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satisfait plus à Dieu par cette humilité qué par toutes sortes de bonnes œuvres ? Ne dit-il pas dans le chapitre second de la troisième partie, que c'est parler indignement du Roi du ciel que de dire qu'il soit honoré par nos communions? Quand même, continue-t-il, on fermerait les yeux à toutes ces considérations, peuton ne pas apercevoir que les dispositions qu'exige ce jeune docteur pour la réception des saints mystères sont si hautes, si éloignées de la faiblesse humaine, qu'il n'y a personne sur la terre qui puisse s'en flatter. Si, comme il le soutient sans aucun adoucissement, il n'est permis de communier qu'à ceux qui sont entièrement purifiés des images de la vie passée, par un amour divin, pur et sans aucun mélange, qui sont parfaitement unis à Dieu seul, entièrement parfaits et entièrement irréprochables, peut-on se dispenser de dire avec lui que ceux qui, selon la pratique de l'Eglise, communient avec les dispositions ordinaires, sont des chiens et des antechrists? Non, continue-t-il; avec de tels príncipes, il n'appartient plus de communier qu'à monsieur Arnauld, qui, après avoir mis ces dispositions à un si haut point qu'un saint Paul en serait effrayé, ne laisse pas de se vanter plusieurs fois dans son apologie, qu'il dit la messe tous les jours, etc.

Le missionnaire consultant prétendait qu'il était faux que l'auteur du livre de la Fréquente communion voulût introduire l'usage de ne donner l'absolution qu'à ceux qui auraient déjà fait pénitence, et que sur ce point il ne pensait même, par rapport à ceux qui étaient tombés dans des péchés griefs, que ce que pensait saint Charles Borromée. D'où il suivait encore que le docteur Arnauld n'avait jamais songé à introduire la pénitence publique pour les péchés

secrets.

Vincent attaque ces deux réponses. Il dit à la première que monsieur Arnauld ne veut pas seulement introduire la pénitence avant l'absolution pour les gros pécheurs, mais qu'il en fait une loi générale pour tous ceux qui sont coupables d'un péché mortel. Pour s'en convaincre, il n'y a qu'à lire le huitième chapitre de la seconde partie de son livre. Il y fait dire au pape saint Grégoire qu'il est nécessaire que le pécheur fasse pénitence de ses péchés, nonseulement avant de communier, mais même avant que de recevoir l'absolution. Il ajoute que, selon les règles saintes que le pape Innocent a données à toute l'Eglise après les avoir apprises de la tradition perpétuelle de la même Eglise, l'ordre que les prêtres doivent garder dans l'exécution de la puissance que le Sauveur leur a donnée de lier et de délier les âmes, c'est de n'absoudre les pécheurs qu'après les avoir laissés dans les gémissements et dans

les larmes, et leur avoir fait accomplir une pénitence proportionnée à la qualité de leurs péchés. Ces paroles et beaucoup d'autres qui suivent montrent que, selon monsieur Arnauld, il est nécessaire de différer l'absolution pour tous les péchés mortels jusqu'à l'accomplissement de la pénitence. Au reste, Vincent sait que c'était la pratique de l'abbé de Saint-Cyran, et qu'on y soumet encore ceux qui se livrent à la conduite du parți.

De ces principes, selon lesquels on ne doit donner l'absolution que quand le péché est déjà expié par une satisfaction proportionnée, Vincent infère avec raison que l'absolution n'est que déclaratoire. Il ajoute qu'il est inutile. d'alléguer que l'auteur du livre a dit ailleurs le contraire, car il est d'usage chez tous les novateurs de semer, des contradictions dans leurs ouvrages, pour s'échapper. Calvin nie trente fois qu'il fasse Dieu auteur du péché, quoiqu'il fasse d'ailleurs tous ses efforts pour établir cette maxime détestable que tous les catholiques lui attribuent. J'ai ouï dire, continue-t-il, à feu monsieur de Saint-Cyran, que, s'il avait dit dans une chambre des vérités à des personnes qui en seraient capables, et qu'il passât dans une autre où il en trouverait d'autres qui ne le seraient pas, il leur dirait le contraire : il prétendait même que notre Seigneur en usait de la sorte, et recommandait qu'on fit de même.

Le serviteur de Dieu reconnaît volontiers que saint Charles a rétabli dans son diocèse la pénitence et les décrets qui la concernent; mais le missionnaire consultant doit reconnaître à son tour que ce saint cardinal n'a pas fait consister la pénitence à se retirer de la communion, si ce n'est dans les cas portés par les canons, tels que sont ceux des occasions prochaines et autres semblables. Jamais il n'a ordonné ni qu'on refusât l'absolution à tous ceux qui n'auraient pas encore satisfait pour leurs péchés, ni qu'on fît des pénitences publiques pour des péchés secrets. Il n'a jamais dit, comme fait monsieur Arnauld au troisième chapitre de sa seconde partie, qu'on ne trouve dans les anciens Pères, et surtout dans Tertullien, que la pénitence publique en laquelle l'Eglise exerçât le pouvoir des clés. C'est à toutes ces nouveautés que se réduit le livre de la Fréquente communion. Quoiqu'il fasse quelquefois semblant de ne proposer ces anciennes pratiques que comme plus avantageuses, ses raisonnements vont à en établir la nécessité. Partout il donne ces sentiments comme les grandes vérités de la religion, comme la pratique des apôtres et de toute l'Eglise durant douze siècles, et enfin comme une tradition immuable. Vincent ajoute que toutes ces idées ont une parfaite liaison avec le principe de ceux qui les avancent: ils sont persuadés que l'Eglise a cessé d'être, depuis

qu'elle a cessé de garder ces sortes d'uŝages. Deux des coryphées de ces opinions ayant cru que la mère de Sainte-Marie était disposée pour eux, lui avaient dit que depuis cinq cents ans il n'y a point d'Eglise et c'est elle-même, ajoute Vincent, qui me l'a dit et écrit 1.

De Hauranne composa dans le même but Le Chapelet secret du Saint-Sacrement. Chaque grain est un attribut de Dieu, sur lequel le fanatique auteur débite ses rêveries dans un incroyable galimathias. La Sorbonne, qui condamna l'ouvrage dès qu'il parut, déclare qu'il contient plusieurs extravagances, impertinences, erreurs, blasphêmes et impiétés qui tendent à séparer et à détourner les âmes de la pratique des vertus, spécialement de la foi, espérance et charité, qu'il détruit la façon de prier instituée par Jésus-Christ. Elle ajoute ces termes bien remarquables, que cet ouvrage tend à introduire des opinions contraires aux effets d'amour que Dieu a témoignés pour nous, et nommément au sacrement de la sainte eucharistie et au mystère de l'incarnation. Ce chapelet fut également censuré à Rome.

En voici deux grains pour échantillon de doctrine et de style. « 8. EMINENCE. Afin que Jésus-Christ entre en tous ses droits, qu'il s'élève glorieusement dans toutes ses prééminences, qu'il fasse une SÉPARATION de grandeur entre lui et la créature, que les âmes acceptent leurs bassesses en hommage à cette grandeur, qu'il soit un Dieu Dieu, c'est-à-dire se tenant dans les grandeurs divines, selon lesquelles il ne peut être dans rien moindre que lui.-9. POSSESSION... Il faut que les âmes adorent en Jésus-Christ la possession qu'il à de lui-même, et qu'elles n'aient point de vue, s'il lui PLAIT LES POSSÉDER OU NON, étant assez qu'il se possède lui-même. »

En'un mot, la foi du nouvel évangile oblige ses sectateurs à regarder Jésus-Christ comme un Dieu Dieu, et rien de plus. La sublimité de la vertu, sous ce même évangile, consiste à faire une séparation de grandeur entre Jésus-Christ et la créature, à ne s'embarrasser pas s'il possède nos cœurs ou non. Les principaux devoirs seront de renoncer au pouvoir qu'a l'homme de s'assujétir à Dieu, de ne faire aucun fond sur les promesses de Dieu : l'aventurier réformateur ne veut pas que les âmes fondent leurs espérances sur cela. Jamais hérésiarque tint-il un langage plus blasphêmatoire? Ce n'est pas tout. L'union avec Jésus-Christ fait le bonheur du chrétien dans cette vie : ce Dieu fait homme fait ses délices de se communiquer aux âmes pures avec une familiarité ineffable; cela

'Collet, 1. 5.

déplaît à Hauranne : il faut que ses disciples disent à Jésus-Christ de se retirer, de ne pas se rabaisser jusqu'à eux, que ces abaissements sont indignes de lui; qu'il ne doit point s'embarrasser de ce qui est fini, c'est-à-dire être indifférent au salut ou à la réprobation des âmes qui lui ont coûté si cher1.

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A ces traits sataniques, qui ne reconnaîtrait cet auteur d'hérésie qui disait confidemment à Vincent de Paul qu'il voulait travailler à détruire la religion et l'Eglise? qui ne reconnaîtrait cette cabale mystérieuse dont Hauranne parlait à d'Andilly? Quant nous n'au—. rions pas d'autres preuves pour croire au projet de Bourg-Fontaine, ces faits seuls suffiraient.

L'an 1654, Jean Filleau, conseiller et avocat du roi, chevalier de l'ordre de Saint-Michel, publia une Relation juridique de ce qui s'est passé à Poitiers touchant la nouvelle doctrine des Jansénistes. Filleau, issu d'une famille d'Orléans distinguée dans la magistrature, mais qui sortit de cette ville vers 1562, lorsque le calvinisme y prévalait, pour cause de son attachement à la religion catholique, naquit à Poitiers l'an 1600. Voici donc ce qu'il rapporte dans sa relation, imprimée par le commandement de la reine. Un ecclé– siastique de mérite passant par Poitiers et y ayant entendu parler de son zèle pour la bonne doctrine, s'adressa à lui en sa qualité d'avocat du roi, et lui déclara qu'il avait, en 1621, assisté à BourgFontaine, chartreuse près de Paris, à une assemblée de six personnes outre lui, dont une seule dans le moment était survivante, mais toutes attachées à la nouvelle doctrine, et que dans cette conférence il ne s'était agi de rien moins que de renverser la religion chrétienne pour établir le déisme sur ses débris. L'ecclésiastique ajouta qu'ayant paru aux membres de l'assemblée qu'il y aurait trop de danger et trop peu d'espoir de succès si on attaquait la religion de front, il avait été convenu qu'on commencerait par décréditer les sacrements les plus fréquentés par les adultes, savoir l'eucharistie et la pénitence. Les six membres de la cabale ne sont désignés dans la relation que par leurs initiales: J. D. V. D. H. (Jean du Verger de Hauranne); C. J. (Corneille Jansénius); A. A. (Arnauld d'Andilly); S. V. (Simon. Vigor); P. C. (Philippe Cospéan, évêque de Nantes); P. C. (Pierre Camus, évêque de Belley). Maintenant, que cette cabale se soit concertée à Bourg-Fontaine ou ailleurs, entre ces six personnes ou d'autres, toujours est-il qu'il existait une cabale dont Hauranne était le chef, où l'on se moquait du Pape,

1

Réalité du projet de Bourg-Fontaine, deuxième partie, art. 2. - Dictionn. des livres jansénistes, art. Chapelet secret du très-Saint-Sacrement..

du concile de Trente et de l'Eglise entière, qu'on disait périe depuis cinq à six siècles, et où l'on travaillait à rendre cette ruine plus complète : nous l'avons entendu de la bouche même de Hauranne, et nous voyons les œuvres tendre à ce but.

Ce qui révolte le plus dans Luther et Calvin, c'est de dire que nous n'avons point de libre arbitre; que Dieu opère en nous le mal. comme le bien; qu'il nous punit du mal que nous ne pouvons éviter; et enfin de mettre cette affreuse doctrine sur le compte de saint Augustin. C'est là nous faire un dieu pire que Satan. Or, l'ami intime de Hauranne, Corneille Jansen, plus connu sous le nom de Jansenius, reproduira, mais avec plus d'artifice, l'impiété et l'imposture des deux hérésiarques.

Corneille Jansénius naquit en 1585, au village d'Acquoi, près Léerdam en Hollande. Il commença ses études à Utrecht, vint les continuer à Louvain, où il trouva un vieux docteur nommé Janson, fort attaché aux erreurs de Baïus, quoique condamnées. Il fit aussi connaissance avec Jean du Verger de Hauranne, et vint ensuite à Paris pour achever ses études. De là, Hauranne l'emmena à Bayonne, où l'évêque de cette ville le mit à la tête du collége qu'il venait de fonder. Jansénius remplit cette place jusqu'en 1617, et retourna à Louvain, où il fut fait principal du collége de Sainte-Pùlchérie. Il prit le bonnet de docteur en théologie l'an 1619, et devint, en 1650, professeur d'Ecriture sainte. Nommé évêque d'Ypres en 1635, il occupa ce siége peu de temps, étant mort de la peste le six mai 1638. Il avait publié lui-même un discours moral sur la réforme de l'homme intérieur; l'alexipharmacum, contre les ministres protestants de Bois-le-Duc; une défense de cet ouvrage, sous le titre d'Eponge des notes, contre le ministre Voet; des commentaires sur le Pentateuque et les quatre évangiles; le Parallèle entre les erreurs des semi-Pélagiens de Marseille et celles des semi-Pélagiens modernes; le Mars Gallicus, où les Français étaient assez maltraités à l'occasion de leur alliance avec les Hollandais on a même de lui une thèse où il soutient l'infaillibilité du Pape. Occupé d'un ouvrage bien plus considérable, il écrivait à Hauranne le cinq mars 1621 : « Je n'ose dire à personne du monde ce que je pense, selon les principes de saint Augustin, d'une grande partie des opinions de ce temps, et particulièrement de celles de la grâce et de la prédestination, de peur qu'on ne me fasse le tour à Rome qu'on a fait à d'autres (à Baïus), avant que toutes choses soient mûres et à son temps..... Je suis dégoûté un peu de saint Thomas, après avoir sucé saint Augustin... Je vous en dirai plus, si Dieu nous fait la faveur de nous voir un jour. » Le quatre novembre

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