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de leurs droits. Bref, ce que dit l'apôtre de l'homme hérétique est vrai du souverain hérétique : Il s'est renversé lui-même par un crime, et condamné par son propre jugement1.

III. Nul sujet, nul peuple protestant ne peut, sans inconséquence, blâmer son souverain de quoi qu'il se permette. Dans les principes du protestantisme, le souverain, comme tout autre individu, est le juge suprême de son droit et de son devoir. Si donc le souverain se croit obligé d'employer la ruse ou la violence pour écraser ses sujets, non-seulement il le peut, mais il le doit. Bref, le peuple hérétique, comme le souverain hérétique, s'est renversé par un crime, et condamné par son propre jugement.

IV. Le protestantisme ne peut commander, sans se contredire, ni l'obéissance ni la résistance à personne. S'il commande l'obéissance envers l'individu souverain, il viole, contre ses propres principes, l'indépendance mentale de l'individu sujet; s'il commande la résistance, il viole, contre ses propres principes encore, l'indépendance mentale de l'individu souverain.

V. Le protestantisme anéantit, par le fait, toute obligation morale entre le souverain et le sujet. Il accorde au second une autorité égale à celle du premier. Ces deux autorités, en conflit, se détruisent réciproquement. Il ne reste, pour différence, que le plus ou moins de ruse ou de force. - En résumé, pour le protestantisme, le droit du plus fort est non-seulement le meilleur, mais le seul.

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Comme on voit, tout souverain protestant, tout peuple protestant, et en général tout souverain, tout peuple hérétique pose l'anarchie en principe, en dogme, en loi fondamentalé. Les auteurs qui ont avancé que l'état naturel du genre humain est la guerre de tous contre tous, ont raisonné très-juste comme protestants, comme hérétiques. Loi, ordre, justice, société sont en effet pour le protestantisme des choses contre nature: les tribunaux, une tyrannie monstrueuse. Comme protestant, vous autorisez nécessairement tous les crimes; et puis, comme souverain, comme juge, vous les punissez du dernier supplice. Ainsi, en enfer, Satan et les siens, les premiers qui protestèrent, autorisent par leur exemple et leurs maximes d'indépendance tous les crimes, y sollicitent les hommes nuit et jour, et puis les en punissent par des supplices éternels. Si donc le protestantisme n'avait point rencontré d'obstacle, s'il avait pu librement produire toutes ses conséquences, la société humaine, au nom de la Bible, scrait retombée dans le chaos, la terre ne se

Tit. 3.

rait plus qu'une région de calamités et de ténèbres, couverte des ombres de la mort, où n'habiterait nul ordre, mais une éternelle horreur.

Exemples et échantillons de ce retour au chaos des idées, à la confusion des langues, sont généralement tous les écrivains protesfants, notamment François Bacon, fils de Nicolas Bacon, gardedes-sceaux sous Elisabeth, et lui-même grand-chancelier sous Jacques. Tout le monde convient que, pour le cœur et le caractère, François Bacon fut un des hommes les plus vils et les plus méprisables. Le comte d'Essex, son insigne bienfaiteur, étant impliqué dans un procès politique qui le conduisit à l'échafaud, non-seulement Bacon l'abandonna dans sa disgrâce, mais encore plaida contre lui, sans qu'il y fût obligé d'aucune manière. Devenu par de tels moyens grand-chancelier d'Angleterre, il s'y montra juge corrompu et vénal, trafiquant de la justice; à tel point que, accusé devant la chambre des pairs, dont il était président, il se reconnut lui-même coupable sur presque tous les chefs, fut condamné à une amende énorme, et déclaré incapable d'occuper aucun emploi ou office public, de siéger au parlement, et d'approcher même du lieu où résiderait la cour. Mais si Bacon fut un homme vil, on a prétendu, dans un temps, que c'était un écrivain du premier ordre, un génie incomparable. Il est vrai, aucun fondateur des sciences ne l'a connu ou ne s'est appuyé de lui. Mais Voltaire, Diderot, d'Alembert le célébrèrent à l'envi, quoique ce dernier avoue que les ouvrages du philosophe anglais sont très-peu lus. De nos jours, Cabanis en a fait le panégyrique dans son cours de matérialisme intitulé: Rapport du physique et du moral de l'homme. « Bacon, dit-il, vint tout à coup, au milieu des ténèbres et des cris barbares de l'école, ouvrir de nouvelles routes à l'esprit humain.... Hobbes fut conduit à la véritable origine de nos connaissances. Mais c'était Locke, successeur de Bacon, qui devait pour la première fois, etc. Helvétiús a résumé la doctrine de Locke..... Condillac l'a développée et étendue..... Condillac autem genuit Lancelin. Vient ensuite Volney, habitué aux analyses profondes, etc. » Il n'y a rien de si précieux, observe le comte de Maistre, que cette généalogie. On y voit que Locke est successeur de Bacon; on y voit que Locke, à son tour, engendra Helvétius, et que tous ces ennemis réunis du genre humain, y compris Cabanis lui-même, descendent de Bacon'.

Les principaux ouvrages de ce dernier sont: 1o De la dignité et de l'accroissement des sciences; 2° Nouvel instrument, ou indices

1

Joseph de Maistre. Examen de la philosophie de Bacon, t. 2, c. 8, p. 556.

vrais sur l'interprétation de la nature; 3° Forêt des Forêts, ou histoire naturelle; 4o Parascève (préparation) à l'histoire naturelle et expérimentale; 5° Histoire des vents; 6° Sermons fidèles, ou l'intérieur des choses; 7° Boutades, ou élans philosophiques, etc. Ces divers ouvrages, avec leurs titres plus ou moins bizarres, forment une espèce de jardin anglais, où il y a quelques fleurs innocentes et beaucoup de vénéneuses. Voltaire, Diderot et d'Alembert en ont mis à profit le venin pour corrompre leur siècle; l'abbé Emery, comme une industrieuse abeille, laissant de côté le venin', en a retiré quelque peu de miel dans son Christianisme de Bacon; un homme de nos jours, qui, dans la série des Pères de l'Eglise, tiendra le même rang que les illustres Boèce et Cassiodore, le comte Joseph de Maistre, a fait l'étude et l'anatomie complète de Bacon et de ses œuvres dans son Examen de la philosophie de Bacon. Voici la conclusion de son examen :

<< Tout lecteur est maintenant en état d'apprécier les éloges qui ont été prodigués à Bacon, et surtout à ses deux principaux ouvrages. Il a plu à d'Alembert de nous dire que Bacon, dans son ouvrage sur la dignité et l'avancement des sciences, examine ce qu'on savait déjà sur chacun des objets de toutes les sciences naturelles, et qu'il fait le catalogue immense de ce qui reste à découvrir.

» Mais, de bonne foi, comment celui qui ne sait rien peut-il faire le catalogue de ce qu'on sait et de ce qu'on ne sait pas? S'il y a quelque chose de démontré, c'est la profonde ignorance de Bacon sur tous les objets des sciences naturelles : c'est sur quoi il ne peut rester aucun doute dans l'esprit de tout homme de bon sens qui aura pris la peine de lire cet ouvrage. Absolument étranger à tout ce qu'avaient écrit sur ces sciences tous les grands hommes qui furent ses prédécesseurs ou ses contemporains, et n'étant pas même en état de comprendre leurs écrits, de quel droit venait-il donner follement la carte d'un pays où il n'avait jamais voyagé; et qu'aurait-il pensé lui-même d'un homme qui, sans être jurisconsulte, aurait publié un livre sur les avantages et les désavantages de la législation anglaise ?

» Le livre De la dignité et de l'accroissement des sciences est donc un ouvrage parfaitement nul et méprisable, 1° parce que l'auteur est tout-à-fait incompétent, pour parler de lui un peu plus justement qu'il n'a parlé du microscope; 2° parce que tous ses desiderata portent des signes manifestes d'une imagination malade

Christianisme de Bacon, t. 1.

309 et d'une tête altérée; 3° enfin, parce que les moyens qu'il donne pour arriver à la vérité paraissent avoir été inventés pour produire l'effet contraire et nous égarer sans retour.

> Quant au Novum organum (nouvel organe, nouvel instrument), il est bien plus condamnable encore, puisque, indépendamment des erreurs particulières dont il fourmille, le but général le rend digne d'un Bedlam (maison d'aliénés). C'est ici où la force des préjugés se montre dans tout son jour. Interrogez les panégyristes de Bacon: tous vous diront que le Novum organum est l'échafaud dont on s'est servi pour élever l'édifice des sciences; que Bacon y fait connaître la nécessité de la physique expérimentale, etc. Mais personne ne dira que le but général de ce bel ouvrage est de faire mépriser toutes les sciences, toutes les méthodes, toutes les expériences connues à cette époque et suivies déjà avec une ardeur infatigable, pour y substituer une théorie insensée, destinée, dans les folles conceptions de son auteur, à donner des menottes à Protée, pour le forcer à prendre toutes les formes imaginables sous la main de son nouveau maître, c'est-à-dire, en style vulgaire, à découvrir les essences pour s'en emparer et les transmuer à volonté; nouvelle alchimie également stupide et stérile, que Bacon voulait substituer à celle qui pouvait au moins, par sa bonne foi, par sa piété et par les découvertes utiles dont elle avait fait présent aux hommes, se faire pardonner ses espérances trompées et même ses espérances trompeuses.

» Tout est dit sur Bacon, et désormais sa réputation ne saurait plus en imposer qu'aux aveugles volontaires. Sa philosophie entière est une aberration continuelle. Il se trompe également dans l'objet et dans les moyens ; il n'a rien vu de ce qu'il avait la prétention de découvrir, et il n'a rien vu, non parce qu'il n'a pas regardé, non par suite de l'interposition des corps opaques, mais par le vice intrinsèque de l'œil, qui est tout à la fois faible, faux et distrait. Bacon se trompe sur la logique, sur la métaphysique, sur la physique, sur l'histoire naturelle, sur l'astronomie, sur les mathématiques, sur la chimie, sur la médecine, sur toutes les choses enfin dont il a osé parler dans la vaste étendue de la philosophie naturelle. Il se trompe, non point comme les autres hommes, mais d'une manière qui n'appartient qu'à lui et qui part d'une certaine impuissance radicale telle, qu'il n'a pas indiqué une seule route qui ne conduise à l'erreur, à commencer par l'expérience, dont il a perverti le caractère et l'usage, de façon qu'il égare lors même qu'il indique un but vrai ou un moyen légitime. Il se trompe dans les masses et les généralités, en troublant l'ordre et la hiérarchie des sciences,

en leur donnant des noms faux et des buts imaginaires; il se trompe dans les détails, en niant ce qui est, en expliquant ce qui n'est pas, en couvrant ses pages d'expériences insignifiantes, d'observations enfantines, d'explications ridicules. Le nombre immense de ses vues et de ses tentatives est précisément ce qui l'accuse, en excluant toute louange de supposition, puisque Bacon ayant parlé de tout s'est trompé sur tout. Il se trompe lorsqu'il affirme, il se trompe lorsqu'il nie, il se trompe lorsqu'il doute, il se trompe de toutes les manières dont il est possible de se tromper. Sa philosophie ressemble à sa religion, qui proteste continuellement; elle est entièrement négative et ne songe qu'à contredire. En se livrant sans mesure à ce penchant naturel, il finit par se contredire lui-même sans s'en apercevoir, et par insulter chez les autres ses traits les plus caractéristiques. Ainsi, il blâme sans relâche les abstractions, et il ne fait que des abstractions, en recourant toujours à ses axiômes moyens, généraux, généralissimes, et soutenant que les individus ne méritent pas l'attention d'un philosophe; il ne cesse d'invectivėr contre, la science des mots, et il ne fait que des mots; il bouleverse toutes les nomenclatures reçues, pour leur en substituer de nouvelles, ou baroques, ou poétiques, ou l'une et l'autre. Le néologisme est chez lui une véritable maladie, et toujours il croit avoir acquis une idée lorsqu'il a inventé un mot. Il regarde en pitié l'alchimie toute opérative de son temps, et toute sa physique n'est qu'une autre alchimie toute babillarde et tout-à-fait semblable aux enfants qui parlent beaucoup et ne produisent rien, comme il l'a très-bien et très-mal à propos dit des anciens Grecs.

» La nature l'avait créé bel esprit, moraliste sensé et ingénieux, écrivain élégant, avec je ne sais quelle veine poétique qui lui fournit sans cesse une foule d'images extrêmement heureuses, de manière que ses écrits, comme fables, sont encore très--amusants. Tel est son mérite réel, qu'il faut bien se garder de méconnaître ; mais dès qu'il sort du cercle assez rétréci de ses véritables talents, c'est l'esprit le plus faux, le plus détestable raisonneur, le plus terrible ennemi de la science qui ait jamais existé. Que si on veut louer en lui un amant passionné des sciences, j'y consens encore; mais c'est l'eunuque amoureux 1. »

On n'a cessé de nous répéter pendant le dernier siècle, le dixhuitième, que Bacon avait rendu le plus grand service aux sciences en substituant l'induction au syllogisme. Un Ecossais est allé jusqu'à dire « Le genre humain s'étant fatigué pendant deux mille ans à

Christianisme de Bacon, t. 1, p. 359 et seqq.

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