin de son compte les griefs des catholiques ne furent pas même mis en dé– libération; et il termina mesquinement la diète, qu'il avait ouverte avec éclat '.

Il n'avait pas mieux réussi avec les diètes particulières des principautés autrichiennes : les protestants, s'y voyant en majorité, lui avaient imposé des conditions préjudiciables. Au lieu de pousser la guerre contre les Turcs, il renouvela la trève avec eux pour vingt ans. Mathias était avancé en âge, ainsi que ses deux frères Albert et Maximilien ; ni l'un ni l'autre n'avait d'enfants : il importait toutefois bien fort à la maison d'Autriche de ne pas laisser échapper la couronne impériale pour la voir passer peut-être sur une tête protestante. Ils jetèrent donc les yeux sur leur cousin, l'archiduc Ferdinand, que nous avons vu rétablir si complètement le catholicisme dans ses principautés héréditaires de Styrie et de Carinthie. Albert et Maximilien lui cédèrent leurs droits, ainsi que Philippe

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III d'Espagne. Mathias se rendit avec Ferdinand à Prague, l'y proposa pour roi dans une diète du mois de juin 1617: le comte de Thorn fit quelque opposition, mais elle n'eut point de suite : Ferdinand fut agréé roi, même par les plus considérables d'entre les protestants, proclamé en cette qualité le neuf juin et couronné le vingt-neuf. Il fut pareillement reconnu roi de Hongrie le premier juillet de l'année suivante. Il y eut plus aussitôt après son couronnement à Prague comme roi de Bohême, il accompagna l'empereur Mathias à Dresde, où l'électeur luthérien les reçut avec les plus grands honneurs, les retint au milieu des fêtes, et leur témoigna la plus cordiale amitié: il promit dès-lors sa voix à Ferdinand pour la couronne impériale.

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Cette intimité politique entre les cours d'Autriche et de Dresde fut bientôt suivie du contraste le plus choquant. C'était l'année 1617, la centième après le commencement du lutheranisme en Saxe. Aussitôt après le départ de l'empereur, l'électeur Jean George publia une espèce de mandement pastoral pour faire célébrer, le trente-un octobre et le premier novembre 1617, le jubilé séculaire de la réformation, — « attendu que la lumière du saint évangile a brillé cent ans radieuse sur notre électorat et nos domaines, et que le Très-Haut l'a conservée gracieusement contre toute la fureur et la rage de l'ennemi infernal et de ses suppôts. » En conformité de ce-mandement, dit le protestant Menzel, les théologues de la Saxe électorale adressèrent une circulaire à tous les théologues et professeurs du pur évangile, tant de la nation allemande que des autres royaumes, pays et provinces, comme une nouvelle mèche pour entretenir, telle qu'une étincelle sous la cendre, la fureur des partis que les discordes religieuses avaient implantée dans l'esprit du peuple. « Le grand Dieu du ciel, disaient les théologues saxons, a donné succès à la glorieuse entreprise de son saint organe, messire docteur Martin Luther; par son inenarrable miséricorde, il a dissipé les ténèbres papístiques, et fait reluire sur nous le soleil de justice, de telle sorte que les vieilles idolâtries, blasphêmes, erreurs et abominations de l'enténébré papisme ont entièrement disparu et été exterminées dans beaucoup de royaumes, dominations, principautés et terres. Non-seulement le commencement de cette œuvre a répondu aux vœux et aux gémissements de l'Eglise chrétienne, mais à cette heure encore, après cent ans accomplis, d'innombrables brebis du Christ ont été nourries de ce salutaire pâturage de la parole divine; même elles ont été efficacement et puissam→ ment protégées par le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs, contre les hostiles incursions des énormes loups ravisseurs, le Pape

et ses partisans. L'ennemi de Dieu et des hommes, le vieux serpent, a beau en frémir de colère; l'antechrist romain a beau, de rage, se couper la langue avec les dents, nous menacer tant qu'il voudra de toute sorte de malheur, d'anathèmes, d'excommunication, de guerre, de désolation et d'incendie: si nous mettons notre confiance au Seigneur, notre Dieu, que pourra nous faire cette bulle d'eau, cet homme de rien, anéanti par la parole de Dieu ? »

On prêcha selon l'esprit de cette circulaire, à la solennité même, plusieurs jours de suite, dans tous les temples protestants des villes et des campagnes : dans les universités de la Saxe, on disputa dans le même esprit une semaine entière, et on travailla profondément le levain de la vieille haine. Les princes et les magistrats favorables au calvinisme ne voulurent pas rester en arrière des luthériens, et ordonnèrent des fêtes semblables. A Heidelberg, on soutint, le premier novembre, la thèse suivante : Quiconque veut être sauvé, doit fuir avant tout le papisme romain : le lendemain, on prononça un discours sur le malheur des églises qui gémissaient sous le papisme, et sur le bonheur de celles qui en étaient délivrées 1.

Presque dans le même temps, savoir, le dix novembre 1617, les catholiques commencèrent par la prière, les mortifications et les bonnes œuvres, l'année du jubilé accordé par Paul V. Tant la bulle pontificale du douze juin que le mandement de l'archevêque de Mayence pour la prière se bornaient à un tableau général de la corruption qui dominait dans toute la chrétienté, sans faire une mention particulière de la division qui avait déchiré l'Eglise, ni des suites qu'elle avait entraînées. Cette remarque est du protestant Menzel. Il ajoute que le ton de l'encyclique pontificale était incontestablement plus modéré que celui de l'électeur et de ses théologues. Le Pape manifestait une douloureuse inquiétude que Dieu ne punît par de grandes calamités les péchés de la génération présente: les théologues protestants s'épuisaient au contraire en panégyriques sur les prospérités et bénédictions que ne cessait d'attirer sur l'Allemagne le nouveau culte. L'événement ne tarda pas à faire voir qui avait été meilleur prophète; car, peu après, éclata cette guerre funeste, qui, pendant trente ans, inonda toute l'Allemagne de sang et de ruines.

En attendant, c'était une contradiction choquante dans l'électeur de Saxe, de déclamer et de faire déclamer publiquement et de la manière la plus outrageuse contre l'Eglise romaine et ses suppôts, et de professer en même temps l'amitié politique la plus intime

Menzel, t. 6, c. 11.

pour les principaux membres ou suppôts de cette Eglise. Cette contradiction ne corrompit pas moins le caractère de la langue et du style, qu'elle n'embrouilla les idées du peuple. Pour concilier, du moins en apparence, deux choses inconciliables, l'amitié politique et la haine religieuse envers les mêmes personnes, on eut recours à un incommensurable verbiage. Le protestant Menzel parle d'une phrase diplomatique qui remplit à elle seule plusieurs pages in-folio. De là, ces pensées et ces expressions entortillées qui imprimèrent aux écrits des Allemands du dix-septième siècle le cachet de la prolixité, de la bassesse et de la surcharge, et qui complétèrent la barbarie que la scholastique polémique des théologiens avait commencée dans le dernier tiers du seizième siècle 1. D'après ces observations de l'historien protestant, les défauts qu'on reproche à la langue et à la littérature allemandes seraient un péché originel qu'elle a hérité de la réforme luthérienne.

Pendant que l'électeur luthérien de Saxe se montrait l'ami politique et l'ennemi ecclésiastique de la maison d'Autriche, l'électeur calviniste du Palatinat, Frédéric V, se posait le chef de la ligue ou union protestante, faisait formellement alliance avec la nouvelle république des Pays-Bas, sollicitait l'alliance de l'Angleterre, dont le roi Jacques Ier lui donna effectivement sa fille en 1618. L'Angleterre et la Hollande, observe Menzel, étaient alors les naturels représentants de cet esprit du monde, de cet esprit du nouveau siècle qui ne voit que les intérêts matériels : les partisans du calvinisme se sentaient plus attirés de ce côté que du côté de Ratisbonne et de Vienne par les vieilles obligations envers l'empire. Le lutheranisme était effrayé de l'esprit d'innovation, l'esprit originel de la réforme, et, par la peur de sa propre ombre, il avait été amené à s'arrêter. Le calvinisme, au contraire, poursuivait la route des innovations, et y parvint à des vues politiques qui laissaient bien loin en arrière celles des partisans du lutheranisme. Pendant que la Saxe, qui, comme chef et protecteur du luthéranisme, avait donné le premier coup à l'ancien ordre de choses, et, dans la guerre de Smalcald, porté l'étendard contre la sacrée majesté de l'empereur, se trouvait complètement satisfaite par la pacification d'Augsbourg, et ne manifestait pas de politique plus haute que d'être fidèlement dévouée à la maison d'Autriche, et, à sa suite, de servir Dieu et l'empereur, l'électeur palatin, chef et protecteur du calvinisme, portait ses vues bien au-delà des limites de l'ancienne constitution de l'empire, et ne visa bientôt à rien moins

' Menzel, t. 6, c. 11.

qu'à ravir à la maison d'Autriche une de ses couronnes héréditaires, et se la mettre sur sa propre tête. Cette ambition, que ne soutenait aucun talent de régner, manqua son but, et précipita la maison palatine dans de longs malheurs, dont elle ne s'est bien relevée que par la réunion des deux branches de la maison de Wittelsbach'.

Cependant les attaques théologiques des protestants contre l'Eglise romaine, à l'occasion du jubilé séculaire de la réforme, provoquèrent des répliques et des réfutations, principalement de la part des Jésuites. Les protestants de Prague le trouvèrent fort mauvais. On y comprenait sous ce nom ou sous celui d'utraquistes, communiants sous les deux espèces, les luthériens, les calvinistes, les picards, les anciens hussites, lesquels tous ensemble l'emportaient en nombre sur les catholiques de Prague. Ces protestants trouvèrent donc fort mauvais que les catholiques osassent bien se défendre contre leurs outrages. Leur mécontentement s'accrut par une autre cause. Sous les règnes faibles et troublés de Rodolphe et de Mathias, l'opposition, dans les états et les villes où dominaient les protestants, avait acquis la prépondérance sur le gouvernement impérial: ceux de Prague avaient extorqué à Rodolphe une lettre qui leur accordait de nouveaux priviléges. La nécessité força l'empereur et ses conseillers à prendre des mesures pour changer cet état de choses, et pour rendre au gouvernement son influence nécessaire. A l'avènement de Ferdinand à la couronne de Bohême, il y eut plus d'ensemble, de fermeté et de suite dans ces mesures. En novembre 1617, une instruction adressée au juge royal de Prague le nomma président perpétuel du conseil de ville, et établit que, sans sa permission et présence, ni ce conseil, ni aucune assemblée civile ou ecclésiastique ne pouvait être convoquée ni tenue. Les comptes de toutes les églises et de tous les hôpitaux devaient être rendus en sa présence; il devait s'informer de toutes les fondations, et savoir à quoi les revenus étaient employés. Comme, dans la ville de Prague, il y avait journellement, principalement sur les ponts, une foule de mendiants, hommes et femmes, jeunes et vieux, dont plusieurs pouvaient gagner leur pain, cette multitude désœuvrée était une matière toujours prête aux émeutes : le juge eut ordre d'aviser, avec le capitaine, à ce que les mendiants valides fussent appliqués au travail, et les autres placés dans des hospices. Le conseil de ville, où les catholiques romains formaient environ la moitié, publia cette instruction, en ajoutant que désormais on ne devait

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