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dictée par un de ces mêmes prélats, que l'on a fort goûtée, et dont à cet effet je vous envoie la copie, parce qu'elle vous plaira peutêtre davantage 1. »

Ces lettres de Vincent de Paul sont un monument historique de son génie et de son zèle, non plus seulement comme père des or– phelins et des pauvres, mais comme père de l'Eglise. On voit en lui l'esprit; le cœur et l'âme de la France catholique : c'est de lui que part la première impulsion qui fait agir le roi, la reine, les évêques. On voit maintenant pourquoi la Providence l'avait placé à la cour et à la tête du conseil de conscience: c'était pour être l'ange tutélaire du royaume dans un des moments les plus périlleux.

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Les défenseurs de Jansénius ne s'oubliaient pas. Ils ne craignaient rien tant que la décision du Pape. Désespérés de voir qu'un écrit en forme de lettre circulaire, qu'ils avaient envoyé aux évêques de France, n'eût pas empêché le grand nombre de signatures dont nous avons parlé, ils résolurent d'agir à Rome même, d'y multiplier les incidents, et de détourner, à quelque prix que ce fût, la foudre qui les menaçait. Ils avaient déjà dans cette ville un agent qui ne négligeait rien pour mettre à couvert la doctrine de Jansénius et de ses disciples. Dans la crainte qu'un homme seul ne pût conjurer l'orage, ils lui envoyèrent du secours. Trois autres docteurs partirent pour se joindre à lui. Gorin de Saint-Amour, muni d'une lettre de dix évêques qui ne pensaient pas comme le reste de leurs collègues, était à la tête de la députation. Gorin de Saint-Amour était plein de zèle pour la doctrine de l'évêque d'Ypres; il eût donné sa vie pour soutenir qu'elle était conforme à celle de saint Augustin. Cependant lui-même nous apprend qu'il n'avait pas lu le livre de Jansénius 2.

Vincent de Paul n'eut pas plus tôt été informé de la manœuvre des sectaires, qu'il crut qu'on devait faire pour la vérité ce qu'ils faisaient pour l'erreur. Son avis fut donc qu'on envoyât à Rome quelques docteurs orthodoxes, qui y fissent sentir ce qu'on savait mieux à Paris que partout ailleurs, savoir le danger que courait la foi, et la nécessité d'un jugement qui, soutenu de l'autorité des évêques, fixât les doutes et réunît les esprits. Les docteurs Hallier, Joisel et Lagault s'offrirent à faire le voyage. Tous trois étaient de la maison de Sorbonne, et très-liés avec saint Vincent de Paul. Celui-ci les fortifia dans leurs bons desseins; il les aida de sa bourse et de ses conseils ; il leur promit de ne les abandonner ni en France

• Collet. Vie de S. Vincent de Paul, 1. 5. 2 Journal de Saint-Amour, p. 116 et 418.

ni en Italie ; et il donna ordre à ses prêtres, établis à Rome, d'avoir pour eux toutes les attentions possibles. Une correspondance trèsactive s'établit entre le saint homme et les trois députés, jusqu'à la conclusion de l'affaire et la publication de la bulle.

Alors, après avoir rendu grâces à Dieu de la protection qu'il venait de donner à son Eglise, Vincent de Paul ne pensa plus qu'aux moyens de procurer au rescrit apostolique l'obéissance qui lui était due. Son premier soin fut d'empêcher que ceux qui avaient eu le dessus dans cette espèce de combat ne prissent avec leurs adversaires ces airs de triomphe qui conviennent mal aux défenseurs de la vérité, et qu'un esprit aigri prend aisément pour des insultes. Plein de zèle contre l'erreur, plein de charité pour ceux qui s'y étaient livrés, toute son attention fut de leur aplanir la voie du retour et de l'unité. Dans ce dessein, il rendit visite à des supérieurs de communautés, à des docteurs en théologie, et à différentes personnes de considération, qui n'étaient rien moins que Jansénistes; il les conjura par les plus pressants motifs de contribuer de tout leur pouvoir à la réunion des esprits. Il leur fit entendre que, pour y réussir, il fallait se contenir dans les bornes de la plus exacte modération; ne rien avancer ni dans les sermons, ni dans les entretiens familiers, qui pût toúrner à la confusion de ceux qui jusqu'alors avaient soutenu le dogme proscrit; les prévenir d'honneur et d'amitié dans une conjoncture humiliante pour eux, et gagner, par le plus respectueux ménagement, des personnes qu'on rebuterait 'par toute autre voie.

Le saint prêtre ne manqua pas de garder la conduite qu'il prescrivait aux autres. Ce fut dans ces sentiments qu'il s'en alla à PortRoyal faire une visite de civilité à ceux des disciples de Saint-Cyran qui s'y étaient choisi une retraite. Le bruit s'étant répandu qu'ils se soumettaient sans restriction, il les en félicita. Il passa plusieurs heures avec eux, et leur donna des témoignages particuliers d'estime, d'affection et de confiance. Il alla voir ensuite quelques autres personnes de condition, qui tenaient un rang considérable dans le parti : tous promirent une soumission sincère au Siége apostolique. Les deux évêques d'Alet et de Pamiers reçurent la bulle d'Innocent X et la publièrent dans leurs diocèses, comme tous les évêques du royaume. En un mot, de ce petit nombre d'évêques que le jansénisme avait séduits, il n'y en eut pas un seul qui alors ne lui dît anathème1.

Dans une occasion semblable, saint Augustin disait Rome a

Collet, 1. 5.

parlé, la cause est finie; puisse aussi finir l'erreur! Les Jansénistes se prétendaient disciples de saint Augustin. Ils se montrèrent disciples, non pas précisément de l'Augustin d'Hippone, mais de l'Augustin flamand d'Ypres. Au public, ils disaient tout haut: Rome a parlé, la cause est finie; entre eux, dans leur correspondance, ils disaient tout bas Rome a parlé, la cause n'est pas finic. Les Pélagiens étaient loin d'avoir, au même degré que les Jansénistes, la finesse, la duplicité cauteleuse de leur père commun, le vieux serpent.

Quelques-uns cependant se montrèrent fidèles à la grande règle d'Augustin d'Hippone: dès que Rome cut parlé, la cause fut finie pour eux, et ils mirent fin à leur erreur. L'abbé Amable de Bourzeis avait été un des plus ardents défenseurs du jansénisme; il avait publié plusieurs écrits pour soutenir les cinq propositions, comme étant de Jansénius et de saint Augustin. Dès qu'il les vit condamnées par Innocent X, il cessa de les défendre; la conduite équivoque des autres Jansénistes le détrompa totalement; il renonça de bonne foi à ses erreurs, et rétracta, le quatre novembre 1661, tout ce qu'il avait écrit pour les soutenir. Il protesta, en signant le formulaire d'Alexandre VII, qu'il voudrait pouvoir effacer de son sang tout ce qu'il avait écrit, et qu'il aurait toute sa vie un souverain et inviolable respect pour les décisions du Saint-Père, qui est, dit-il, le vicaire de Jésus-Christ sur la terre, et le maître commun des chrétiens en la foi1.

L'autre exemple est du père Thomassin de l'Oratoire, recommandable par sa piété solide et par la candeur de son esprit, autant que par l'étendue de son savoir et par la multitude de ses ouvrages pleins d'érudition. Ce savant homme étant encore jeune au temps que les disputes du jansénisme s'élevèrent, et n'ayant d'abord étudié saint Augustin que dans les livres de Jansénius et de ses disciples, il donna, sans y penser, dans les erreurs qui ont été condamnées sous le nom des cinq propositions. Mais comme il était humble et de bonne foi, sitôt qu'il eut reconnu, par la lecture de saint Au-. gustin même, combien Jansénius imposait à ce saint docteur, nul respect humain ne put l'empêcher d'en faire une confession aussi publique qu'il y était obligé. Il alla trouver exprès tous ceux à qui il pouvait avoir communiqué ses premiers sentiments, et leur déclara comme il y avait entièrement renoncé. Et l'on voit par ses ouvrages que depuis il a été aussi opposé au jansénisme qu'il y avait été attaché auparavant; car il l'a toujours fortement combattu,

Biblioth. des auteurs jansen., t. 1, p. 87.

TOME XXV.

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tant sur le fait que sur le droit. A la fin du troisième volume de ses Dogmes théologiques, il déclare qu'il n'a suivi les opinions de Jansénius qu'avant qu'elles fussent condamnées, et avant qu'il pût s'instruire par lui-même et former ses sentiments sur ceux des Pères, particulièrement de saint Augustin, des conciles et des scholastiques, en les lisant et les confrontant avec soin: ce qui demande beaucoup plus d'étude et plus de temps qu'un jeune théologien n'en peut avoir eu. Enfin, il croit qu'un théologien doit faire gloire d'apprendre de l'Eglise, et de profiter en étudiant : ce qu'il ne peut faire que par un louable changement, en apprenant ce qu'il ignorait et en renonçant à ce qu'il avait mal appris'.

Le troisième exemple est d'un des consulteurs romains dans l'affaire de Jansenius, Luc Wadding, né en Irlande l'an 1588, mort à Rome en 1657, avec la réputation d'un bon religieux et d'un savant du premier ordre. Entré dans l'ordre de Saint-François, il en devint l'historien et le biographe, et a laissé un grand nombre d'ouvrages. Nommé consulteur dans l'examen des cinq propositions, il fut d'avis qu'on pouvait les soutenir. Mais Innocent X ayant prononcé, il fit la déclaration suivante : « Si, avant cette décision, quelqu'un en a jugé autrement, sur quelques raisons ou quelque autorité de docteurs que ce puisse être, il est obligé présentement de captiver son esprit sous le joug de la foi, selon l'avis de l'apôtre. Je déclare que c'est ce que je fais de tout mon cœur, condamnant · et anathématisant toutes les propositions susdites, dans tous et chacun des sens dans lesquels sa Sainteté a voulu les condamner, quoique, avant cette décision, j'aie cru qu'on les pouvait soutenir selon certains sens, de la manière que je l'ai éxpliqué dans les suffrages 2. »

Certainement, si tous les Jansénistes avaient eu cette même droiture, la cause était vraiment finie, et l'erreur avec la cause. Il s'en fallut de beaucoup. Le grand nombre, Arnauld à leur tête, ne se firent pas scrupule de mentir et à eux-mêmes et aux autres. Ainsi, tant que les cinq propositions n'eurent pas été condamnées à Rome, ils y reconnaissaient leur doctrine, la doctrine de Jansénius et d'Augustin. A peine ces propositions furent-elles déférées en Sorbonne, qu'Arnauld publia ses Considérations sur l'entreprise de monsieur Cornet, où il dit que l'écrit par lequel ses adversaires s'étaient eux-mêmes donné la hardiesse d'informer le Pape, pour le porter à la condamnation des plus saintes et des plus constantes maximes de la grâce, a été réfuté, et que ces propositions, qu'on taxait d'er

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'Dumas, 1. 1, p. 81, édit. 1702. Trévoux, — Ibid., p. 79. ·

reur et d'hérésie, ont été soutenues puissamment contre leurs accusations frivoles. C'est pour soutenir ces propositions que les Jansénistes envoient des députés à Rome. C'est parce que trois ou quatre consulteurs se montrent favorables à ces propositions janséniennes, que les députés jausénistes les comblent d'éloges dans leur correspondance. Et les députés, et les consulteurs, et le Pape les regardaient comme la substance de Jansénius. Innocent X commence ainsi sa bulle: « Comme, à l'occasion d'un livre intitulé Augustin de Cornélius Jansénius, évêque d'Ypres, entre autres opinions de cet auteur, il s'est élevé une contestation sur cinq d'entre elles.... » Cette même bulle se termine par ces mots : « Nous n'entendons pas toutefois, par cette déclaration et définition faite touchant les cinq propositions susdites, approuver en façon quelconque les autres opinions qui sont contenues dans le livre ci-dessus nommé, de Cornélius Jansénius. » Tout le monde croyait donc que les cinq propositions sont véritablement dans Jansénius, et qu'elles sont l'âme de son livre, comme le dit Bossuet 2. A peine sont-elles condamnées par le Pape, que la foule des Jansénistes, Arnauld à leur tête, disent tout haut qu'elles sont hérétiques, mais que jamais ils ne les ont soutenues; qu'elles ne sont aucunement dans Jansénius, que Jansénius dit même tout le contraire; qu'enfin ce sont des propositions forgées à plaisir, et que le jansénisme n'est qu'un fantôme. Voilà ce qu'ils disent et répètent avec Arnauld dans plusieurs pamphlets et mémoires; voilà ce qu'ils disent tout haut au public, en proclamant la décision du Pape comme une règle de foi, comme un oracle du ciel. Mais tout bas, dans leur correspondance secrète, ils parlent de cette même décision comme d'une censure extorquée, informe, inouïe, faite contre toute sorte d'équité et de règles : où le Pape, n'entendant pas les termes de la matière dont il s'agit, s'est laissé prévenir, ne s'est conduit que par politique, a négligé toutes sortes de formes et les moyens les plus nécessaires pour découvrir la vérité: où il n'a employé que des personnes ignorantes, suspectes, malintentionnées et ennemies de la saine doctrine; qu'enfin cette décision attire le mépris des personnes intelligentes, tant ils y voient de partíalité, de passion et peu de justice 3. Telles étaient, dès l'origine, la droiture et la sincérité des Jansénistes: aussi reprocheront-ils à leurs adversaires la duplicité et les restrictions mentales.

La bulle d'Innocent X eut du moins ce bon effet, que depuis lors..

'Dumas, p. 72. - 2 Lettre 52 au maréchal de Bellefords, t. 57, p. 124, édit. Versailles. 3 Dumas, 47-53.

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