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en France. Voici comme Degérando résume ses doctrines. « Les systèmes de Hobbes sont trop connus pour qu'il soit nécessaire d'en donner aujourd'hui une exposition détaillée. Ils se rapportent à une idée principale: c'est la doctrine de la force. Toute la philosophie de Hobbes est employée à légitimer la force, à la diviniser même, à justifier tout par la force seule. Ce ressort terrible régit seul le monde moral dans les diverses sphères qui le composent. Lui seul est le principe de la morale, l'âme de la conscience. La justice n'est que, la puissance; la loi n'est que la volonté du plus fort; le devoir, que l'obéissance du faible. La divinité elle-même peut justement punir l'innocent; une nécessité de fer gouverne ses ouvrages, et même les déterminations des créatures raisonnables. La société commence par le droit de chacun sur toutes choses, et par conséquent par la guerre, qui est le choc de ces droits : le pouvoir naît de la nécessité de la paix, qui ne peut s'obtenir qu'en soumettant ces droits à un seul arbitre. Cependant Hobbes, en certaines occasions, contredit plutôt qu'il ne modifie ces doctrines, et se trouve forcé d'admettre des pactes et des lois naturelles. Comment n'aurait-il pas matérialisé l'intelligence humaine, puisqu'il matérialise la suprême intelligence? Aussi n'a-t-il pas échappé aux reproches d'athéisme..... Hobbes a été le vrai précurseur de Spinosa. Ce dernier lui a évidemment emprunté le germe de son système, quoique, averti par l'exemple des censures qui avaient pesé sur son prédécesseur, il ait cherché à mieux s'environner de précautions, ou à s'envelopper de nuages1. >>

Ainsi done, Jansenius, Hobbes, Spinosa, Luther, Calvin, Wicléf, Manès, Mahomet, c'est tout un inspirés du même esprit, ils se donnent tous la main pour nier le libre arbitre de l'homme, et faire Dieu auteur du péché, ou plutôt pour nier le Dieu véritable, le Dieu essentiellement libre, qui a créé l'homme à son image, et nous faire adorer à sa place, comme notre modèle, le premier des faux dieux, Satan, l'ange déchu, qui n'a plus de libre arbitre que pour le mal: tel est le type de l'homme jan

sénien.

Pour connaître à fond l'histoire humaine et l'Eglise de Dieu, il ne faut jamais perdre de vue ce grand complot, cet ensemble des portes, puissances et conseils de l'enfer, qui s'efforcent de prévaloir contre Eglise et sa pierre fondamentale; de prévaloir par la violence et la ruse, le canon et la sape, ennemis déclarés et faux frères. Mais la Parole même a dit : Les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre elle.

'Biogr. univ., t. 20, art. Hobbes,

La constitution dogmatique d'Innocent X contre les cinq propositions de Jansénius étant arrivée en France, y fut reçue sans opposition par tout l'épiscopat. Trente évêques, qui se trouvaient à Paris, écrivirent, dès le quinze juillet 1655, une lettre d'acceptation au Pape, dans laquelle ils disent entre autres : « Ce qu'il y a particulièrement de remarquable en cette rencontre, c'est de même qu'Innocent Ier condamna autrefois l'hérésie de Pélage sur la relation qui lui fut envoyée par les évêques d'Afrique, de même Innocent X a condamné maintenant une hérésie tout-à-fait opposée à celle de Pélage, sur la consultation que les évêques de France lui ont présentée. L'Eglise catholique de ce temps-là souscrivit, sans user de remise, à la condamnation de l'hérésie de Pélage, sur ce seul fondement, qu'il faut conserver une communion inviolable avec la chaire de saint Pierre, et que l'autorité souveraine y est attachée; laquelle reluisait dans l'épître décrétale qu'Innoceut Ier écrivit aux évêquès d'Afrique, et dans celle que Zosime envoya ensuite à tous les évêques de la chrétienté. Car elle savait bien que les jugements rendus par les souverains Pontifes pour affermir la règle de la foi, sur la consultation des évêques (soit que leur avis y soit inséré ou qu'il ne le soit pas, comme ils le jugeront plus à propos), sont appuyés de l'autorité souveraine que Dieu leur a donnée sur toute l'Eglise; de cette autorité à laquelle tous les chrétiens sont obligés, par le devoir que leur impose leur conscience, de soumettre leur raison. Et cette connaissance ne lui venait pas seulement de la promesse que Jésus-Christ a faite à saint Pierre, mais aussi de ce qu'avaient fait les Papes précédents, et des anathèmes que Damase avait fulminés quelque temps auparavant contre Apollinaire et contre Macédonius, quoiqu'ils n'eussent pas encore été condamnés par aucun concile œcuménique. Etant, comme nous sommes, dans les mêmes sentiments, et faisant profession de la même foi que les fidèles de ces premiers siècles, nous prendrons soin de faire publier dans nos églises et dans nos diocèses la constitution que votre Sainteté vient de faire, inspirée par le SaintEsprit, et qui nous a été mise en main par l'illustrissime archevêque d'Athènes, son nonce..... Cependant, après avoir félicité de cette divine et glorieuse victoire Innocent X, par la bouche duquel Pierre a parlé, comme autrefois le quatrième concile général le disait dans ses acclamations faites à Léon Ier, nous mettrons avec joie cette constitution dans les fastes sacrés de l'Eglise, de même qu'on y mettait anciennement les synodes œcuméniques 1. »

'Actes du clergé de France, t. 1.

La bulle d'Innocent X fut reçue unanimement en Sorbonne le premier août 1653; reçue pareillement par tous les ordres religieux, par toutes les communautés et par toutes les universités du royaume. On eut avis d'Espagne qu'elle y avait trouvé partout une parfaite soumission. Elle fut de même publiée en Flandre et acceptée par le conseil de Brabant, par le clergé et par les universités : ce qui est d'autant plus remarquable, qu'on avait fait durant plusieurs années, dans ce pays-là, de grandes oppositions à la réception de la bulle d'Urbain VIII, qui ne censurait qu'en général le livre de Jansénius.

Il est surtout un homme à qui la France doit une reconnaissance éternelle, pour lui avoir inspiré cette répulsion unanime contre la nouvelle hérésie; un homme qui s'est conduit dans ces conjonetures en véritable père de l'Eglise cet homme si connu, et qui cependant l'est encore si peu, c'est Vincent de Paul.

Dès 1654, répondant au même missionnaire qui l'avait consulté sur la Fréquente communion d'Arnauld, il expose ainsi son jugement sur le livre de Jansénius. D'abord, la reine, le cardinal Mazarin, le chancelier de France et le grand-pénitencier s'étaient déclarés contre le nouvel Augustin; garder le silence dans ces occasions, c'est, selon un grand Pape, saint Célestin, donner des armes à l'erreur; la doctrine de Baïus, déjà flétrie par plusieurs Papes est renouvelée par l'évêque d'Ypres ; les desseins de Jansénius et de Saint-Cyran doivent rendre naturellement leur doctrine suspecte; le dernier avait avoué à monsieur de Chavigny qu'ils s'étaient proposé de décréditer les Jésuites sur le dogme et sur l'administration des sacrements; pour le croire, Vincent n'avait pas besoin de ce témoignage, puisqu'il lui avait ouï tenir quantité de discours, et cela presque tous les jours, qui étaient conformes à cela.

Quant au fond même de la matière, la lecture assidue que Jansénius avait faite de saint Augustin ne prouve pas plus en faveur de ses sectateurs qu'elle ne prouverait en faveur de Calvin : le concile de Trente entendait mieux saint Augustin que Jansénius et ses adhérents; en un mot, saint Augustin doit être expliqué par le concile, et non le concile par saint Augustin, parce que le premier est infaillible, et que le second ne l'est pas. Dans l'affaire présente, il ne s'agit ni de Molina ni de la science moyenne, qui n'est pas article de foi; si cette doctrine est nouvelle, il n'en est pas ainsi de celle qui établit que Jésus-Christ est mort pour tout le monde : celle-ci est de saint Paul, de l'apôtre saint Jean, de saint Léon, du dernier concile général; l'opinion contraire a été condamnée dans le concile de Mayence et en plusieurs autres contre Gotescalc.

Vincent raisonne de la même manière sur la possibilité d'observer les commandements de Dieu, et sur la grâce suffisante. Il prouve l'úne et l'autre par un grand nombre de textes..

A l'égard de la conduite qu'il veut qu'on tienne dans sa congrégation, par rapport à ces matières, il n'approuve point que ses prêtres disputent, attaquent et défendent à cor et à cri; mais il veut qu'ils parlent quand les circonstances l'exigent, et que la crainte de se faire des ennemis ne les arrête pas. A Dieu ne plaise, dit-il, que ces faibles motifs, qui remplissent l'enfer, empêchent les missionnaires de défendre les intérêts de Dieu et de son Eglise! C'est sur ce principe qu'il rejette bien loin le conseil que le missionnaire consultant lui avait donné, de laisser chacun dans sa compagnie croire sur ces matières ce qu'il jugerait à propos. O mon Jésus! s'écrie-t-il, il n'est pas expédient que cela soit ainsi : il faut que nous soyons tous unius labii, autrement nous nous déchirerions tous les uns les autres. Obéir en ce point, ce n'est point se soumettre à un supérieur, mais à Dieu et au sentiment des Papes, des conciles et des saints; et si quelqu'un des nôtres n'y voulait pas déférer, il ferait bien de se retirer, et la compagnie de l'en prier.

Quelque rigoureuses que paraissent ces dernières paroles, le saint n'en venait aux dernières extrémités qu'après avoir épuisé tous les moyens que fournissent la charité et la prudence. Il priait beaucoup, il faisait prier par les siens, et il ne prenait son dernier parti qu'après avoir consulté ceux que la capacité et l'expérience mettaient plus en état de lui donner de bons avis. Il le fit surtout par rapport à un de ses prêtres, qu'on n'avait pu faire revenir de ses mauvais sentiments: il ne le renvoya qu'après en avoir conféré avec quatre docteurs de Sorbonne, le coadjuteur de Paris, le cardinal Mazarin, le chancelier et le premier président, qui tous lui conseillèrent de le renvoyer.

Des remèdes si violents coûtaient à sa tendresse. Nuit et jour il souhaitait qu'une autorité supérieure réglât ce malheureux diffé– rend, qui déjà mettait en feu le clergé séculier et régulier. Son respect pour le vicaire de Jésus-Christ lui faisait croire que sa décision réunirait presque tous les esprits, et que la paix succéderait à un orage qui, presque à chaque instant, devenait plus impétueux. C'est dans cette vue qu'il mit tout en œuvre pour engager autant d'évêques qu'il lui serait possible à souscrire la lettre qui devait être envoyée au Pape. Il combla de louanges ceux qui s'y étaient prêtés d'eux-mêmes, et il en invita d'autres à se joindre à eux. Il leur écrivit en février 1651 la lettre suivante :

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<< Les mauvais effets que produisent les opinions du temps ont fait résoudre un bon nombre de nos seigneurs les prélats du royaume d'écrire à notre saint père le Pape pour le supplier de prononcer sur cette doctrine. Les raisons particulières qui les y ont portés, sont 1° que par ce remède ils espèrent que plusieurs se rendront aux opinions communes, qui sans cela pourraient s'en écarter, comme il est arrivé de tous, quand on a vu la censure des deux chefs qui n'en font qu'un. 2° C'est que le mal pullule, parce qu'il semble être toléré. 3° On pense à Rome que la plupart de nos seigneurs les évêques de France sont dans ces sentiments nouveaux, et il importe de faire voir qu'il y en a très-peu. 4o Enfin ceci est conforme au saint concile de Trente, qui veut que, s'il s'élève des opinions contraires aux choses qu'il a déterminées, on ait recours aux souverains Pontifes pour en ordonner. Et c'est ce qu'on veut faire, monseigneur, ainsi que vous verrez dans la même lettre, laquelle je vous envoie, dans la confiance que vous aurez agréable de la signer après une quarantaine d'autres prélats qui l'ont signée, dont voici la liste, etc. »

Cette lettre du saint homme eut un heureux succès. Cependant l'évêque de Luçon ne fit point de réponse; ceux d'Alet et de Pamiers en firent une où, pour arriver à la paix, ils proposaient une ouverture qui ne pouvait que redoubler la guerre. Le saint prêtre ne se rebuta point. Le vingt-trois avril 1651, il écrivit une seconde fois à l'évêque de Luçon. Après lui avoir dit qu'il craint ou qu'il n'ait pas reçu sa lettre, ou qu'il n'ait été ébranlé par un mauvais écrit que les Jansénistes avaient envoyé partout pour détourner les évêques de demander un jugement, il le conjure, au nom de notre Seigneur, de considérer que ce jugement est nécessaire pour arrêter l'étrange division qui se met dans les familles, dans les villes et dans les universités. C'est, dit-il, un feu qui s'enflamme tous les jours, qui altère les esprits et qui menace l'Eglise d'une irréparable désolation, s'il n'y est remédié promptement.

Il se propose ensuite et il résout les difficultés qu'on pouvait lui faire. Il dit qu'on ne peut raisonnablement s'attendre à un concile: l'état des affaires présentes ne permet pas qu'on l'assemble; personne n'ignore combien il a fallu de temps pour convoquer celui de Trente. Ainsi, ce remède est trop éloigné pour un mal si pressant. Puisque les autres voies manquent, il faut donc prendre celle de recourir au Saint-Siége: l'Eglise, toujours conduite par le SaintEsprit, nous y convie elle-même; les saints ont écrit aux Papes contre les nouvelles doctrines qui se sont élevées de leur temps, et ils n'ont pas laissé d'assister comme juges aux conciles où elles ont

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