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tions? C'est le contentement de vos sens, les aises de votre corps; vous ne travaillez que pour cela, vous ne songez qu'à cela, à boire, à manger, à dormir, à vous vautrer dans les voluptés sensuelles. Que font les ours, les lions et les autres brutes? Vous vous couchez le soir, parce que vous êtes las, et pour mettre votre corps à son aise ainsi fait un cheval quand il est harassé et qu'il trouve une bonne litière. Vous mangez, parce que vous avez faim et que vous trouvez de bonnes viandes: ainsi fait un mulet quand il a faim et qu'on lui donne de bonne avoine : Sicut equus et mulus.Vous nourrissez vos enfants, parce que ce sont vos petits: ainsi fait une hirondelle, une poule et un moineau ; ils prennent grand soin de nourrir leurs petits, parce que ce sont leurs poussins.

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» Il y en a d'autres qui ne sont pas si brutaux, mais néanmoins qui ne sont pas plus chrétiens; ils pensent être bien parfaits, parce qu'ils sont bien raisonnables la raison, la prudence humaine, la vertú naturelle ou morale est le principe de leurs actions..... Vous endurez les injures et les supercheries qu'on vous fait, parce que c'est le propre d'un grand courage de mépriser ces faibles esprits; vous les estimez indignes de votre colère, comme un lion ou un éléphant méprise les eris des petits chiens qui aboient contre lui. Tout cela c'est être honnête homme, c'est être homme d'honneur, philosophe, bon politique, mais, s'il n'y a rien autre chose, ce n'est pas être chrétien, disciple de Jésus-Christ, disciple de la foi et de la grâce.

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» Mon juste vit de la foi, dit le prophète cité par saint Paul. Voyez mon juste. Il y a des justes selon le monde et des justes selon Dieu les justes selon le monde sont ceux qui sont gens de bien par raíson humaine, par maxime d'état et par intérêt temporel; les justes selon Dieu sont ceux qui ont la foi pour principe de leurs -actions et pour règle de leur vie..... La vie du chrétien est une vie surnaturelle, c'est-à-dire une vie qui est au-dessus de la nature, qui est au-dessus de l'esprit humain, autant et plus que l'esprit humain est au-delà des bêtes brutes. La foi est au-dessus de la raison, autant et plus que la raison est au-dessus du corps et des sens; et comme l'homme qui vit en tant qu'homme ne se conduit pas par les sens, comme font les animaux, mais par la raison : ainsi celui qui vit en tant que chrétien ne se conduit pas par la raison, comme font les hommes, mais par la foi et les maximes de l'évangile.'. >>

Ce qui manque dans le père Lejeune, une instruction approfondie sur la nature intime de cette vie surnaturelle, on le trouve

'Sermon 152, t. 6, édit. de Lyon, 1837.

dans plusieurs de ses contemporains de la compagnie de Jésus. Le père Jean-Baptiste Saint-Jure, né à Metz en 1588, mort à Paris en 1657, missionnaire en Angleterre sous Charles I, a formé un grand nombre d'âmes à la plus haute perfection, et laissé plusieurs ouvrages qui leur peuvent servir de guide: De la connaissance et de l'amour de Jésus-Christ; L'homme religieux; Méthode pour bien mourir; L'homme spirituel. Dans ce dernier, il distingue et siguale, comme le père Lejeune, les différentes vies dont peut vivre l'homme, mais il fait mieux connaître la source de la vie spirituelle dans l'union intime, dans la pénétration réciproque de JésusChrist et de l'âme fidèle, par où l'âme participe en lui à la nature divine.

Mais nul ne nous paraît avoir résumé l'Ecriture, les Pères et la théologie avec une plus profonde intelligence, sur cette vie mystérieuse de l'âme en Dieu et de Dieu en l'âme, que le Jésuite Corneille de la Pierre en son commentaire sur le premier chapitre du prophète Osée.

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Au livre quinzième de cette histoire, nous avons vu dans quelles circonstances ce prophète eut deux enfants prophétiques, une fille nommée Lo-ruchama,. Sans-miséricorde, et un fils nommé Loammi, Non-mon-peuple. « Car, dit le Seigneur, vous n'êtes plus mon peuple, et moi je ne serai plus à vous. Cependant le nombre des enfants d'Israël sera comme le sable de la mer, qui ne peut ni se mesurer, ni se compter. Et au même lieu où on leur aura dit : Vous n'êtes point mon peuple, on leur dira: Enfants du Dieu vivant. » Saint Pierre nous a montré l'accomplissement de cette prophétie, en écrivant aux chrétiens dispersés en Orient : « Vous êtes la race élue, le sacerdoce royal, la nation sainte, le peuple d'acquisition. Qui, autrefois Non-peuple, êtes maintenant le peuple de Dieu; qui, autrefois Sans-miséricorde, avez obtenu miséricorde maintenant 1. » C'est sur le mystère de cette adoption divine que Corneille de la Pierre résume admirablement la doctrine chrétienne, à commencer par ces paroles: Enfants du Dieu vivant!

« La plus grande dignité et élévation de l'homme est celle par laquelle nous participons de la nature divine, comme dit saint Pierre. C'est avec vérité que saint Léon dit, sixième discours de la Nativité : « Un don qui surpasse tous les dons, c'est que Dieu appelle l'homme son fils", et que l'homme appelle Dieu son père. » Aussi le même enseigne-t-il, premier discours de la Nativité, que l'homme doit imiter Dieu son père, et revêtir ses mœurs, afin qu'il

1. Petr., c. 2.

mène une vie divine, et non pas terrestre, ni animale. « O chré– tien! dit-il, reconnais ta dignité, et, devenu participant de la nature divine, ne va point, par une conduite dégénérée, retournér à ton ancienne bassesse. » Et, sixième sermon: « Que la race élue et royale réponde à la dignité de sa régénération; qu'elle aime ce qu'aime le Père et qu'elle ne diffère de sentiment en rien d'avec son auteur, de peur que le Seigneur ne répète ce mot d'Isaïe : J'ai nourri des enfants, et je les ai élevés, et ils m'ont méprisé; qu'elle suive, au contraire, cette parole du Christ: Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. Ceux-ci donc sont nés, non pas du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais nés de Dieu même; semblable au Fils unique de Dieu, à qui le Père a dit de toute éternité: Tu es mon Fils, je t'ai engendré aujourd'hui. Quand le prophète dit d'une manière si expresse : Vous êtes les fils du Dieu vivant, c'est pour dire: Vous êtes les fils, non des dieux muets et morts, non des idoles, mais du Dieu vivant et véritable, qui est lui-même la vie divine et incréée, et qui vous l'aspire et la communique.

» Dans cette génération et cette filiation, le père est Dieu ; la semence, la grâce prévenante; la mère, la volonté qui acquiesce et coopère; l'enfant, l'homme juste ; l'âme, la charité. Encore un exemplaire de cette filiation, c'est la filiation du Verbe de Dieu; car, de même que Dieu le Père a de toute éternité engendré un Fils qui lui est consubstantiel et égal en tout; de même, à l'instar de celuilà, il engendre dans le temps des fils qui soient par grâce ce que le Fils de Dieu est par nature. Notre filiation est donc l'image de la filiation divine. C'est ce que l'apôtre dit aux Romains: « Ceux qu'il a sus par avance, il les a prédestinés à être conformes à l'image de son Fils, afin qu'il soit lui-même le premier né parmi beaucoup de frères 1. » Et encore : « Tous ceux qui sont conduits par l'Esprit de de Dieu, ceux-là sont enfants de Dieu; car vous n'avez pas reçu un esprit de servitude pour vivre de nouveau dans la crainte, mais vous avez reçu l'esprit d'adoption filiale, dans lequel nous crions: Abba, Père 2! » Ce qu'il prouve, en ajoutant : « Car l'Esprit luimême rend témoignage à notre esprit, que nous sommes enfants de Dieu. Or, si nous sommes ses enfants, nous sommes aussi ses héri'tiers: héritiers de Dieu et co-héritiers de Jésus-Christ; si cependant nous souffrons avec lui, afin d'être glorifiés avec lui. >>>

» Au reste, pour considérer, embrasser et recevoir plus à fond cette adoption divine, il faut remarquer que par elle est répandu

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dans l'âme, non-seulement la grâce, la charité et les autres dons du Saint-Esprit, mais encore l'Esprit-Saint lui-même; qui est le don premier et incréé que Dieu donne aux hommes. Dieu aurait pu, dans la justification, nous rendre seulement justes et saints par la grâce et la charité infuses, et c'eût été une grande grâce et un grand bienfait de Dieu, quand même il ne nous aurait pas adoptés pour ses enfants; mais, non content de cela, il a voulu nous rendre justes de manière à nous adopter pour ses enfants en nous rendant justes. Encore aurait-il pu faire cette adoption filiale, en nous donnant seulement la charité, la grâce et les dons créés; car la grâce est une participation à la nature divine au souverain degré, savoir, autant que la divinité peut être participée par la créature, nonseulement naturellement, mais encore surnaturellement ;. et ce bienfait de Dieu eût été beaucoup plus grand que le premier. Mais l'immense bonté, non contente de cela, a voulu se donner ellemême à nous, nous sanctifier et nous adopter par elle-même. C'est pourquoi le Saint-Esprit s'est lui-même annexé à ses dons, à la grâce et à la charité, afin que, toutes les fois qu'il les répand dans l'âme, il s'y répande en même temps avec eux et par eux, personnellement et substantiellement, selon cette parole de l'apôtre : « La charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné '. » C'est pourquoi l'apôtre l'appelle l'Esprit d'adoption. « Car vous n'avez pas reçu, dit-il, un esprit de servitude pour vivre de nouveau dans la crainte, mais l'esprit d'adoption filiale, » et le reste comme plus haut. Et encore: « Tous ceux qui sont conduits par l'Esprit de Dieu, ceux-là sont enfants de Dieu. > Et enfin « Parce que vous êtes ses fils, Dieu a envoyé dans vos cœurs l'Esprit de son Fils, qui s'écrie: Abba, Père ?! »

. >> Telle est donc à la fois et la souveraine munificence de Dieu envers nous et notre souveraine dignité et exaltation, par laquelle, en recevant la grâce et la charité, nous recevons en même temps-la personne même du Saint-Esprit, qui s'est unie à la charité et à la grâce, et, par elles, habite en nous, nous vivifie, nous adopte, nous déifie et nous pousse à toute sorte de bien. Voulez-vous de plus grandes choses encore? Ecoutez. Le Saint-Esprit, en descendant personnellement dans l'âme juste, y amène avec lui les autres personnés divines, le Père et le Fils, attendu qu'il ne peut jamais s'en séparer. Toute la Trinité vient donc personnellement et substantiellement dans l'âme qui est justifiée et adoptée, demeure et habite en elle comme en son temple, tant qu'elle persévère dans la justice,

Rom., 5, 5. 2 Gal., 46.

suivant ce mot de saint Jean: Qui demeure en la charité, demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui; et cet autre de saint Paul aux Corinthiens Qui s'attache au Seigneur, est un seul esprit avec lui.

» C'est là ce que Jésus-Christ, la veille de sa mort, demanda et obtint dans cette prière toute divine à son Père: « Qu'ils soient tous une même chose, comme vous, ô Père! êtes en moi et moi en vous, afin qu'eux aussi soient en nous une même chose 2 » c'est-à-dire qu'ils participent au seul et même Saint-Esprit, qu'ils soient unis en lui et par lui aux autres personnes divines; ainsi donc, qu'ils soient tous une même chose en lui; parce que le Saint-Esprit, qui est participé par tous et qui est en tous, est un seul et même Saint-Esprit. D'où il suit que tous sont un dans une chose unique indivisible, savoir, dans l'Esprit-Saint, comme les trois personnes divines sont un dans une seule nature divine, nature singulière et indivisible. Telle est l'explication de Saint-Cyrille (1. 4, Sur saint Jean, c. 26), de saint Athanase (Disc. 4, Contre les Ariens) et de Tolet, qui les

suit.

» Donc, dans la justification et l'adoption, se répandent en l'âme la grâce et la charité, et avec elles l'Esprit-Saint et toute la divinité, et la très-sainte Trinité, qui s'est comme annexée et incluse substantiellement à ses dons que voilà, afin de nous unir substantiellement à elle, nous sanctifier, nous déifier, nous adopter. Adoption par laquelle nous recevons premièrement la souveraine dignité de la filiation divine, afin que réellement nous soyons les enfants de Dieu et comme des dieux, non-seulement accidentellement par grâce, mais aussi comme substantiellement par nature; car Dieu nous communique et nous donne réellement sa nature. Seconde-* ment, par cette même adoption, nous acquérons comme fils un droit à l'héritage céleste, savoir, à la béatitude et à tous les biens de Dieu, notre Père. Troisièmement, par elle encore, nos œuvres et nos mérites acquièrent une dignité merveilleuse; car étant les œuvres d'enfants substantiels de Dieu, pour ainsi parler, elles ont une dignité, une valeur, un prix tels, qu'elles sont tout-à-fait proportionnées à leur récompense et dignes d'elle, à savoir, la vie éternelle et la gloire céleste, attendu qu'elles procèdent pour ainsi dire de Dieu lui-même et de l'Esprit divin, qui habite en nous nous les fait faire et y coopère lui-même.

>>> De là il suit : 1° Que la justice inhérente ou la grâce sanctifiante, par laquelle nous sommes justifiés et adoptés pour enfants de Dieu,

1. Joan., 4, 6. – 1. Cor., 6, 17. — 2 Joan., 17, 21.

TOME XXV.

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