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pose l'intérieur de notre pensée à vouloir, et que néanmoins elle ne diminue point la liberté '. »

A la suite de ces réponses, et par déférence pour le conseil du père Mersenne, Descartes dispose d'une façon géométrique les raisons qui prouvent l'existence de Dieu, et la distinction qui est entré l'esprit et le corps de l'homme. Il pose d'abord des définitions des principaux termes, sept demandes à ses lecteurs, dix axiômes ou notions communes, enfin quatre propositions ou preuves démonstratives. Dans ses demandes aux lecteurs, il leur demande, < en troisième lieu, qu'ils examinent diligemment les propositions qui n'ont pas besoin de preuves, et dont chacun trouve les notions en soi-même, comme celle-ci :'qu'une même chose ne peut pas être et n'être pas tout ensemble; que le néant ne peut être la cause efficiente d'aucune chose, et autres semblables; et qu'ainsi ils exercent cette clarté de l'entendement qui leur a été donnée par la nature, mais que les perceptions des sens ont accoutumé de troubler et d'obscurcir ; qu'ils l'exercent, dis-je, toute pure et délivrée de leurs préjugés, car par ce moyen la vérité des axiômes suivants leur sera fort évidente 2. »

Enfin, dans ses réponses aux quatrièmes objections, qui sont du docteur Arnauld, il dit entre autres : « Je confesse donc ingénument avec lui que les choses qui sont contenues dans la première méditation, et même dans les suivantes, ne sont pas propres à toutes sortes d'esprits, et qu'elles ne s'ajustent pas à la capacité de tout le monde. Mais ce n'est pas d'aujourd'hui que j'ai fait cette déclaration ; je l'ai déjà faite, et la ferai encore autant de fois que l'occasion s'en présentera 3. »

Tels sont donc les vrais principes de Descartes, expliqués par lui-même. C'est donc les entendre bien mal, que de soumettre au doute et à l'examen non-seulement les conclusions éloignées et scientifiques, mais les premiers principes de la raison naturelle, mais leurs conclusions prochaines et morales, mais surtout les vérités de l'ordre surnaturel, les vérités de la foi divine, et de soumettre tout cela au doute et à l'examen de tous les esprits quelconques, principalement de ceux qui se croiront d'autant plus capables qu'ils le seront moins. Or, comnie nous le voyons par la lettre de Bossuet, c'est ainsi que les cartésiens entendaient généralement les principes de leur maître.

Ce qui a pu les induire à oublier ou à négliger les explications

'T. 1, p. 100-103, in−12. – T. 1, p. 436-438, in-8°. Cousin. - 2 P. 124. P. 455. P. 273. T. 2, p. 76.

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que ce maître leur avait données, ce sont les applaudissements intéressés de la secte jansénienne. Ces nouveaux hérétiques, comme tous leurs devanciers, préféraient leur évidence individuelle, vraie ou apparente, sincèré ou feinte, à toute l'Eglise de Dieu. Nous verrons quelques nonnes jansénistes préférer leur évidence féminine au jugement du Pape et des évêques, ainsi qu'aux arguments de Bossuet, dans les matières si ardues de la nature et de la grâce. C'était donc une bonne fortune pour les nouveaux sectaires de trouver dans la philosophie d'un auteur catholique, embrouillée par son école, un moyen spécieux de justifier leur révolte envers l'Eglise et son chef..

Cet embrouillement était d'autant plus facile, que Descartes luimême n'indique nulle part des moyens sûrs pour distinguer l'évidence véritable de l'évidence apparente. Seulement, il convient que la chose n'est point aisée, et qu'il y en a très-peu qui en soient capables'. Il nous semble que, d'après le philosophe catholique Boëce, qui a résumé toute la philosophie ancienne, et d'après Descartes lui-même, on peut assigner les règles suivantes. Quant aux premiers principes de la raison naturelle et leurs principales conclusions, pour distinguer l'évidence véritable de celle qui n'en a que l'apparence, on peut consulter le sens commun du vulgaire ; dans les conclusions éloignées et scientifiques du même ordre naturel, consultez le sentiment commun des doctes. Mais dans les vérités, principes et conclusions, de l'ordre surnaturel, qui constituent la révélation proprement dite, et même dans les matières de l'ordre naturel, mais qui se lient à l'ordre surnaturel, la règle souveraine et infaillible, c'est la divine autorité de l'Eglise catholique. Ces trois règles se découvrent dans les écrits et la conduite de Descartes luimême. Il reconnaît d'abord que les premiers principes de la raison naturelle sont communs et même innés à tous les hommes. Quant aux conclusions éloignées et scientifiques, il ne veut de juges que les plus solides esprits. Mais pour ce qui est de l'ordre surnaturel, des vérités de la foi, ou simplement de ce qui paraît y toucher, comme l'opinion sur le mouvement de la terre, il s'en rapporte à l'autorité de l'Eglise ; et, comme le remarque Bossuet, on lui voit prendre sur cela des précautions dont quelques-unes allaient jusqu'à l'excès 2. On aurait ainsi, suivant le degré des matières, trois règles de certitude pour distinguer l'évidence réelle de l'évidence apparente, et tout le domaine intellectuel fonctionnerait

d'accord.

' T. 2, p. 525, in-12. – P. 467, in-8°. Cousin. 253 à M. Pastel.

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Bossuet, t. 38, t. 251. Lettre

C'est à cette conciliation harmonique de toutes les sciences, principes et conclusions, tant dans l'ordre naturel que dans l'ordre surnaturel, que doivent tendre et travailler tous les hommes à qui Dieu en donne le moyen. A cette marque se reconnaît l'esprit de Dieu. « Y a-t-il parmi vous quelqu'un de sage et de savant? demande l'apôtre saint Jacques. Qu'il fasse paraître ses œuvres dans la suite d'une bonne vie, avec une sagesse pleine de douceur. Mais si vous avez dans le cœur une jalousie pleine d'amertume et un esprit de contention, ne vous glorifiez point contre la vérité, car ce n'est point là la sagesse qui vient d'en haut, mais une sagesse terrestre, animale et diabolique; car, où il y a de la jalousie et de la contention, il y a aussi du trouble et toute sorte de mal. Mais la sagesse qui vient d'en haut est premièrement chaste, puis amie de la paix, modérée, docile, susceptible de tout bien, pleine de miséricorde et de fruits de bonnes œuvres ; elle ne juge point témérairement ni n'est dissimulée'. »

C'est cette sagesse qui instruisit Salomon, et dont il a dit : « J'ai appris tout ce qui était caché et qui n'avait point encore été découvert, parce que la sagesse même, qui a tout créé, me l'a enseigné. Car il est en elle un esprit d'intelligence qui est saint, unique, varié, subtil, disert, agile, sans tache, clair, doux, ami du bien, pénétrant, que rien ne peut empêcher d'agir, bienfaisant, amateur des hommes, bon, stable, infaillible, calme, qui peut tout, qui voit tout, qui renferme en soi tous les esprits, qui est intelligible, pur et subtil; car la sagesse est plus active que toutes les choses les plus agissantes, et elle atteint partout à cause de sa pureté. Elle est la vapeur de la vertu de Dieu et une certaine émanation de la clarté du Tout-Puissant; c'est pourquoi elle n'est susceptible de la moindre impureté, parce qu'elle est l'éclat de la lumière éternelle, le miroir sans tache de la majesté de Dieu et l'image de sa bonté. Une, elle peut tout, et immuable en elle-même, elle renouvelle toutes choses; elle se répand parmi les nations, dans les âmes saintes, et elle forme les amis de Dieu et les prophètes; car, Dieu n'aime que celui qui habite avec la sagesse... Elle atteint d'une extrémité à l'autre avec force, et dispose toutes choses avec douceur 2.

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C'est cette sagesse qui a fait l'histoire, la suite des événements que nous écrivons; car « c'est elle qui conserva celui que Dieu avait formé pour être le père du monde, ayant d'abord été créé seul. C'est elle aussi qui le tira de son péché et qui lui donna la

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force de gouverner toutes choses: Lorsque l'injuste (Caïn), dans sa colère, se sépara d'elle, il périt malheureusement par la fureur qui le rendit le meurtrier de son frère. Et lorsque le déluge inonda la terre à cause de lui, la sagesse sauva encore le monde, ayant gouverné le juste (Noé) sur les eaux par un bois méprisable. Lorsque les nations conspirèrent ensemble pour s'abandonner au mal, c'est elle qui trouva et connut le juste (Abraham), qui le conserva irrépréhensible devant Dieu et qui lui donna la force de vaincre la tendresse qu'il ressentait pour son fils. C'est elle qui délivra le juste (Lot), lorsqu'il fuyait du milieu des méchants qui périrent par le feu tombé sur la Pentapole... C'est elle qui a conduit par des voies droités le juste (Jacob), lorsqu'il fuyait la colère de son frère; elle qui lui a fait voir le royaume de Dieu, lui a donné la science des saints, l'a enrichi dans ses travaux et lui en a fait recueillir de grands fruits... C'est elle qui n'a point abandonné le juste (Joseph), lorsqu'il fut vendu; mais elle l'a délivré des mains des pécheurs; elle est descendue avec lui dans la fosse... C'est elle qui a délivré le peuple juste et la race irrépréhensible de la nation qui l'opprimait. Elle est entrée dans l'âme du serviteur de Dieu (dans l'âme de Moïse), et il s'est élevé avec des signes et des prodiges contre les rois redoutables. Elle a rendu aux justes la récompense de leurs travaux ; elle les a conduits par une voie admirable et leur a tenu lieu de couvert pendant le jour et de la lumière des étoiles pendant la nuit. Elle les a conduits par la mer Rouge et les à fait passer au travers des eaux profondes. Elle a enseveli leurs ennemis dans la mer et les a retirés du fond des abîmes; et ainsi les justes ont remporté les dépouilles des méchants 1. »

En un mot, c'est cette même sagesse, cette même lumière véritable qui, ayant éclairé et animé les patriarches et les prophètes, s'est faite homme, habitant parmi nous, envoyant ses apôtrés par toute la terre, pour amener toutes ses brebis en un même bercail promettant d'être avec eux tous les jours jusqu'à la consommation des siècles, et de leur envoyer l'esprit de vérité pour demeurer éternellement avec eux en un mot, c'est la même sagesse, le même esprit de Dieu qui anime l'Eglise de Dieu, l'Eglise catholique, depuis Abel, le premier juste, jusqu'aux justes de ces derniers temps, saint Charles Borromée, saint François de Sales, saint Vincent de Paul. Voilà ce que, dans la suite des siècles, nous avons vu et admiré.

Mais nous avons vu en même temps la sagesse d'en bas, la sagesse

'Sap., c. 10.

de l'enfer, l'esprit d'apostasie et de révolte, séduire une partie des anges, séduire nos premiers parents dans le paradis terrestre, pousser le premier né de l'homme au fratricide, pousser tous les peuples à l'adorer lui-même dans les idoles, déchirer l'Eglise de Dieu par des schismes et des hérésies, depuis la grande hérésie de Satan, qui décima le ciel, peupla l'enfer, infecta la terre, jusqu'à l'hérésie du moine apostat, qui divisa l'Allemagne d'avec elle-même et contre elle-même.

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