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le trouver chez lui, par forme de visite. Et, après avoir préparé son esprit par quelques entretiens convenables pour bien recevoir le remède qu'il voulait lui appliquer, il lui parla de l'obligation où il était de soumettre son jugement à celui de l'Eglise, et d'avoir pour le saint concile de Trente plus de respect qu'il n'en avait témoigné. Il lui fit voir en particulier que quelques-unes des propositions qu'il avait soutenues en sa présence étaient contraires à la doctrine de l'Eglise; il lui représenta qu'il se perdait en s'engageant dans un labyrinthe d'erreurs, et surtout qu'il avait eu grand tort de vouloir l'y engager, lui et toute sa congrégation. Le saint s'anima dans la suite de cet entretien, il parla avec tant de force et de solidité, que Hauranne en fut interdit et ne répliqua pas un mot. C'était en 1637.

Un mois après, le novateur écrivit du Poitou une longue lettre à Vincent. Il y proteste d'abord qu'il n'a nullement le cœur chargé des quatre choses que Vincent lui a reprochées dans sa dernière visite. Il soutient que celles de ses opinions qu'on regarde comme des erreurs sont des vérités catholiques; qu'elles ne passent pour des mensonges et des faussetés que parmi ceux qui aiment mieux la lueur et l'éclat que la lumière et la vérité; qu'il n'y a aucun des évêques qui fréquentent la maison de Saint-Lazare, à qui il ne les fasse autoriser, quand il lui plaira de leur en parler à loisir; qu'il les lui fera voir à lui-même dans les livres saints; que Vincent lui a fait ces reproches, moins parce qu'il le jugeait coupable, que pour s'excuser de l'avoir abandonné comme un criminel au temps de la persécution; qu'il a toutefois facilement supporté cela de la part d'un homme qui depuis long-temps l'honorait de son amitié et qui était à Paris en créance d'un parfaitement homme de bien. Seulement, ajoute-t-il, il m'est resté cette admiration dans l'âme, que vous, qui faites profession d'être si doux et si retenu partout, ayez pris sujet d'un soulèvement qui s'est fait contre moi par une triple cabale et des intérêts assez connus, de vous joindre aux autres pour m'accabler, ajoutant cela de plus à leurs excès, que vous avez entrepris de me le venir dire dans mon propre logis, ce que nul des autres n'avait osé faire. Le novateur finit en témoignant au saint la bonne volonté qu'il a eue de servir sa compagnie autant pour le spirituel que pour le temporel; et, pour lui prouver que, quoi qu'on dise, il est peu attaché à son sens et disposé à baisser avec ses amis, il l'assure qu'il a soutenu ses intérêts contre le jugement de sa conscience, qui ne le lui permettait pas.

Collet, 1. 3. - Abelly, 1. 2, c. 38.

TOME XXV.

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Jean du Verger de Hauranne naquit à Bayonne, en 1581, d'une famille qui s'était rendue considérable par le commerce. Etudiant la théologie à Louvain, il fit connaissance avec Jansénius. Ils se retrouvèrent l'an 1604 à Paris, où ils renouvelèrent leurs anciennes liaisons. Quelques années après, de retour à Bayonne, Hauranne renonça entièrement aux affaires de sa famille et se retira dans une maison de campagne de son père : l'étude y fit toute son occupation pendant deux ans. Au bout de ce temps, il engagea son ami Jansénius, qu'il avait laissé précepteur à Paris, à venir partager avec lui le loisir de sa retraite. Jansénius se rendit auprès de lui : ce fut là qu'ils jetèrent ensemble les premiers fondements du jansénisme. Le premier fruit de l'étude de Hauranne fut le livre intitulé : Question royale. Il le composa à l'occasion d'un cas proposé à la cour. Il n'y traite de rien moins que de ce cas; mais il y enseigne fort au long qu'on peut se tuer soi-même, et qu'il y a des occasions où on est obligé en conscience de le faire. Un de ses principes dans ce livre est celui des gnostiques: Omnia munda mundis, tout est pur pour les purs.

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L'évêque de Bayonne ayant été transféré à Tours, Hauranne le suivit à Paris, où ce prélat le donna à l'évêque de Poitiers, qui le fit son grand-vicaire et lui céda l'abbaye de Saint-Cyran. Dans ce poste, Hauranne commença de répandre ses erreurs, et de faire sourdement des prosélytes à la nouvelle secte dont il devait être le patriarche. Il sut gagner le père de Bérulle et le tromper pendant long-temps par le zèle qu'il témoignait à procurer à sa congrégation de nouveaux établissements en Flandre et en France. Il gagna aussi la supérieure de la Visitation de Poitiers et beaucoup d'autres personnes. Mais, de toutes les connaissances qu'il fit, la plus avanta– geuse à son dessein fut celle de Robert Arnauld d'Andilly, qui passa par Poitiers, à la suite de la cour, en 1620. Quelque temps après, Hauranne lui écrivit une lettre où se trouvent ces paroles : « Tous les esprits de la terre, pour aigus et savants qu'ils soient, n'entendent rien à notre cabale, s'ils ne sont initiés à ses mystères, qui rendent, comme en de saintes orgies, les esprits plus transportés les uns envers les autres, que ne sont ceux qui tombent en manie, en ivresse et en passion d'amour impudique '. » Ces paroles indiquent bien clairement une société secrète. La conquête d'Arnauld d'Andilly pouvait paraître très-importante. Il était en quelque crédit à la cour; il était l'aîné d'une très-nombreuse famille, que son

́1Réalité du projet de Bourg-Fontaine, première partie, p. 33, t. 1. Paris, 1755.

exemple pouvait attacher à Hauranne: deux moyens efficaces pour avancer le projet de la cabale.

Hauranne ne tarda pas de se rendre à Paris, où il cultiva toute la famille des Arnauld. Elle l'introduisit au monastère de PortRoyal, où Arnauld père, avocat, s'était rendu tout-puissant, sous prétexte d'en gérer le temporel. Il y avait deux de ses filles, Agnès et Angélique, que Hauranne jugea très-propres à recevoir ses nouveautés et à les mettre en vogue quand il serait temps. Il jeta dèslors les yeux sur cette maison, pour en faire sa place d'armes. L'évêque de Langres, Sébastien Zamet, en était supérieur; il fallait l'éloigner: c'est de quoi il vint à bout par le moyen des mèresArnauld, qui firent remercier l'évêque de ses bons offices."

Port-Royal devint bientôt un lieu de fréquentes assemblées : elles avaient tout l'air de cabale, et déplurent au cardinal de Richelieu, qui, entendant d'ailleurs beaucoup parler des nouveautés que débitait le supérieur de Port-Royal, résolut de le faire arrêter. Il en parla au père Joseph, Capucin, son confident, et à l'abbé de Prières, et leur demanda ce qu'ils pensaient de ce nouveau-dogmatiste. Comme il vit qu'ils n'osaient s'expliquer, il dit lui-même ce qu'il en pensait. Il est Basque, dit-il, et a les entrailles chaudes et ardentes par tempérament : cette ardeur excessive lui envoie à la tête des vapeurs dont se forment ses imaginations mélancoliques, qu'il prend pour des réflexions spéculatives ou pour des inspirations du Saint-Esprit, se faisant ainsi de ses extravagances des oracles et dés mystères.

Ce fut vers ce temps que le père de Condren et saint Vincent de Paul se déclarèrent hautement contre le novateur, et signalèrent ses détestables maximes: le cardinal le fit observer; Hauranne jugea prudent de s'éclipser, et ne reparut à Paris que six mois après. A son retour, il s'attacha un Oratorien nommé Seguenot, et l'engagea à faire imprimer sous son nom la traduction de la lettre de saint Augustin sur la virginité, avec des notes remplies des erreurs de Hauranne contre les vœux, notamment contre celui de chasteté Ce livre scandalisa tous les gens de bien la Sorbonne le censura comme hérétique. Hauranne, le véritable auteur, fut arrêté et enfermé au château de Vincennes le quinze mai 1658. On saisit tous ses papiers, entre autres les lettres à d'Andilly et à Vincent de Paul, et celles que Jansénius lui écrivait, qui découvrirent beaucoup de mystères de leur cabale. Les partisans de Hauranne prêtèrent à Richelieu bien des mauvais desseins pour cette détention: Hauranne les démentit tous sans y penser, en écrivant, avec sa modestie or

dinaire, qu'il était aux prisons de Vincennes pour avoir voulu suivre exactement la théologie de sainte Thérèse1.

On entendit juridiquement des témoins pour lui faire son procès. Ce furent l'abbé de Prières, Tardif, son ami intime; Antoine Vigier, supérieur des pères de la doctrine chrétienne; Pormorant " abbé de Pleine-Selve; Nicolas Victon, aumônier du rois Marie d'Aquaviva, fille du duc d'Atrie, au royaume de Naples; François de Caulet, depuis évêque de Pamiers, et plusieurs autres. Quant à l'évêque de Langres, au père de Condren et à Vincent de Paul, ils ne voulurent pas parler devant un jugé laïque, mais ils donnèrent par écrit leurs dépositions au cardinal. Toutes se réduisaient, pour le fond, à ce que nous avons déjà vu de saint Vincent de Paul.

Hauranne s'occupa dans sa prison à composer ses lettres spirituelles à différentes personnes de condition, vraies ou supposées, pour donner du relief au parti. D'Andilly les a données au public après la mort de son ami. Dans la 93, il enseigne, avec Wiclef et Jean Hus, que les mauvais prêtres ne sont plus prêtres. Il traça aussi le plan du livre contre la fréquente communion, et donna ses mémoires au jeune bachelier Antoine Arnauld, son élève, frère d'Arnauld d'Andilly. Le cardinal de Richelieu étant mort, le comte de Chavigny, devenu ministre d'état, trouva moyen de faire élargir le prisonnier, son ami, qui ne survécut guère à cette grâce : il tomba malade sur la fin de septembre 1643, et mourut le onze octobre. Ses amis ne songèrent à lui faire administrer les sacrements que quand ils le virent tombé en apoplexie : il expira aux premières onctions. Les auteurs de la Gallia christiana firent de Hauranne un éloge comme d'un saint et orthodoxe personnage. Le clergé de France ordonna que cet éloge serait effacé. Les ministres huguenots Samuel Desmarets et Jurieu ont revendiqué ce saint personnage, comme étant des leurs et pensant comme eux.

Et de fait, la secte de Hauranne, plus connue sous le nom de jansénisme, n'est qu'une phase du calvinisme, un calvinisme plus artificieux. Un magistrat contemporain disait à l'historien Fleury, qui le rapporte et l'approuve : « Le jansénisme est l'hérésie la plus subtile que le diable ait tissue. Ils ont vu que les protestants, en se séparant de l'Eglise, se sont condamnés eux-mêmes, et qu'on leur avait reproché cette séparation; ils ont donc mis pour maxime fondamentale de leur conduite, de ne s'en séparer jamais extérieùrement, et de protester toujours de leur soumission aux décisions de l'Eglise, à la charge de trouver tous les jours de nouvelles sub

'Lettres de S. Cyran, première édition, lettre 23, p. 179.

tilités pour les expliquer, en sorte qu'ils paraissent soumis sans changer de sentiments. »

Luther et Calvin attaquent ouvertement l'Eglise, sa hiérarchie, la primauté de son chef. Le patriarche du jansénisme, Hauranne, pense comme Luther et Calvin; nous avons vu avec quel emportement, dans ses entretiens familiers, il s'exprimait sur l'Eglise, sur le Pape, sur le concile de Trente. Il est plus réservé dans ses écrits, mais il y pose des principes qui enferment les mêmes conséquences. Il écrit à d'Andilly : « La religion n'est rien qu'une confrérie de gens vivants et mourants ensemble. » Définition dont les athées mêmes pourraient s'accommoder. Dans la sixième leçon de sa Théologie familière, Hauranne demande : Qu'est-ce que l'Eglise et il répond, avec Luther et Wiclef: C'est la compagnie de ceux qui servent Dieu dans la lumière et dans la profession de la vraie foi et dans l'union de la vraie charité. Cette doctrine, qui n'admet dans l'Eglise que les justes et les élus, et qui en exclut tous les pécheurs, vient originairement des Donatistes, et a été condamnée dans le concile de Constance. En outre, comme les justes ne sont connus que de Dieu, l'Eglise de Jésus-Christ ne sera visible qu'à Dieu. Les Luthériens, les Calvinistes, qui ne veulent ni Pape, ni évêques, ni prêtres, ni visibilité de l'Eglise, adopteront sans peine cette définition. Il est vrai, dans son Petrus Aurelius, il se donne l'air de défendre la hiérarchie, le Pape, les évêques, les prêtres; mais en même temps il l'y ruine de fond en comble par ce principe de Jean Hus et de Wiclef: On cesse d'être prêtre et évêque par un seul péché mortel contre la chasteté Extinguitur sacerdotalis dignitas.... simul atque castitas deficit. Comme Dieu seul sait qui ne s'est pas rendu coupable d'une pareille faute, Dieu seul sait qui est prêtre ou évêque, et qui ne l'est pas pour les hommes, c'est chose impossible à savoir, la hiérarchie est invisible, elle est comme n'étant pas. Nous avons vu l'apostat MarcAntoine de Dominis, dans sa République ecclésiastique, s'efforcer d'anéantir la monarchie de l'Eglise, de détruire la primauté du Pape et la nécessité d'un chef visible, de prouver enfin que saint Pierre n'était pas le seul chef de l'Eglise, mais que saint Paul lui était égal en autorité; refuser à l'Eglise toute véritable juridiction, et confondre l'Eglise enseignante avec l'Eglise enseignée. L'ouvrage de cet apostat fut condamné par la Sorbonne en 1617; Richer, syndic de la faculté de théologie, refusa de souscrire à la condamnation. Dès 1611, lui-même avait publié un ouvrage, De la puis

Nouveaux opuscules de Fleury, p. 227 et 228.

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