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n'est pas une simple qualité, comme quelques-uns se l'imaginent, mais qu'elle embrasse beaucoup de choses, savoir: la rémission des péchés, la foi, l'espérance, la charité et les autres dons, le SaintEsprit lui-même, l'auteur de ces dons (et par conséquent toute la sainte Trinité). Car l'homme reçoit toutes ces grâces infuses dans la justification, comme le dit le coneile de Trente, sess. 6, c. 7.

» Il suit: 2o Que ceux-là se trompent qui pensent que, dans la justification et l'adoption, le Saint-Esprit est donné seulement quant à ses dons, et non quant à sa substance et à sa personne ; car saint Bonaventure enseigne le contraire (in 1. Sentent. dist. 14, art. 2, q. 1). Là il montre expressément que le Saint-Esprit est donné aux justes, non-seulement dans ses effets, mais encore dans sa propre personne, comme le don incréé, afin qu'ils le possèdent parfaitement. Le Maître des Sentences (l. 1, dist. 14 et 15) enseigne la même chose d'après saint Augustin et d'autres. Scot, Gabriel, Marsilius aussi. Saint Thomas l'établit clairement (1. p. q. 43, art. 3 et 6, et q. 38, art. 8): il montre que le nom propre du SaintEsprit est Don, parce qu'il est donné lui-même à tous les justes. Tous les disciples de saint Thomas l'ont suivi, ainsi que nos pères Vasquez, Valentia et principalement Suarez (l. 12. de Deo trino et uno, c. 5, n. 8, 11 et 12), qui infère de là que le Saint-Esprit commence à être présent dans l'âme du juste d'une nouvelle manière, dont il ne l'était pas auparavant selon sá substance; et il cite pour cette doctrine saint Léon, saint Augustin, saint Ambroise, et il la croit si certaine, qu'il regarde le sentiment contraire comme erroné. Il la fonde aussi sur ces paroles de l'Ecriture : « Vos membres sont Je temple du Saint-Esprit, que vous avez reçu de Dieu 1. La charité de Dieu est répandue dans nos cœurs par le Saint-Esprit, qui nous a été donné 2. Celui qui demeure dans la charité, demeure en Dieu, et Dieu en lui 3. Celui que mon père enverra en mon nom, demeurera chez vous et sera en vous 4. Nous viendrons à lui, et nous ferons une demeure chez lui. Si je m'en vais, je vous l'enverrai 5. >>

» Suarez en donne pour raison : « Que les dons de la grâce, par leur force et comme par un droit qui leur est connaturel, demandent la présence réelle et personnelle de Dieu dans l'âme sanctifiée par ces dons; car, supposant par impossible que l'Esprit-Saint n'est pas d'ailleurs réellement présent dans une âme, par là même que cette âme esť comblée de tels dons, l'Esprit-Saint lui-même viendrait à elle par sa présence personnelle et demeurerait en elle, tant

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qu'elle persévérerait dans la grâce. De la même manière, dit-il, le Verbe est présent à l'humanité du Christ, de sorte que, s par impossible il ne lui eût pas été présent auparavant, il lui deviendrait personnellement et intimement présent par l'union hypostatique. Il donne encore cette raison morale, que par la grâce il s'établit entre Dieu et l'homme une amitié très-parfaite qui exige la présence de l'ami, c'est-à-dire de l'Esprit-Saint, qui demeure dans l'âme de son ami, afin qu'il lui soit intimement uni et qu'il réside en elle comme en son temple, pour y recevoir un culte, être aimé et adoré.

» De cette communication de la personne même du Saint-Esprit et de la divinité, il résulte la plus haute union de l'âme avec Dieu, sa plus grande élévation et une sorte de déification, et par conséquent l'adoption la plus parfaite, non-seulement par la grâce, mais encore par la substance divine; parce que par elle nous obtenons, non-seulement un droit à l'héritage de Dieu, notre Père, mais encore une participation à la nature divine, l'Esprit-Saint lui-même, et la filiation de Dieu non pas accidentellement, mais comme substantiellement, dans le sens que nous avons dit plus haut. Car, comme parmi les hommes celui-là est proprement appelé le père, qui communique sa nature à son fils, ainsi Dieu, en nous donnant avec ses dons et par ses dons le Saint-Esprit, nous communique sa nature divine, et de cette manière il nous fait proprement et parfaitement ses enfants, et nous adopte pour tels. De là saint Basile, homélie du SaintEsprit, dit que les saints sont des dieux, à cause de l'Esprit-Saint qui habite en eux. Car il leur a été dit par Dieu même : « Je l'ai dit, yous êtes des dieux, et tous enfants du Très-Haut; » d'où il prouve que le Saint-Esprit est Dieu. « Car, dit-il, il faut bien que cet Esprit-là soit divin et de Dieu, qui est une cause de divinité pour des dieux. > Comme la cause formelle de la première adoption par la grâce est la grâce même, ainsi la cause formelle de cette. seconde adoption qui se fait par la communication du Saint-Esprit, est le Saint-Esprit même qui habite dans l'âme du juste; le moyen, c'est la grâce.

Il suit: 3° Que notre adoption, bien que une en soi, est pourtant double en sa vertu. La première, par laquelle nous sommes adoptés enfants de Dieu par la charité créée et par la grâce infuse à l'âme, car c'est une souveraine participation à la nature divine. La seconde, celle où, par la grâce, nous acquérons l'Esprit-Saint lui-même et şa nature divine, et nous sommes comme déifiés par lui et reçus enfants de Dieu. Or, chacune de ces adoptions'se commence ici-bas par la grâce, mais se consommera et s'affermira au ciel par la gloire

éternelle, où nous posséderons réellement l'héritage de Dieu, serons unis à Dieu intimement et en jouirons par la vision béatifique; vision par où Dieu se communiquera lui-même d'une manière nouvelle et substantiellement à l'âme bienheureuse, descendra en elle et s'y insinuera de la manière la plus intime et la plus suave. C'est de ce bonheur que l'apôtre dit aux Romains: « Nous gémissons en nous-mêmes, attendant l'adoption des enfants de Dieu1, » c'est-àdire la possession de cette adoption, c'est-à-dire de cet héritage pour lequel nous avons été adoptés. Et saint Jean dans l'Apocalypse: « Voici le tabernacle de Dieu avec les hommes, et il habitera avec eux. Et eux seront son peuple, et Dieu lui-même avec eux şera leur Dieu. Celui qui aura vaincu possédera ces choses, et je lui serai Dieu, et il ne sera fils 2. >>

«Il suit: 4° Que, comme Jésus-Christ est Fils naturel (par nature) de Dieu, et en tant que Dieu par la génération éternelle, et en tant que homme par l'union hypostatique, de même nous sommes les fils adoptifs de Dieu, mais d'une manière bien plus noble que ne le sont les fils adoptifs des hommes. Ceux-là, en effet, ne reçoivent rien de physique de leur père adoptant, mais seulement une dénomination morale, par laquelle ils acquièrent un droit à son héritage; nous, au contraire, nous recevons la grâce de Dieu, et, avec la grâce, la nature même de Dieu, afin que, comme parmi les hommes celui-là est proprement père qui communique à un autre sa nature humaine et engendre un homme, ainsi Dieu soit appelé non-seulement le Père de Jésus-Christ, mais encore le nôtre; attendu que par sa grâce il nous communique sa nature, qu'il a communiquéc à Jésus-Christ par l'union hypostatique, et cela pour nous rendre ses frères, selon ces paroles de l'Ecriture: « Ceux qu'il a connus d'avance; il les a prédestinés à devenir conformes à l'image de son Fils, afin qu'il fût le premier entre beaucoup de frères 3. Il leur a donné puissance de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom; qui sont nés, non pas du sang, etc., mais de Dieu": »

De ce résumé substantiel de l'Ecriture, des Pères et de la théologie, le docte et pieux Corneille de la Pierre tire cette conclusion morale: << Apprenez de là combien grand, combien inestimable est le bienfait de la filiation et de l'adoption divine! Peu savent qu'il est d'une aussi haute dignité que nous avons fait voir : moins encore l'apprécient comme il mérite. Chacun devrait l'admirer respectueusement en soi; les docteurs et les prédicateurs, l'expliquer comme nous avons fait et l'inculquer au peuple, afin que les fidèles

Rom., 8, 23. 2 Apoc., 24, 3 et 7.3 Rom., 8, 29.

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4 Joan, 1, 12.

et les saints sachent qu'ils sont les temples vivants de Dieu et qu'ils portent Dieu lui-même dans leur cœur ; par conséquent, qu'ils doivent marcher avec Dieu et se conduire d'une manière digne d'un tel hôte, qui les accompagne partout, leur est partout présent et les regarde partout. C'est avec raison que l'apôtre dit : « Ne savezvous pas que vos membres sont le temple du Saint-Esprit qui est en vous, que vous avez reçu de Dieu, et que vous n'êtes plus à vous-mêmes? Car vous avez été achetés à un grand prix glorifiez et portez Dieu dans votre corps 1. »

Cette conclusion morale du bon père Cornélius à Lapide est une des plus graves leçons de l'histoire. Supposez un pays, un siècle où, content de prêcher au peuple les vérités générales du christianisme, particulièrement en fait de morale, mais sans lui en faire connaître, sentir, goûter l'esprit et l'âme, cette vie de la grâce et de la foi, cette vie surnaturelle et divine: ce pays, ce siècle pourra être fécond en orateurs éloquents ou grammaticalement irrépréhensibles, mais il sera indigent en apôtres et stérile en saints. On ne verra du christianisme que le dehors, la superficie littéraire : on négligera l'esprit et l'âme.

Cornélius à Lapide ou Van den Steen naquit à Bucold, village du diocèse de Liége. Orateur éloquent, aussi profond dans la philosophie et la théologie que versé dans l'histoire, il joignait à ces connaissances celle du grec et de l'hébreu. H professa pendant plus de vingt ans cette dernière langue avec beaucoup de célébrité. Il fit ensuite à Rome, pendant plusieurs années, des leçons sur l'Ecriture, dans lesquelles il s'attachait particulièrement au sens littéral. Ce pieux et savánt Jésuite mourut à Rome en 1637. Il a laissé, sur tous les livres de la Bible, des commentaires fort estimés, qui ont été réunis en seize volumes in-folio.

Un autre Jésuite, héritier et propagateur fidèle de cet esprit de foi et de vie divine, fut le père Jean-Joseph Surin, né à Bordeaux en 1600, et mort en la même ville en 1665. Fils d'un conseiller du parlement, il fut élevé dans la piété, et, à l'âge de quinze ans, il obtint de son père, à force d'instances, d'entrer dans la compagnie de Jésus. Son goût le portait vers la solitude et vers la vie contemplative, en même temps que sa piété le rendait propre à la direction des consciences. Dès l'âge de trente ans, il fut regardé comme un bon guide dans les voies de la perfection, et l'on apprend par ses lettres que beaucoup de personnes pieuses. recherchaient ses conseils. Il se livrait aussi à la prédication. Il fut envoyé à Loudun

1. Cor., 6, 19.

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pour diriger le couvent des Ursulines, où se passaient des choses si extraordinaires. Il s'attacha principalement à régler la conduite intérieure des religieuses. Lui-même eut part à leurs épreuves. De retour à Bordeaux en 1638, Surin s'y trouva dans un état presque indéfinissable, jouissant de toute sa raison, et cependant privé de l'exercice extérieur de ses facultés ; il ne pouvait ni marcher, ni parler, ni écrire, et était en proie à des tentations violentes. Dans cet état humiliant, on crut, pour sa propre sûreté, devoir le tenir enfermé. Objet du mépris des uns et de l'inquiétude des autres, il eut assez de force pour offrir à Dieu ses peines; et ce fut même pendant cette époque de douleurs de tout genre, qu'il composa son Catéchisme spirituel et les Fondements de la vie spirituelle, qui furent écrits sous sa dictée, aussitôt qu'il fut en état de parler. Au bout de plus de vingt ans, cette situation violente se calma peu à peu ; Surin recouvra, l'an 1658, l'usage de ses facultés, et renoua ses correspondances long-temps interrompues. Il reprit l'exercice du ministère, et il aimait surtout à se rendre utile aux gens du peuple, à visiter les pauvres à la ville et dans les campagnes, et à leur faire des instructions à leur portée. Les malades les plus abandonnés étaient ceux auxquels il donnait plus volontiers ses soins. Les ouvrages du père Surin ont été tenus en grande estime par Bossuet dans sa controverse avec Fénélon : ils sont lus avec beaucoup de fruit par les âmes pieuses. Une pauvre servante nous demanda un jour quelque livre à lire : nous lui donnâmes, avec quelque hésitation, les Fondements de la vie spirituelle, par Surin. Dans peu, elle vint nous dire tout émerveillée que jamais livre ne lui avait causé tant de joie : elle y reconnaissait toutes les choses qui se passaient en elle, mais dont elle ne savait pas les noms. Et nous reconnûmes une fois de plus que Dieu cache les mystères de son royaume aux savants et aux prudents du siècle, et qu'il les révèle aux humbles et aux petits. La vie du père Surin a été écrite par un autre saint personnage, Henri-Marie Boudon, archidiacre d'Evreux, né en 1624 et mort en 1702, héritier, par sa vie et ses œuvres, de cet esprit des saints que nous verrons se renouveler et se fixer d'une manière permanente chez les vrais enfants de saint Bernard, les bien-aimés frères de la Trappe.

Quant à la position des Jésuites en France, nous les avons vu, en 1594, expulser par le parlement de Paris, à l'occasion de l'attentat de Chastel, dont ils étaient fort innocents. Mais le parlement et l'université de Paris, au temps de la ligue, avaient rendu des décrets contraires à Henri IV: il leur convenait d'en faire amende honorable sur le dos des Jésuites. Ceux-ci furent donc expulsés de Pa

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