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neux que les autres ; et il lui fut dit intérieurement que ce premier globe était l'âme de notre digne mère, le deuxième, de notre bienheureux père, et l'autre, de l'essence divine; que l'âme de notre digne mère s'était réunie à celle de notre bienheureux père, et les deux à Dieu, leur souverain principe.

» De plus, la même personne, qui est un prêtre, célébrant la sainte messe pour notre digne mère, incontinent après qu'il eut appris la nouvelle de son heureux trépas, et étant au second Memento, où l'on prie pour les morts, il pensa qu'il ferait bien de prier pour elle; que peut-être elle était dans le purgatoire, à cause de certaines paroles qu'elle avait dites il y avait quelque temps, qui semblaient tenir du péché véniel; et en même temps il vit de rechef la même vision, les mêmes globes et leur union; et il lui resta un sentiment intérieur que cette âmè était bienheureuse, qu'elle n'avait pas besoin de prières : ce qui est demeuré si bien imprimé dans l'esprit de ce prêtre, qu'il lui semble la voir en cet état toutes les fois qu'il pense à elle...

>> Ce qui pourrait faire douter de cette vision, est que cette personne a une si grande estime de la sainteté de cette âme bienheu- . reuse, qu'il ne lit jamais ses réponses sans pleurer, dans l'opinion qu'il a que c'est Dieu qui lui a inspiré ce qu'elles contiennent; et que cette vision, par conséquent, est un effet de son imagination; mais ce qui fait penser que c'est une vraie vision, est qu'il n'est point sujet à en avoir et n'a jamais eu que celle-ci. En foi de quoi j'ai signé la présente de ma main et scellé de notre seeau1.>>

De leur côté, les religieuses de la Visitation de Paris et de SaintDenis rendirent témoignage à Vincent de Paul. « Nous pouvons assurer avec certitude, disent entre autres celles de la capitale, que plusieurs fois il nous est arrivé des choses presque miraculeuses, dans le temps de ses visites ou bientôt après. Dès le commencement qu'il nous rendit ce charitable office, il délivra presque en un instant une de nos sœurs d'une peine d'esprit si violente, qu'elle rejaillissait sur son corps et la rendait incapable de rendre aucun service au monastère, ce qui faisait grande compassion à ceux qui la voyaient ; et néanmoins, depuis sa guérion,, elle a exercé avec grande bénédiction les charges de maîtresse des novices et de supérieure durant plusieurs années; et enfin, par la grâce de Dieu, elle est morte șaintement... Sa charité pour le soulagement du prochain lui donnait une sensible peine, quand ses propres infirmités ne lui permettaient pas d'aller voir et consoler les religieuses ma

'Abelly, 1. 2, c. 14.

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lades qui le souhaitaient. Il ne se contentait pas de compatir aux personnes souffrantes de corps ou d'esprit, mais il faisait tous ses efforts pour les soulager. Un jour une bonne sœur domestique de laquelle il estimait beaucoup la vertu, étant fort malade et avec une grosse fièvre, lui dit qu'elle eût été bien aise de mourir. O ma sœur, répliqua-t-il, il n'est pas encore temps, et s'approchant d'elle, il lui fit une croix de son pouce sur le front, et à l'instant la malade se sentit guérie; et depuis, elle n'eut ni fièvre ni douleur. >> Comme il avait expérimenté en lui presque tous les états de la vie humaine, d'infirmités, d'humiliations et de tentations, pour consoler ceux qui étaient inquiétés de quelques peines semblables, il leur disait pour l'ordinaire qu'il en avait eu de pareilles, que Dieu l'en avait délivré et qu'il leur ferait la même grâce. Ayez patience, leur disait-il, conformez-vous au bon plaisir de Dieu et usez de tél et tel remède. Une bonne sœur domestique lui disant un jour qu'elle avait l'esprit trop grossier pour s'appliquer aux choses spirituelles, parce qu'étant en son pays elle avait été employée à garder les bestiaux de son père, il lui répondit: Ma sœur, c'est là le premier métier que j'ai fait : j'ai gardé les pourceaux; mais pourvu que cela serve à nous humilier, nous en serons plus propres au service de Dieu : courage!... Il avait en même temps une adresse merveilleuse pour humilier les âmes hautaines, et cela comme en se récréant et sans qu'elles y pensassent; mais où il montrait un zèle plus vigoureux, c'était contre celles qui avaient désobéi en chose d'importance; car il les reprenait d'une manière si humiliante, que cela les anéantissait et leur faisait penser ce que ce serait quand Dieu les reprendrait au jour de son redoutable jugement, puisque la parole d'un homme les abattait et humiliait si puissamment':>

Vincent de Paul était avec les rois comme avec les bonnes religieuses. Lorsque Louis XIII l'eut fait venir pour l'assister en sa dernière maladie, Vincent lui dit en l'abordant ces paroles de l'Ecclésiastique 2: Sire, timenti Dominum benè erit in extremis (celui qui craint Dieu s'en trouvera bien dans les derniers moments). A quoi le roi répondit en achevant le verset: Et in die defunctionis suæ benedicetur (et il será béni au jour de sa mort). Un autre jour, comme le saint homme l'entretenait du bon usage des grâces de Dieu, le roi lui dit : O monsieur Vincent', si je retournais en santé, les évêques seraient trois ans chez vous; voulant dire': Je ne nommerais personne à l'épiscopat qui n'ait passé trois ans avec vous.

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Les trois derniers jours, Vincent demeura presque toujours en sa présence, pour l'aider à mourir en chrétien. Le médecin ayant déclaré qu'il n'avait plus que très-peu de temps à vivre, il joignit les mains, tourna les yeux vers le ciel, et dit : Hé bien! mon Dieu, j'y consens, et de bon cœur. Quelques minutes après, il expira entre les bras de notre saint. C'était le quatorze mai 1643, jour auquel trente-trois ans auparavant il était monté sur le trône.

Anne d'Autriche, veuve de Louis XIII, mère de Louis XIV et régente du royaume, établit un conseil de conscience pour ne disposer que d'après ses avis des bénéfices ecclésiastiques à la nomination du roi. Ce conseil était composé de quatre personnes : le cardinal Mazarin, le chancelier Séguier, Charton, grand-pénitencier de Paris, et Vincent de Paul; ce dernier en fut établi le chef. Vincent fit ce qu'il put pour éviter cette charge, mais ne put y réussir. Le prince de Condé ayant voulu le faire asseoir auprès de lui : Votre altesse, lui dit-il, me fait trop d'honneur de vouloir bien me souffrir en sa présence; ignore-t-elle donc que je suis le fils d'un pauvrè villageois? Le prince répliqua; Moribus et vitâ nobilitatur homo (les mœurs et la bonne vie sont la vraie noblesse de l'homme). Il ajouta que ce n'était pas d'aujourd'hui que l'on connaissait son mérite. Cependant, pour en juger mieux, il fit tomber la conversation sur quelque point de controverse. Vincent en parla avec tant de netteté et de précision, que le prince s'écria: Eh quoi! monsieur Vincent, vous dites, vous prêchez partout que vous êtes un ignorant, et cependant vous résolvez en deux mots une des plus grandes difficultés qui nous soient proposées par les religionnaires! Il lui demanda ensuite l'éclaircissement de quelques doutes qui regardaient le droit canonique; et ayant été aussi content de lui sur cette matière qu'il l'avait été sur l'autre, il passa dans l'appartement de la reine, et la félicita du choix qu'elle avait fait d'un homme si capable de l'aider en ce qui regardait les biens et les matières ecclésiastiques.

Entré dans le conseil, Vincent y proposa et fit adopter une série .de résolutions pour servir de règle dans les nominations royales aux évêchés et aux abbayes, en écarter les sujets indignes ou incapables, et continuer la réforme des monastères commencée par le cardinal de la Rochefoucauld, commis à cet effet par Grégoire XV pour toute la France. Ces résolutions eussent pu régénérer la France entière; mais le cardinal Mazarin se permit plus d'une fois d'y manquer. Aussi Fénélon écrivit-il plus tard à Clément XI: Si les autres conseillers de la reine avaient été mieux d'accord avec Vincent, on eût écarté bien loin de l'épiscopat certains hommes qui ont depuis

excité de grands troubles : Malgré cela, Fléchier, évêque de Nîmes, écrivait dans le même temps: C'est à Vincent de Paul que le clergé de France doit sa splendeur et sa gloire 2: Ne pouvant tout faire, Vincent faisait ce qu'il pouvait, et le faisait avec une prudence et un courage dont on n'a guère l'idée. Un jour, sans prendre l'avis du conseil, Mazarin, ayant nommé à un évêché le fils d'un seigneur, écrivit au saint homme d'aller donner au nouvel évêque les instructions convenables. Vincent alla trouver le seigneur, lui représenta que son fils n'ayant pas les qualités nécessaires pour bien gouverner un diocèse, sa nomination pourrait avoir des suites funestes. Le seigneur, qui avait de la piété, eut de rudes combats à soutenir avec lui-même. Il s'excusa finalement sur les besoins de sa famille et sur ce qué son fils aurait des ecclésiastiques capables de gouverner à sa place. A peine le fils eut-il été sacré évêque, que Dieu le retira de ce monde 3.

Il est impossible de dire ni même de savoir tous les services que Vincent rendit à l'épiscopat et aux monastères dans la position où la Providence l'avait placé. Ses conseils n'étaient pas les moindres de ses services.

Louis Abelly, celui-là même qui a écrit la vie du saint, le consulta un jour de la part de l'évêque de Bayonne, dont il était official, sur la conduite à tenir envers certains religieux peu édifiants. Dans sa réponse, pleine d'humilité, Vincent est d'avis: Qu'en général il faudrait traiter avec les religieux déréglés comme Jésus-Christ a traité avec les pécheurs de son temps; qu'un évêque et un prêtre, obligés comme tels d'être plus parfaits qu'un religieux considéré purement comme religieux, doivent pendant un temps considérable n'agir que par la voie du bon exemple, et se souvenir que le Fils de Dieu n'en suivit pas d'autre pendant trente ans; qu'il faut après cela parler d'abord avec charité et douceur, ensuite avec force et fermeté, sans cependant user encore ni d'interdit, ni de suspense, ni d'excommunication, censures terribles que le Sauveur du monde n'employa jamais.

«Je crois bien, monsieur, continue le saint homme, que ce que. je vous dis vous surprendra un peu ; mais que voulez-vous? ce sentiment est en moi l'effet de celui que j'ai touchant les vérités que notre Seigneur nous a enseignées de parole et d'exemple. J'ai toujours remarqué que ce qui se fait selon cette règle réussit parfaitement bien. C'est en la suivant que le bienheureux évêque de

Lettre du 20 avril 1706. 2 Lettre du 13 octobre 1705. Collet, 1. 4.

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Genève, et à son exemple feu monsieur de Comminges, se sont sanctifiés et ont été la cause de la sanctification de tant de milliers d'âmes. Vous me direz, sans doute, qu'on méprisera un prélat qui agira de la sorte. Cela sera vrai pour un temps, et cela est même nécessaire, afin que nous honorions la vie du Fils de Dieu en tous ses états par nos personnes, comme nous l'honorons par la condition de notre ministère. Mais il est vrai aussi qu'après avoir souffert quelque temps, et autant qu'il plaît à notre Seigneur, et avec notre Seigneur, il nous fait plus faire de bien en trois ans que nous ne ferions en trente. Certes, monsieur, je ne pense pas qu'on puisse réussir autrement. On fera de beaux règlements, on usera de censures, on retranchera tous les pouvoirs; mais corrigera-t-on? Il n'y a guère d'apparence. Ces moyens n'étendront ni ne conserveront l'empire de Jésus-Christ dans les cœurs. Dieu à autrefois armé le ciel et la terre contre l'homme; est-ce par là qu'il l'a converti? Hé! n'a-t-il pas fallu enfin qu'il se soit abaissé et humilié devant lui, pour lui faire agréer son joug et sa conduite? Ce qu'un Dieu n'a pas fait avec sa toute-puissance, comment un prélat le fera-t-il avec la sienne. Selon ces principes, je crois que monseigneur de Bayonne a raison de ne pas fulminer l'excommunication contre ces religieux propriétaires, ni même d'empêcher sitôt ceux qu'il a examinés et approuvés une fois de prêcher les avents et les carêmes dans les paroisses de la campagne, où il n'y a point de station désignée........ Que si quelqu'un abuse du ministère, votre sage conduite y saura bien remédier. »

Tant de soins et de travaux firent enfin succomber Vincent de Paul en 1644. Il tomba malade à la mort : son ami intime, le père Saint-Jure, Jésuite célèbre par ses ouvrages de piété, étant venu le voir, le trouva dans un violent délire. Toutefois, Vincent répondit à ses exhortations par ces paroles de l'Ecriture: In Spiritu humilitatis, et in animo contrito suscipiamur à te, Domine, Daignez, ô Seigneur, me mettre et me recevoir dans les sentiments d'une vraie humilité et d'un cœur contrit. Les enfants du saint prêtre, accablés de tristesse, ne savaient quel parti prendre. Les uns s'abandonnaient aux larmes et aux gémissements, les autres firent pour lui un vœu à Notre-Dame de Chartres. Un jeune missionnaire, Antoine Dufour, lui-même malade, apprenant que le saint vieillard était en danger de mort, pria Dieu d'accepter sa vie en échange. Dès lors Vincent commence à se mieux porter, et le jeune prêtre à baisser d'une manière si sensible, qu'il meurt peu après. Il était

1 Collet, 1. 4.

TOME XXV.

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