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Un autre homme du même caractère se posa plus tard comme réformateur de la réforme, et n'y réussit pas mieux. Spener, né l'an 1655 à Ribeauviller en Alsace, et mort à Berlin l'an 1705, après avoir été employé successivement comme prédicant ou comme professeur à Strasbourg, à Francfort, à Dresde, et finalement à Berlin. Comme Jacob Boehm, il avait le zèle de la piété, mais sans la règle directive que Dieu nous a donnée dans son Eglise de là, dans ses écrits, plus d'une rêverie, entre autres celle des millénaires. Comme Jacques Boehm, il entreprit de réformer l'enseignement de la théologie luthérienne, et de la ramener de l'esprit de dispute à l'esprit de piété; mais, après bien des efforts, des travaux, des contradictions pour réformer la réforme, il ne réussit qu'à former une secte de plus, celle des Piétistes, qui subsiste encore, et qui n'a fait qu'augmenter la confusion dans le protestantisme '. Le dévergondage des écoles protestantes, la démoralisation irremédiable des pasteurs et des peuples protestants produisirent un heureux effet sur quelques individus. Ce hideux spectacle les ayant remplis de dégoût, ils en cherchèrent le remède, et le trouvèrent dans l'Eglise catholique. Là, notamment en Espagne et en Italie, florissaient tout ensemble la science, la piété, la littérature, les beaux-arts et la politesse. Le protestant Menzel met de ce nombre l'historien Laurent Surius, né à Lubeck, et que déjà nous avons appris à connaître et à aimer sous le froc de chartreux. La plupart des auteurs disent, en effet, que ses parents avaient embrassé la réforme de Luther; mais Hartzheim, dans sa Bibliothèque de Cologne, dit qu'il fut élevé dans les principes de l'Eglise catholique, que son père ne cessa jamais de professer. Juste Lipse, célèbre philologue et savant polygraphe, né l'an 1547 à Isque, village à égale distance entre Bruxelles et Louvain, et mort en cette dernière ville l'an 1606, enseigna la littérature et l'histoire, avec les plus grands applaudissements, dans les plus célèbres universités des Pays-Bas et de l'Allemagne. Professeur à Iéna, puis à Leyde, il se montra luthérien dans la première de ces villes, et calviniste dans la seconde; mais, en 1591, il eut le bonheur de se réconcilier avec l'Eglise catholique, à Mayence, par le ministère des Jésuites, et de donner des preuves de sa foi, jusqu'à sa mort, par divers écrits. Gaspard Schopp, en latin Scioppius, latiniste d'une prodigieuse érudition et fécondité, mais qui se nuisit beaucoup par son caractère satirique, naquit dans le Palatinat l'an 1576, abjura le calvinisme vers la fin du seizième siècle, et publia contre les protestants une

'Biogr. univ., t. 43. Spener.

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foule de livres qui lui attirèrent toute sorte de faveurs et de distinctions de la part des Papes, des rois d'Espagne et de l'archiduc Ferdinand de Gratz. Il mourut à Padoue l'an 1649. .

Aux savants du dix-septième siècle qui revinrent du protestantisme à l'Eglise catholique, appartiennent encore Gaspard Uhlenberg de Lippstadt, qui traduisit en allemand la Vulgate sur la correction sixtine; Josse Coccius de Bielefeld; Barthold Nihusius de Wolpe, dans le Brunsvick; Ulric Hunnius, fils du célèbre théologien luthérien Egidius Hunnius, à Wittemberg; Fabius Quadrantius; Eberhard Neidhardt, et Vitus Eberman 1.

Nous avons vu le Palatinat, une fois apostat de la foi de ses pères, passer successivement, comme une girouette, du lutheranisme au calvinisme, du calvinisme au lutheranisme, suivant le vent de la cour, l'ordre de l'électeur palatin. En 1613, ce pays apprit le retour inattendu d'un membre de la famille régnante à la foi catholique. Le comte palatin de Neubourg, Wolfgang Guillaume, étant sur le point d'épouser une princesse de Bavière, la sœur du duc Maximilien, étudia sérieusement la foi de l'Eglise universelle, et dans des livres et dans des conférences orales, en reconnut la vérité, l'embrassa d'abord secrètement, pour ne pas accabler son vieux père luthérien par cette nouvelle subite, mais l'y préparer avec ménagement. En effet, le vingt-cinq mai 1614, il se déclara publiquement catholique à Dusseldorf, après avoir instruit son père du fait et des motifs de sa conversion, avec les vœux les plus ardents pour que Dieu lui fit la grâce de faire de même. Le père mit vainement tout en œuvre pour faire repentir son fils, et mourut au mois d'août de la même année 1614. La foi du comte Guillaume fut mise à une autre épreuve. En 1621, son confesseur, qui pourtant était un Jésuite, le quitta pour se faire luthérien et prendre femme. Le prince n'en persévéra pas moins avec zèle, sans molester ses sujets luthériens et calvinistes, mais en exigeant la tolérance pour les catholiques. Il fut ainsi, dans la dynastie palatine, la tige de la branche catholique de Neubourg 2.

Un autre jeune prince avait donné le premier l'exemple aux personnes de son rang de revenir des nouveautés protestantes à l'ancienne Eglise c'était le margrave Jacob de Baden-Dourlac. Ses qualités éminentes, ses talents et la haute influence qu'il s'était

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' Menzel, t. 6, p. 16. – Galerie des personnes les plus célèbres qui revinrent de l'église EVANGÉLIQUE à l'Eglise catholique, pendant les siècles 16, 17 et 18, publiée par Philippe Von Ammon. Erlangen, 1833 (en allemand). — 2 Ibid., c. 4, p. 65 et seqq.

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acquise de bonne heure dans les affaires publiques lui promettaient une carrière brillante. Ses liaisons avec des princes catholiques, surtout son intimité avec son savant médecin, qui du luthéranisme avait passé au calvinisme, et du calvinisme à l'Eglise universelle inspirèrent au margrave des doutes sur la légitimité du culte protestant. Toutefois, pour ne point agir à la légère dans une affaire aussi grave, il procura, au mois de novembre 1589, une conférence religieuse à Bade, entre trois théologiens wurtembergeois d'une part, et Pistorius, Zéhender, prédicateur de la cour badoise, et quelques prêtres catholiques d'autre part. André, l'un des théológiens wurtembergeois, et le médecin Pistorius ouvrirent la conférence, sous la présidence alternative du duc Frédéric de Wurtemberg et du margrave, par une dispute sur le caractère de la véritable Eglise. Mais le margrave leva le colloque à la troisième séance, parce que les parties entrèrent, sur la forme de leurs arguments, dans une contestation qui ne laissait prévoir aucune fin, et ne promettait aucun résultat pour le but du margrave, de savoir au juste ce que c'est que l'Eglise. Cette non-réussite n'empêcha pas le prince de réunir, l'année suivante, plusieurs théologiens catholiques et protestants à Emmending, dans le comté de Hochberg, pour leur faire discuter cette question, si l'Eglise est constamment visible, et où elle était avant Luther : toutefois, Pistorius ne devait pas y prendre part. Maitre Pappus, de Strasbourg, portait la parole pour les protestants. La question fut examinée sous toutes les faces pendant quatre jours, en sept séances, sans que les orateurs pussent s'accorder. Quelques semaines après ce colloque, le margrave se réunit formellement à l'Eglise, en faisant sa profession de foi dans le monastère cistercien de Tennebach, près Fribourg, en présence de plusieurs prélats et théologiens catholiques, entre les mains du Jésuite Busée. Zehender, prédicateur de sa cour, suivit son exemple. C'était le premier exemple d'un prince né dans le protestantisme, qui revenait si solennellement à l'Eglise catholique. C'était la première fois que le principe de la pacification religieuse, qui faisait dépendre de la volonté du souverain la croyance des sujets, allait se tourner contre un pays protestant et son clergé. Les fauteurs de la réformation en avaient profité pour abolir dans leurs domaines l'ancien culte, qui leur déplaisait, et pour refuser la tolérance à ceux qui y demeuraient constamment fidèles. Le margrave de Bade procéda de la même manière, et avec le même droit, contre le nouveau culte, qui lui était devenu odieux. Il en congédia les ministres, en leur conservant leur traitement pendant trois mois encore; ce qui, observe le protestant Menzel, était peu,

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mais toujours beaucoup plus que n'avaient à espérer alors les ministres arbitrairement disgraciés par les princes de leur communion. Il pria le cardinal André d'Autriche, évêque de Constance, d'envoyer son évêque suffragant pour dédier de nouveau les églises rendues à l'ancien culte. La solennité devait commencer le huitième d'août, par l'église de la cour, à Emmending. Les princes de Bavière, grandement réjouis de cette conversion, avaient envoyé des ornements et des reliques. On avait fait de grands préparatifs pour cet heureux jour, lorsqu'on apprit que le margrave était tombé dangereusement malade. Il prit néanmoins sur lui d'assister à la cérémonie. Quelques jours après, la maladie ne laissa plus d'espoir. Alors il dit à un de ses serviteurs qui était demeuré protestant: Mon cher, prends exemple sur moi, ne délibère pas si long-temps, viens bientôt. Vois comme Dieu me punit avec cette maladie temporelle, de ce que j'ai tardé si long-temps, et que je n'ai pas confessé mon christianisme aussitôt dès le commencement. Cet excellent prince rendit son âme à Dieu le dix-sept août 1590 '. Nous ne doutons pas que ce qu'il n'a pu faire sur la terre, il n'y ait contribué du haut du ciel : de ramener à la vraie foi catholique la grande majorité du peuple de Bade, et de l'y maintenir jusqu'à nos jours, malgré des obstacles de plus d'un genre.

Dans le volumé précédent, nous avons vu deux princes amis tous deux élèves des Jésuites, Maximilien de Bavière et Ferdinand d'Autriche, honorer la vraie foi par leurs talents et leurs vertus, et la rétablir glorieusement dans leurs domaines. Ce que Ferdinand a fait, comme archiduc, en Styrie, en Carinthie et le Craïn, il le fera, comme roi et comme empereur, dans l'Autriche, dans la Bohême et dans ses autres principautés héréditaires.

Nous avons vu l'empereur Rodolphe II, occupé avec Tycho-Brahé et Kepler à contempler les astres, oublier les affaires de l'empire. Són frère Mathias en profita pour le contraindre à lui céder la Hongrie, l'Autriche, la Moravie et la Bohême. Cette conduite si peu fraternelle ne lui porta point bonheur, A la vérité, son frère étant mort le vingt janvier 1612, il fut élu empereur à l'unanimité; mais c'est que les électeurs ne trouvaient pas d'autre candidat. Encore lui imposèrent-ils pour condition, qu'il ne donnerait d'emploi à aucun étranger, ni même à aucun Allemand qui ne fût de haute naissance. Prenant l'unanimité de son élection pour un signe de dévouement à sa personne, il se flatta de diriger à son gré la diète de 1613, et d'en obtenir facilement l'assistance nécessaire pour faire

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505 la guerre aux Turcs et réformer les abus de l'empire. Il y fut bien trompé. La ligue ou l'union protestante, qui prit alors le nom de princes correspondants, et se composait principalement de calvinistes, refusa tout concours aux mesures à prendre contre les Turcs et pour rétablir une bonne justice dans l'empire, si on n'accordait aux protestants de nouvelles concessions: la principale était que, dans les diètes et les tribunaux de l'empire, on ne s'en rapporterait plus à la majorité des voix ; en d'autres termes, qu'on ne reconnaîtrait plus la base antique de l'empire allemand, ainsi que de toute société humaine, mais qu'on lui donnerait pour fondement le principe même des révolutions et de l'anarchie. Au vrai, la ligue protestante était le parti révolutionnaire et anarchiste, dont les révolutionnaires et les anarchistes plus modernes ne sont que les enfants et successeurs naturels. La ligue protestante réclamait une autre concession non moins grave, l'abolition du droit de réservc. Voici ce que c'était. Dans les pacifications de Passau et d'Augsbourg, sous Charles-Quint, entre les catholiques et les luthériens ou protestants d'Augsbourg, il fut convenu que chaque parti resterait en possession de ce qu'il occupait alors; mais on y ajouta cette clause ou réserve formelle que les protestants n'envahiraient pas davantage ce que les catholiques possédaient encore, et que si désormais. un prélat ou bénéficier catholique passait au protestantisme, il perdrait par là même tout droit aux priviléges et biens de sa prélature. Or, contrairement à cette clause ou réserve, les protestants avaient confisqué sur les catholiques plus d'un évêché, plus d'un abbaye, plus d'un bénéfice depuis la pacification d'Augsbourg. Ils s'y prenaient ordinairement de la manière suivante: ils faisaient élire archevêque, évêque, abbé, prévôt un de leurs fils, qui faisait semblant ou non d'être catholique, et qui, après quelque temps, se déclarait luthérien ou calviniste, avec partie ou totalité de son cha~ pitre. D'après la clause ou réserve de la pacification, la prélature et ses biens devaient retourner aux catholiques. Voilà pourquoi la ligue protestante demandait l'abolition de ce droit de réserve if est naturel à un voleur de n'aimer pas l'obligation de restituer. En un mot, ces honnêtes princes de la réforme réclamaient pour eux le droit, non-seulement de garder ce qu'ils avaient volé avant la pacification d'Augsbourg, mais encore de voler sans réserve ni terme. Les communistes modernes, les larrons de toute espèce ne demandent que cela..

Encore la pacification d'Augsbourg n'avait-elle stipulé qu'én faveur des protestants de la confession d'Augsbourg; et non des calvinistes ou autres sectes nouvelles. Ces derniers n'avaient donc

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