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avaient parmi les idolâtres ne s'avisassent pour les engager à donner au moins quelque légère marque, quelque signe équivoque de soumission aux volontés du roi. Ce qui les choquait le plus, c'est que les femmes de ces deux gentilshommes et la mère de Taquenda étaient les premières à les exhorter à se tenir fermes dans la foi qu'ils avaient embrassée. Ils en informèrent le roi, qui ordonna sur-le-champ que les deux chrétiens fussent conduits à une bour-. gade voisine, nommée Cunamoto, pour y avoir la tête tranchée, et que les trois femmes fussent mises en croix.

Minami n'eut pas plus tôt vent de cet ordre, que, sans attendre qu'on le lui signifiât, il partit pour Cunamoto. Il alla droit en arrivant chez le gouverneur, qui était son ami, et qui fit encore bien des efforts pour ébranler sa constance; mais ils furent inutiles: ce qui affligea sensiblement cet officier. Il invita son ami à dîner, et, après le repas, l'ayant tiré à quartier, il lui montra l'arrêt de sa condamnation, signé de la main du roi même. Vous pouvez encore conjurer l'orage, ajouta-t-il, mais il n'y a pas un moment à perdre. Minami lui répondit qu'il aurait bien souhaité que le roi, son seigneur, mit sa fidélité à une autre épreuve, qu'il était prêt à sacrifier ses biens et sa vie même pour son service; mais que son premier maître était Dieu, qu'il lui devait l'obéissance préférablement à tous, et qu'il regardait comme le plus grand bonheur qui lui pût arriver, de répandre son sang pour la confession de son nom. Le gouverneur comprit qu'il insisterait en vain; il fit conduire son ami dans une chambre, où il lui fit couper la tête. Ce généreux chrétien mourut le huitième de décembre 1602, n'étant que dans sa trente-cinquième année.

Le même jour, le gouverneur partit pour Jateuxiro, après avoir fait savoir à Taquenda qu'il allait le trouver, et qu'il serait bien. aise d'avoir avec lui un entretien en présence de sa mère et de sa femme. Il se rendit en effet chez lui, et dès qu'il l'aperçut, les larmes lui vinrent aux yeux. Taquenda, attendri, ne put retenir les siennes, et ils demeurèrent quelque temps sans pouvoir se parler. La mère de Taquenda, qui avait reçu au baptême le nom de Jeanne, étant survenue: Madame, lui dit le gouverneur, je dois aller incessamment trouver le roi, et lui rendre compte de la disposition où j'aurai laissé votre fils; je compte assez sur votre prudence pour me tenir assuré que vous lui donnerez les avis salutaires dont il a besoin, et que vous viendrez à bout de vaincre son obstination à persister dans des sentiments que le prince réprouve. -Monsieur, reprit la vertueuse dame, je n'ai rien autre chose à dire à mon fils, sinon qu'on ne peut acheter trop cher un bonheur

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Mais, répartit le gouverneur, s'il n'obéit au roi, vous
Plût au Dieu que

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aurez le chagrin de lui voir trancher la tête. j'adore, répliqua la vertueuse mère, que je mêle mon sang avec le sien! Si vous voulez bien, monsieur, vous employer pour me procurer cet avantage, vous me rendrez le plus grand service que je puisse recevoir du meilleur de mes amis.

Le gouverneur, fort surpris de cette réponse, s'imagina qu'il viendrait plus aisément à bout de réduire son ami, s'il le séparait d'avec cette femme; il le fit conduire chez un païen, où on lui livra les plus violents combats, mais ce fut inutilement. Enfin le gouverneur lui envoya sur le soir un de ses parents, pour lui signifier l'arrêt de sa mort, et pour en être lui-même l'exécuteur. Taquenda reçut la sentence en homme qui l'attendait avec la plus vive impatience; il se retira un moment pour prier; il passa ensuite dans l'appartement de sa mère, puis dans celui de sa femme, qui avait nom Agnės, pour leur faire part de l'heureuse nouvelle qu'il venait de recevoir. Ces deux héroïnes, qui étaient au lit, se levérent sur l'heure, et, sans qu'il parût sur leur visage la moindre émotion, se mirent à préparer elles-mêmes toutes choses pour l'exécution dont elles devaient être témoin, suivant l'arrêt. Taquenda, de son côté, mettait ordre à ses affaires domestiques avec la même tranquillité; et ce dont on se serait le moins douté,, si on fût alors entré dans cette maison, c'eût été la scène tragique qui allait s'y passer.

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Tout étant prêt, Agnès s'approcha de son époux, se jeta à ses pieds et le conjura de lui couper les cheveux, sa résolution étant prise, disait-elle, si on ne la faisait point mourir après lui, de renoncer au monde. Taquenda en fit quelque difficulté ; mais sa mère le pria de donner cette dernière satisfaction à son épouse, et il le fit. Quelques moments après, un gentilhomme nommé Figida, qui avait depuis peu renoncé au christianisme, entra chez Taquenda sur le bruit de sa condamnation, et comme il n'avait jamais bien connu combien il est doux de mourir pour son Dieu, il fut extrêmement surpris de la joie qui éclatait partout dans une maison qu'il avait cru trouver dans le deuil et dans les larmes ; mais bientôt son étonnement fit place à des impressions plus salutaires pour lui. Il ne put voir sans être ému jusqu'au fond de l'âme, des femmes en prières, des domestiques en mouvement, des chrétiens occupés à consoler ceux qui croyaient avoir perdu toute espérance de mourir pour Jésus-Christ, et à féliciter les autres de se trouver au comble de leurs vœux, et Taquenda se disposant au supplice comme à un véritable triomphe. Il courut embrasser ce généreux confesseur, il

loua son courage, se reprocha son infidélité et promit de la réparer, quoi qu'il lui en dût coûter. Le saint martyr remercia le Seigneur de lui avoir donné cette consolation avant.sa mort, et, après avoir achevé ses prières, embrassé sa mère et sa femme, congédié et récompensé ses domestiques et s'être recueilli quelques moments au pied d'un crucifix, il présenta sa tête à l'exécuteur, qui la lui trancha d'un seul coup, le neuvième de décembre, deux heures avant le jour.

Les deux dames, qui avaient eu le courage d'être jusqu'au bout spectatrices de cette sanglante tragédie, eurent encore la force de prendre entre leurs mains la tête du martyr, de l'embrasser, et, en la présentant au ciel, de conjurer le Seigneur, par les mérites d'une mort aussi précieuse, d'agréer aussi le sacrifice de leur vie. Elles passèrent ensuite dans un cabinet, où elles employèrent tout le jour en prières, pour demander à Dieu la grâce du martyre. Sur le soir, elles furent agréablement surprises de voir entrer chez elles la veuve de Minami, qui se nommait Madeleine, avec un enfant de sept à huit ans, nommé Louis, fils de son frère, qu'elle et son mari avaient adopté, parce qu'ils étaient sans héritier et sans espérance d'en avoir jamais. Madeleine, en abordant les deux dames, leur dit qu'elles devaient être toutes trois crucifiées cette nuit-là même, et l'enfant aussi ; ce qui les jeta dans des transports de joie si extraordinaires, qu'elles en furent quelque temps hors d'elles-mêmes. Revenues de cette espèce de ravissement, elles éclatèrent en actions de grâces; c'était à qui releverait davantage la gloire du martyre. Le petit Louis était dans un contentement qui rejaillissait sur son visage, et la grâce suppléant à la raison, cet enfant parlait d'une manière ravissante du bonheur qu'il y a de répandre son sang pour Jésus-Christ.

On attendit, pour les mener au supplice, que le jour fût entièrement baissé, et alors on les mit dans des litières, pour leur épargner la peine du voyage et la honte d'être exposées aux insultes de la populace. C'était peut-être la première fois qu'on punissait de ce supplice des personnes de cette qualité; mais les servantes de Jésus-Christ ne se plaignirent que des ménagements qu'on eut pour elles, et la mère de Taquenda demanda en grâce qu'on la clouât à la croix, pour être, disait-elle, plus semblable à son divin Sauveur; mais les bourreaux lui répondirent qu'ils n'en avaient point d'ordre, et que cela ne dépendait pas d'eux. Ils se contentèrent donc de la lier, selon la coutume, et ils commencèrent par elle; ils l'élevèrent ensuite, et cette illustre matrone, voyant devant elle un assez grand peuple qui, malgré l'obscurité de la nuit, était accouru

à ce spectacle, parla avec beaucoup de force sur la fausseté des sectes du Japon. Elle n'avait point encore fini, lorsqu'on lui porta un grand coup de lance, qui la blessa, mais légèrement ; le bourreau redoubla sur-le-champ, et lui perça le cœur.

Louis et sa mère furent ensuite liés et élevés vis-à-vis l'un de l'autre. Tandis que Madeleine exhortait son fils, en qui on ne remarquait d'autre mouvement que ceux d'une piété angélique, un bourreau, le voulant percer, le manqua aussi, le fer n'ayant fait que glisser. Dans l'appréhension où fut sa mère qu'il ne s'effrayât, elle lui cria d'invoquer Jésus et Marie. Louis, aussi tranquille que si rien ne fût arrivé, fit ce que sa mère lui suggérait : aussitôt il reçut un second coup, dont il expira à l'instant ; et le soldat n'eut pas plus tôt retiré le fer de la plaie qu'il avait faite au fils, qu'il l'alla plonger dans le sein de la mère.

*La vertueuse Agnès restait seule ; sa jeunesse, sa beauté, qui était ravissante, sa douceur et son innocence attendrirent jusqu'aux exécuteurs. Elle était à genoux en oraison au pied de sa croix, et personne ne se présenta pour l'y attacher; elle s'en aperçut, et, pour engager les soldats à lui rendre ce service, elle s'ajusta ellemême sur ce bois fatal le mieux qu'il lui fut possible; mais la grâce et la modestie qu'elle fit paraître dans cette action achevèrent de percer les cœurs les plus insensibles. Enfin, quelques misérables, poussés par l'esprit du gain, lui servirent de bourreaux ; et comme ils ne savaient pas bien manier la lance, ils lui portèrent quantité de coups avant que de la blesser à mort. Tout le monde souffrait à la vue de cette boucherie, et peu s'en fallut qu'on ne se jetât sur ces malheureux pour les mettre en pièces. Elle seule paraissait insensible, et elle ne cessa de bénir le ciel et de prononcer les noms salutaires de Jésus et de Marie, qu'au moment qu'elle fut atteinte

au cœur.

Le nouveau roi de Fingo s'était persuadé que de si sanglantes exécutions auraient disposé les chrétiens à déférer à ses volontés ; il s'aperçut bientôt qu'elles avaient produit un effet tout contraire. Mais ce qui le chagrina davantage, ce fut que le parent de Ta- · quenda, qui avait décollé ce généreux martyr, fut si touché de ce qu'il avait vu, qu'il demanda et reçut le baptême ; il porta ensuite à l'évêque du Japon le sabre qu'il avait teint du sang du martyr, et lui protesta que son unique désir était de subir un pareil sort. On demanda au roi la permission d'enterrer les quatre corps qui étaient restés sur les croix, et il la refusa; de sorte qu'on fut obligé d'en recueillir les ossements à mesure qu'ils tombaient: on les mit dans des caisses séparées et on les envoya à Nangazaqui, où on leur

TOME XXV.

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rendit, par ordre de l'évêque, tous les honneurs qui leur étaient dus. Le prélat fit aussi dresser des actes juridiques de ce martyre, et les envoya au souverain Pontife '..

Il y eut encore d'autres martyrs, et dans le Fingo, et dans le royaume de Naugato. Le premier de ces rois était un apostat ; il y en eut encore d'autres qui suivirent son exemple. Mais ce qu'il eut de plus extraordinaire, Joscimon, roi de Bungo, deux fois apostat et premier persécuteur de l'église du Japon, finit par se convertir, faire pénitence et mourir en saint, l'an 1605. Il fut suivi de près à la gloire par une de ses nièces, qui nous est représentée, dans les mémoires de cette année, comme un aussi grand prodige d'innocence que son oncle l'avait été de la pénitence chrétienne, et comme une de ces âmes précieuses que le Seigneur prend plaisir de montrer de temps en temps à la terre, pour faire éclater en elles toutes les richesses de sa grâce. Cette jeune princesse portait le nom de Maxence, qu'une de ses tantes avait déjà rendu cher et respectable aux fidèles du Japon. Prévenue des plus abondantes bénédictions du ciel dès sa plus tendre enfance, elle avait conçu dès-lors que Dieu voulait seul posséder son cœur, et elle le lui avait consacré par le vœu de virginité. Sa fidélité à se conserver pure des moindres défauts l'avait élevée à la plus éminente sainteté, et l'exemple de ses vertus contribuait merveilleusement à-animer la piété des fidèles. Sa mort, qui arriva dans la fleur de son âge, répondit à sa vie, et fut avancée par ses pénitences. Dans sa dernière maladie, la joie de se voir sur le point d'être réunie à son céleste époux lui faisait oublier ses douleurs, quoique vives et longues, et le dernier moment fut pour elle un avant-goût de ces torrents de délices que le Seigneur réserve à ceux qui n'ont point mis de bornes à leur amour pour lui 2.

A la fin de 1605, on comptait au Japon dix-huit cent mille chrétiens, et ce nombre augmentait tous les jours. L'année suivante, l'évêque du Japon, Louis Serqueyra, eut une audience favorable du tuteur impérial, Gixasu, qui avait alors le titre de cubosama. Il visita les provinces où il y avait un plus grand nombre de chrétiens. Les païens mêmes semblèrent le disputer à ceux-ci, dans les marques qu'ils lui donnèrent de leur affection pour le christianisme et de leur estime pour sa personne; mais nul ne se distingua davantage que le nouveau roi de Buygen, qui pourtant avait eu la faiblesse d'apostasier. Ayant su que le prélat devait passer par Cocura, sa capitale, il s'y trouva avec une nombreuse cour, et l'évêque lui

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