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S VIC.

Etat de l'Allemagne, Guerre de trente ans. Paix de Westphalie. Conversions de protestants.

Cette branche notable du genre humain, naturellement si religieuse, únie et vivifiée par la foi catholique, aurait pu facilement acclimater la civilisation chrétienne parmi les peuples du Nord et de l'Orient, et contribuer ainsi puissamment à réunir toutes les branches de la famille humaine dans l'unité divine de la même foi, de la même espérance et de la même charité. Au lieu de cette œuvre glorieuse, nous l'avons vue en commencer et poursuivre une toute contraire; briser sa propre unité nationale et religieuse, pour brişer et morceler de même toute l'humanité. Au lieu d'une Allemagne, nous avons vu deux Allemagnes hostiles: l'Allemagne catholique, fidèle à elle-même et à la foi de ses pères; l'Allemagne apostate, reniant son nom et sa foi paternelle de catholique pour prendre le nom et les opinions d'un moine défroqué et marié. Nous avons vu cette Allemagne monachale se diviser en luthérienne, du nom de ce moine apostat, et en zwinglienne ou calviniste, de Zwingle, curé apostat de Suisse, ou de Calvin, curé apostat et fugitif de France. Nous avons vu ces deux Allemagnes protestantes, vers la fin du seizième siècle, protester l'une contre l'autre avec plus de violence que contre l'Allemagne catholique, s'anathématiser, se poursuivre, se torturer réciproquement, avec plus de barbarie que n'en montrèrent plus tard les bourreaux de la révolution française.

Cette division de l'Allemagne protestante ne cessa point au commencement du dix-septième siècle. Au contraire, les calvinistes de Hollande se divisèrent encore entre eux, et cela jusqu'à s'anathématiser et se tuer les uns les autres. Nous avons vu que Calvin détruisait le libre arbitre de l'homme, faisait Dieu auteur du péché et soutenait que la foi justifiante ne se perdait point au milieu des plus grands crimes. Avec le temps, quelques calvinistes eurent horreur de ces excès et revinrent à des opinions plus modérées, qui se rapprochaient de la doctrine catholique. Leur principal docteur fut Jacques Arminius, ministre d'Amsterdam, puis professeur à l'académie de Leyde: de là, ces calvinistes modérés furent appelés Arminiens et aussi Remontrants d'une remontrance où ils demandaient la liberté pour leurs opinions et pour celles de tout le monde. Dans leur nombre, on distinguait Barneveldt, grand pensionnaire

ou premier magistrat civil de Hollande; Hogerbets, magistrat de Leyde, et le savant Grotius, syndic de Rotterdam. Les calvinistes rigides formèrent contre eux un parti nombreux et formidable: leur principal docteur était François Gomar, professeur de théologie à Leyde de là le nom de Gomaristes et aussi de ContreRemontrants. Ils soutenaient les impiétés et les blasphêmes de Calvin dans toute leur crudité. Une lutte s'ensuivit entre les deux partis, qui faillit dégénérer en guerre civile. Les Gomaristes avaient pour eux Maurice de Nassau, stathouder ou capitaine général de la Hollande, qui trouvait leur doctrine plus propre à seconder son ambition militaire. Tout d'un coup, l'an, 1617, il fait arrêter et mettre en jugement Barneveldt, Hogerbets et Grotius: le premier eut la tête tranchée, le treize mai, à l'âge de soixante-douze ans, après avoir été le principal fondateur de la nouvelle république ; les deux autres furent condamnés à une prison perpétuelle.

Après cés arguments à coups de hache et par la main du bourreau, les Gomaristes s'assemblèrent en synode à Dordrecht le quatorze novembre 1618, y condamnèrent les Arminiens et confirmèrent tous les blasphêmes de Calvin, entre autres que Dieu réprouve les pécheurs par un décret absolu et immuable, indépendamment de leur impénitence prévue; que Dieu ne veut pas sincèrement le salut de tous les hommes; que Jésus-Christ est mort pour les seuls prédestinés; qu'à eux seuls it donne la foi justifiante, qu'elle est inamissible pour eux malgré tous les crimes, et qu'on ne peut résister à la grâce. Enfin les Gomaristes exilèrent les prédicants des Arminiens, destituèrent leurs savants et dispersèrent leur assemblée par la violence et avec effusion de sang1.

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Au synode de Dordrecht avaient assisté les députés calvinistes de plusieurs pays, notamment du Palatinat, de la Hesse, des Suisses et de Genève. Les décisions du synode hollandais exaspérèrent les théologiens luthériens d'Allemagne; ils traitaient de blasphême la doctrine de Calvin, et de tyran le Dieu des Calvinistes, qui condamne les hommes pour le mal qu'il opère lui-même en eux, et qu'ils n'ont pu éviter. Mais, comme l'observe fort judicieusement le protestant Menzel, les docteurs luthériens avaient tort de traiter les calvinistes avec tant de rigueur, puisque Luther commença par les mêmes blasphêmes, et qu'il ne les révoqua jamais 2. La réflexion est bonne : les luthériens ne la firent ni avant ni après. Ainsi, l'astronome Kepler, étant professeur à Linz, fut exclus de la communion par. le pasteur luthérien, parce qu'il refusait d'anathématiser les cal

* Menzel, t. 6, p. 123 et seqq. - Bossuet. Variat., 1. 14.

TOME XXV.

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2 Menzel, p. 125.

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vinistes. Ayant réclamé auprès du consistoire luthérien de Stuttgard, il reçut pour décision qu'il devait s'en rapporter à l'autorité de l'Eglise. Ils ne voyaient pas, ces bons docteurs, que c'était condamner tout le lutheranisme, dont le principe est de s'en rapporter à soi-même, et non pas à l'Eglise de Dieu, toujours subsistante. Il était dangereux pour un prédicant luthérien de parler de vertu et de bonnes œuvres, ét d'exhorter ses auditeurs à faire le bien, comme s'ils y pouvaient quelque chose : c'était se rendre suspect et s'exposer à des persécutions 2.

L'électeur luthérien de Brandebourg, Jean Sigismond, s'étant déclaré calviniste ou réformé l'an 1613, excita le mécontentement des prédicants et autres luthériens, tant du Brandebourg, dont la capitale est Berlin, que de la Prusse, dont la capitale est Koenigsberg on prêcha contre lui et contre sa profession de foi dans les chaires, il y eut même un soulèvement à Berlin au mois d'avril 1615; on lui reprochait, comme une apostasie, d'avoir quitté le luthéranisme pour le calvinisme : tout cela, bien à tort. Car, comme il en fit l'observation, si son grand-père Joachim II et son frère Jean, malgré le serment qu'ils avaient fait à leur père Joachim' Ier, de demeurer fidèles à la foi catholique, ont pu se faire luthériens, pourquoi lui-même, malgré son serment de demeurer luthérien, ne pouvait-il pas se faire calviniste? D'ailleurs le principe fondamental du protestantisme n'est-il point que chacun n'a d'autre règle de foi que son propre jugement? Enfin, autre inconséquence, les protestants reconnaissaient à chaque souverain le droit de réformer la croyance de ses sujets sur la sienne: plus d'un souverain protestant avait ainsi contraint ses sujets catholiques à s'expatrier ou à renier la foi de leurs pères. Ce que l'on approuvait dans les autres, pourquoi le refuserait-on au souverain du Brandebourg? Cependant il voulait bien ne pas user de son droit, mais se contenter de pratiquer son culte dans l'intérieur du palais. Il y eut bien de la peine, sa propre femme s'étant mise contre lui : il indiqua un colloque à Berlin pour ouïr les remontrances, mais sans succès; il punit ou réprimanda quelques prédicants, et mourut prématurément en 1619, âgé de quarante-huit ans, après avoir remis le gouvernement à son fils Georges-Guillaume, qui, quoique calviniste lui-même, prit un catholique pour principal ministre, le comte Adam de Schwartzenberg, que les luthériens voyaient plus volontiers à la tête du gouvernement qu'un calviniste ou réformé 3. Nous avons vu dans l'Eglise catholique comment, d'après les dé

'Menzel, t. 6, p. 10–13.

Ibid.,

•, p. 13. —3 Ibid., c. 5, 6, 7, 8.

499 crets du concile de Trente, s'établirent les séminaires pour l'éducation du clergé, sous la direction des saints Charles Borromée, François de Sales, Vincent de Paul: quelle activité déployaient les souverains Pontifes pour envoyer des missionnaires apostoliques jusqu'aux extrémités de la terre. Les mouvements du protestantisme, observe le protestant Menzel, n'avaient point pour but de propager la foi ni les mœurs, mais de s'assujétir à soi-même les dogmes, d'en tirer des formules magiques, dans un latin particulier, entendu des initiés seuls, afin de dominer sur son propre parti, et triompher du parti contraire. Les écoles et les académies étaient moins calculées pour former des pasteurs et des consola→ teurs chrétiens du peuple, que pour maintenir et satisfaire une corporation théologique qui n'avait d'autre fin qu'elle-même, ou certains intérêts politiques du temps. Les colléges où l'on occupait six ou sept ans les futurs ecclésiastiques à développer la doctrine traditionnelle de l'église luthérienne, à résoudre les questions captieuses, à réfuter tous les systèmes et propositions contraires : ces colléges étaient les résidences d'une férocité et les asiles d'un libertinage dont s'éloignait avec effroi la sensibilité morale, non moins que le sentiment vulgaire des convenances. Et dans les écoles et dans les universités allemandes, les anciens étudiants obligeaient les nouveaux à porter des habits déguenillés, ils leur remplissaient la bouche avec de la bouillie faite de boue et de morceaux de pots cassés, les contraignaient à leur nettoyer leurs souliers et leurs bottes, et, pour salaire, à imitér l'aboiement des chiens, le miaulement des chats et à lécher leurs crachats sous la table. Les princes eurent beau proscrire ces mœurs de sauvages, tant par des ordonnances générales de la diète que par des édits particuliers, elles n'en continuèrent pas moins. Plus d'un nourrisson des muses dut subir l'initiation suivante: Le nettoyeur d'écritoires, ayant un chaudron pour plat à barbe, une brique pour savon, le rasait ou plutôt l'écorchait avec une vieille épée rouillée, en guise de rasoir: ou bien on le polissait sur une meule, et on lui enfonçait un grand entonnoir dans les oreilles. Les futurs pasteurs des âmes, les futurs prédicateurs de l'Evangile couraient les rues avec de longues armes meurtrières, le bas du corps indécemment débraillé, avaient leur gîte habituel dans les tavernes, se chamaillaient dans des duels, et les quatre nations de Leipsick se livraient des combats en forme. C'est ainsi que le protestant Menzel nous dépeint les mœurs des séminaristes protestants, d'après les historiens et les ordonnances authentiques de l'époque 1.

'Menzel, t. 6, p. 6-10; t. 8, p. 455.

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[Livre 87. Un mandement du recteur et des professeurs d'Iéna, deux juillet 1661, contient encore quelque chose de pire. Parmi ce que les jeunes étudiants avaient à souffrir des vieux, ou y voit qu'ils étaient outragés, maltraités de coups, dépouillés de leur argent, de leurs livres et de leurs habits, contraints à toute sorte de repas, particulièrement à des repas d'absolution, à toute sorte de services abjects, souvent honteux, comme de vrais esclaves. Ceux qui avaient ainsi reçu l'absolution, traitaient d'une manière semblable les nouveaux venus, non-seulement en secret et hors des villes, mais publiquement dans les rues et les places, même dans les temples, pendant la prédication et le service divin, les bafouant, les tiraillant, leur donnant des chiquenaudes et des soufflets. Et pour que nul ne pût échapper à ces outrages, ils avaient assigné un certain endroit du temple, où tous les nouveaux arrivants devaient se laisser installer, avec de belles cérémonies de ce genre. De là, pendant tout le service divin, des courses, des bavardages, des murmures, des risées, des cris, des disputes qui faisaient pitié. D'honnêtes gens exhortaient-ils ces libertins à respecter la maison de Dieu, ils n'en recevaient que des insultes '..

Telles, étaient, au dix-septième siècle, les mœurs des futurs pasteurs de la Saxe luthérienne, d'après le témoignage authentique que leur rendent le recteur et les professeurs de l'université luthérienne d'Iéna; sur quoi il est facile de s'imaginer quelles étaient et devaient être les mœurs du peuple.

Un ministre luthérien de l'époque, Jean-Valentin André, déplore la démoralisation de ses confrères. On ne regardait la théologie, ainsi que la logique et la rhétorique, que comme une science propre à se faire un nom. On aimait beaucoup mieux rabaisser le mérite des bonnes œuvres, que de faire des bonnes œuvres. Quiconque s'efforçait de mener une bonne vie, était flétri du nom d'enthousiaste, schwenkfeldien, d'anabaptiste: dès-lors le peuple le regardait comme un athée, un hérétique, un hypocrite, un suppôt du diable 2. Un cordonnier de Goerlitz en Saxe, Jacob Boehm, entreprit de remédier à tant de mal par des écrits. Il avait du zèle, de la piété et un certain talent pour écrire : s'il eût été catholique et sous la direction d'un Vincent de Paul, il aurait pu faire grand bien; mais protestant, n'ayant d'autre règle que soi-même, il mêla de prétendues révélations et les rêveries de l'alchimie à des choses d'ailleurs bonnes : ce qui augmenta la confusion. Des pasteurs luthériens prêchèrent contre lui, et il mourut en 1624 3.

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